
Cohabiter avec les tribus au travail
Toute organisation cherche à rassembler ou unir son personnel autour d'une mission et de valeurs communes. Mais sur le terrain, dans la réalité du quotidien, chaque service, métier ou groupe professionnel développe souvent ses propres valeurs et « son territoire », qu'il défend parfois contre les autres. Est-ce sain ou cela favorise-t-il l'apparition de silos néfastes ?
Au marathon de Londres, la participation est si massive que les coureurs s'élancent de trois points de départ distincts, chacun associé à une couleur de dossard. Après trois milles, les parcours convergent, et un phénomène curieux se produit : les coureurs, pourtant répartis aléatoirement, adoptent spontanément un esprit de corps fondé sur leur couleur. Ils lancent des cris de ralliement à leurs semblables et taquinent amicalement ceux qui portent d'autres couleurs.
Ce réflexe tribal, bien que bon enfant, évoque une dynamique familière dans bien des organisations. Il y a comme un souque à la corde entre la direction qui prône une culture unifiée et forte et les métiers, services ou sites qui renforcent instinctivement leur propre « territoire » pour le protéger. Il peut s'agir, par exemple, des médecins dans un centre hospitalier, du secteur de la production qui s'oppose aux promesses jugées irréalistes des ventes, ou encore d'une usine récemment acquise qui résiste à son intégration dans le nouvel ensemble.
Les comportements territoriaux et leurs effets néfastes
Avec le temps, chaque territoire développe sa propre identité, fondée sur des pratiques, des normes et un langage communs. À l'image d'une tribu, il cherche à se distinguer.
Le premier réflexe de repli consiste donc à renforcer cette identité en opposition aux autres : « nous sommes uniques », « ils peuvent difficilement nous comprendre », « leur contribution ne nous sera pas utile ». Ainsi se forment les silos, qui freinent la circulation de l'information, isolent les bonnes pratiques et réduisent les possibilités d'apprentissage mutuel.
Un autre réflexe consiste à défendre activement sa légitimité en mettant de l'avant sa mission spécifique. Le groupe concerné cherche alors à protéger son domaine d'expertise : « nous sommes les spécialistes », « c'est à nous de décider », « nous avons le contrôle sur ces ressources ».
Poussée à l'extrême, cette logique conduit à penser que toute collaboration mettrait en péril son propre mandat. On en vient à croire qu'un coup de main donné à d'autres ne sera pas reconnu ou rétribué par un retour d'ascenseur.
Enfin, un dernier comportement de repli se manifeste par le désengagement vis-à-vis du collectif lorsque la « tribu » se sent ignorée, peu valorisée ou tenue à l'écart des décisions importantes. Un sentiment d'injustice s'installe, nourrissant le besoin d'affirmer sa différence pour préserver sa dignité et renforcer la cohésion interne.
Prévenir et confronter les comportements de repli
Un territoire, c'est avant tout un récit partagé, une mémoire collective, une source de fierté. Le protéger est un réflexe naturel et compréhensible. Mais, quelqu'un doit faire un certain arbitrage pour que puisse cohabiter une culture organisationnelle qui valorise l'unité et l'entraide avec le besoin d'identité, de légitimité et d'autonomie propre à chaque territoire.
La haute direction a un rôle crucial à jouer à cet égard. Au-delà de la définition du bien commun, elle doit se préoccuper d'instaurer un climat de sécurité psychologique qui permet au territoire d'oser faire de la place aux autres. Cela passe par une écoute attentive des frustrations ou incompréhensions souvent dissimulées derrière l'affirmation exagérée de la différence.
Il faut s'efforcer de comprendre ce qui, dans les comportements territoriaux, est fondé : leur réalité quotidienne, les intérêts qu'ils défendent, les peurs qu'ils traduisent, ce qu'ils cherchent à préserver.
Ce n'est qu'à partir de cette compréhension qu'on peut faire émerger des intérêts communs et déterminer les compromis nécessaires, car on ne peut pas tout concilier.
Les cadres intermédiaires, quant à eux, ont la capacité d'avoir un regard transversal. Ils ont tout intérêt à cultiver et valoriser l'interdépendance entre les territoires. Cela passe par la création d'espaces d'échange qui franchissent les frontières : groupes de travail interservices, communautés de pratique, fixation d'objectifs communs. Autant d'occasions de tisser des liens, de croiser les perspectives et de construire des ponts. En reconnaissant publiquement la valeur et la légitimité des autres, on favorise le vivre-ensemble.
Les leaders de proximité ont la responsabilité de faire vivre, au quotidien, les valeurs d'unité et d'entraide. Pour cela, ils doivent d'abord montrer l'exemple — demander de l'aide de façon visible, se porter volontaires pour aider les autres et utiliser le « nous inclusif » dans les conversations. Le service des ressources humaines a aussi un rôle à jouer en ajustant les mécanismes d'évaluation et de reconnaissance afin qu'ils tiennent compte des résultats individuels ou départementaux, mais aussi des efforts transversaux déployés pour les atteindre.
Enfin, chaque employé peut contribuer en désamorçant les réflexes territoriaux lorsqu'ils surgissent en réunion ou dans une prise de position collective. Parfois, il suffit de rappeler une évidence : nous sommes tous dans le même bateau — et c'est en nous serrant les coudes que nous aurons une chance de surmonter les défis qui se dressent devant nous.

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