
« Quand les jeunes piquent-niquent, je reste debout : si je m'assois, je ne repars pas » : Daniel Saint-Hamon, l'octogénaire qui sillonne les centaines de kilomètres de Compostelle
« Quand le chemin est venu me taper sur l'épaule, je n'étais pas complètement nul en sport. J'en avais une certaine idée via la course (j'ai fait le marathon de New York au milieu des années 70) et via les arts martiaux que j'ai découverts à la cinquantaine. Mais la marche ? Ce n'était pas mon truc. Il y a dix ans environ, dans un dîner, je discute avec un couple d'amis qui revenait d'avoir fait « un morceau » de Compostelle. 200 kilomètres en 10 jours. Je reste bête, 200 kilomètres à pied ? Et puis cette idée s'ancre en moi, obsédante : j'annonce à ma femme que je veux faire pareil.
Habillé comme un scout Gare de Lyon
En très peu de temps, c'est le départ. On est en 2015, je suis dans ma 71e année et personne ne trouve cela raisonnable. Les genoux, les hanches, le dos... Mon médecin met un peu de temps à réaliser quand je lui annonce et me conseille plutôt de m'inscrire dans un club de marche nordique. Le 1er août, je débarque Gare de Lyon, habillé comme un scout avec mon bermuda à poches et mes increvables chaussures Lowa, direction Le Puy en Velay. Ma femme me regarde partir en se disant que je vais revenir dans deux heures. Je m'étais certes entraîné quelques fois dans la forêt de Meudon ou en Normandie, des marches de 20 kilomètres qui m'avait laissé sur le flanc, mais on ne pouvait pas réellement parler d'entraînement. Je vais le payer cher.
Dès la première étape, je comprends... Je me demande dans quoi je suis tombé, il s'agit de 25 kilomètres plutôt compliqués. J'arrive le soir dans un beau gîte. Une jeune femme en face de moi me prévient : « Demain, c'est Monistrol-d'Allier, il y a un dénivelé très dur, vous pouvez prendre un taxi d'ici pour faire cette étape et éviter cette montée ». Je suis vexé, elle le voit, elle me confie que je lui fais penser à son papy. La montée de Monistrol-d'Allier, je le constate le lendemain, elle est tout bonnement verticale : la demoiselle avait complètement raison. Le 3e jour, mon corps me dit déjà d'arrêter : « Tu as mal partout, tu n'es pas bien, laisse tomber ».
« A mon âge, pleurer en regardant une pente... »
Mais l'enthousiasme des jeunes dans le gîte est communicatif. Je me décide à les suivre en me disant que si je fais une crise cardiaque, je saurai pourquoi je l'ai faite. Quand on est un vieil orgueilleux entouré de jeunes, on essaie de faire comme eux. Mais c'est pareil pour les vieilles bagnoles : une fois que vous vous arrêtez, dur de repartir. Alors quand les jeunes pique-niquent, moi je reste debout. Je leur explique que si je m'assois, je ne repars pas. Le 5e jour, j'arrive au pied d'un dénivelé qui me donne envie de pleurer. À mon âge, pleurer en regardant une pente...
Et mon corps me parle encore, il me dit : « Vas-y, tu peux ! » Je m'en sors, mon coeur continue de battre normalement : c'est parti. Au bout de 10 jours de marche, j'arrive à Conques, je suis devenu un Jacquet qui peut porter la coquille. Les 1 600 km, je les ai parcourus en trois fois, interrompus chaque fois d'un intervalle d'un mois environ. Et dire qu'au départ, j'étais parti pour faire 200 km... J'en ai finalement fait 400 et je me suis dit que j'allais forcément repartir. Les 1 200 km, cela représente en tout 65 jours de marche.
Une fois, j'étais sous la douche quand je vois arriver à mes pieds une sorte de liquide jaune. De la pisse qui fuyait. Vous avez 75 ans et vous vous dites : « qu'est-ce que je fais là » ?
La première fois que je suis arrivé à Saint-Jacques, j'ai ressenti un bonheur indescriptible. Je me disais que je pourrais être allé à Varsovie à pied. À mon âge, on est tous enkystés dans des habitudes. Plus rien ne vous menace, la vie devient monotone. Il faut se sortir de cette gangue, et le chemin est parfait pour ça. Il vous extirpe complètement de votre confort domestique, même si les vieux qui ont fait leur service militaire comme moi, on a déjà connu ça. Les plus jeunes, eux, en bavent. Les chiottes, dormir, manger, marcher....
« Compostelle, c'est Tinder »
Une fois, j'étais sous la douche quand je vois arriver à mes pieds une sorte de liquide jaune. De la pisse qui fuyait. Vous avez 75 ans et vous vous dites : « qu'est-ce que je fais là » ? Il y a aussi les nuits avec les punaises de lit, impossible de les oublier. Un soir, avant d'arriver à Conques, un aubergiste nous a mis dehors à 2 heures du matin car on lui en avait signalé dans son établissement. Compostelle, c'est un inconfort, certes, mais j'ai été élevé à la dure dans des internats. Physiquement, le plus difficile a sans conteste été le col de Roncevaux, qui relie la France en Espagne, mais aussi le plateau de la Meseta de l'autre côté de la frontière : huit heures de marche où vous ne croisez pas un chat.
Beaucoup disent qu'on revient changé de Compostelle, et notamment dans l'attention qu'on porte aux gens. Tout le monde est intéressant sur le chemin, du plombier à l'architecte. C'est un concentré de notre monde : des femmes, des hommes, des transgenres, chacun amène quelque chose. Et puis Compostelle, c'est Tinder ! (Il rit) Je n'ai jamais vu ça. On imagine les gens en train de marcher et de prier, mais non, il n'y a pas que ça ! L'autel, c'est la table du gîte couverte de bières. On y parle de ses maux de pieds, mais très vite on s'y confie, jusqu'aux choses les plus intimes. Oui, c'est une thérapie. Même dans l'intimité, avec ma femme, je vois bien que je ne suis plus le même. Je suis plus gentil, j'ai plus d'empathie. Avant, je ne faisais pas attention aux gens. J'ai été journaliste, scénariste de films* qui ont eu leur petit succès, et cela rend vite vaniteux. Mais tout cela est derrière moi désormais. Cet été, je repars avec ma fille de 27 ans car non, je ne vois pas de fin à Compostelle. C'est plus qu'un virus, car un virus peut se soigner : Compostelle, c'est une addiction. Cette expérience m'a fait réaliser que ma vie, c'était avant tout de marcher. »
*Daniel Saint-Hamon est journaliste, écrivain, scénariste (Le Grand Pardon, L'Union Sacrée notamment). Il a publié au printemps dernier « Compostelle pour les vieux » aux éditions Eyrolles.
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