
Une coroner face aux surdoses
Julie-Kim Godin est coroner. Se disant « interpellée » par les nombreux cas de surdose sur lesquels elle est appelée à faire la lumière, elle a récemment rédigé une série de recommandations destinées à prévenir ces drames. Voici la crise des surdoses vue de ses yeux.
« Quand on fait le travail de coroner, il n'y a pas un cas qui finit bien. Il y a tout le temps quelqu'un qui meurt dans l'histoire. »
On pourrait croire que Julie-Kim Godin fait le métier le plus déprimant du monde. Son travail : mener des investigations lorsque des décès surviennent dans des circonstances violentes ou obscures. Meurtres, suicides et violence conjugale ponctuent son quotidien.
Depuis quelques années, une réalité prend aussi une place de plus en plus grande dans sa vie professionnelle : les surdoses. De nouvelles drogues sans cesse plus fortes et mélangées débarquent dans les rues, dans les écoles, sur l'internet. Au Québec, elles font en moyenne plus d'une victime… chaque jour. Chaque fois, un coroner mène une enquête.
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
La coroner Julie-Kim Godin se fait un devoir de tirer les leçons de chaque mort attribuable à une surdose sur laquelle elle est appelée à se pencher.
« La question des surdoses, on la voit malheureusement quotidiennement, dit Julie-Kim Godin. C'est sûr que ça nous touche parce qu'on voit des cas concrets. Quand je vois des reportages qui disent : ça pourrait être votre fils ou votre fille, je le sais. Chaque cas qu'on examine est le fils ou la fille de quelqu'un. »
Elle refuse pourtant de se laisser gagner par le pessimisme.
« Pour moi, c'est un peu un devoir moral de mettre en lumière ce qui s'est passé et de pouvoir en tirer des leçons », dit-elle.
Comme coroner, ce qui me motive à me lever le matin, c'est de trouver des solutions. D'améliorer notre société, de tirer des leçons des évènements qui peuvent être tragiques. De s'assurer que ces morts ne soient pas vaines.
Julie-Kim Godin, coroner
Pour comprendre son métier et son état d'esprit face aux surdoses qui déferlent, revenons à septembre dernier.
Julie-Kim Godin reçoit alors un appel pendant qu'elle est de garde. Un homme vient d'être découvert sans vie au petit matin près d'une pharmacie du quartier Saint-Henri, à Montréal. Il a encore un briquet et une pipe dans les mains.
Vous imaginez peut-être le coroner, bistouri à la main, procéder à une autopsie pour comprendre la cause du décès. Aux États-Unis, c'est effectivement souvent comme ça que ça se passe. Mais pas au Québec. Julie-Kim Godin n'est d'ailleurs pas médecin, mais avocate.
Son rôle : poser les questions et commander les analyses d'experts qui lui permettront de faire la lumière sur le décès. « On est un peu comme le chef d'orchestre », explique celle qui se rend quand même régulièrement sur le terrain pour bien comprendre les circonstances des tragédies.
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
La coroner Julie-Kim Godin lors d'audiences publiques sur la mort d'une femme, en 2022
Dans ce cas précis, elle demande qu'une autopsie soit effectuée par un pathologiste. Des liquides biologiques sont prélevés sur la victime. On y découvre plusieurs drogues dont de la cocaïne, du bromazolam, de la méthamphétamine et du fluorofentanyl (une puissante drogue semblable au fentanyl). La coroner demande aussi que des analyses soient effectuées sur la pipe.
En posant des questions et en examinant les documents et les analyses, Julie-Kim Godin dégage un portrait de la victime et des circonstances de sa mort. Otabie Wilson avait 40 ans. Il souffrait d'un trouble de l'usage de drogues et de problèmes de santé mentale. Il était en situation d'itinérance. Malgré ses nombreux problèmes, il ne bénéficiait d'aucun suivi médical ou psychosocial.
La coroner soupçonne que M. Wilson est allé consommer de la cocaïne près d'une pharmacie dans l'espoir d'être sauvé en cas de surdose. Elle émet l'hypothèse que le bromazolam et le fluorofentanyl, des substances rarement mélangées à la cocaïne, ont été consommés à son insu. Ces drogues se seraient accumulées dans la pipe utilisée par M. Wilson lors d'usages précédents, peut-être par un autre utilisateur.
« M. Wilson savait-il tout ce qu'il inhalait ? », se demande la coroner dans son rapport.
Habituellement, le rapport se serait terminé là. En deux pages bien tassées, on établit la trajectoire de vie de la victime et on décrit les circonstances de sa mort. J'ai moi-même lu des centaines de ces rapports dans le cadre d'un grand reportage sur les surdoses réalisé il y a quelques années1.
Cette fois, pourtant, Julie-Kim Godin a continué à écrire. Elle mentionne qu'elle et ses collègues se sont penchés sur 459 morts par surdose lors de la seule année 2023.
« Il s'agit de 459 décès de trop », écrit-elle.
Elle m'explique s'être sentie « interpellée » par ces tragédies à la chaîne, souvent cruellement similaires.
Ce sont des drames humains, des morts évitables. Face au nombre, j'ai voulu aller plus loin. J'ai voulu qu'on se pose les bonnes questions, qu'on donne un sens à tout ça.
Julie-Kim Godin, coroner
Le résultat est une série de recommandations adressées autant au ministère de la Santé et des Services sociaux et à Santé Québec qu'à la Ville de Montréal et à Santé Canada.
En vrac, Julie-Kim Godin recommande que Québec mette en place une nouvelle stratégie contre les surdoses. Que les centres de consommation supervisée soient plus nombreux et ouverts 24 heures sur 24. Que des campagnes soient lancées pour déstigmatiser les consommateurs de drogues et les services qui leur viennent en aide. Qu'un nouveau plan interministériel en itinérance soit lancé.
Julie-Kim Godin tient à dire qu'Otabie Wilson serait probablement en vie aujourd'hui si un centre de consommation supervisée avait été ouvert à l'heure où il a consommé. Un centre où on aurait pu lui fournir une pipe non contaminée. Où on aurait pu analyser sa drogue. Où on aurait pu le secourir en cas de surdose.
Les solutions pour réduire les surdoses sont connues. C'est leur mise en œuvre qui fait défaut.
Julie-Kim Godin, coroner
En attendant que les décideurs passent à l'action, Julie-Kim Godin continuera à jeter de la lumière là où trop de gens refusent de regarder. À décortiquer et à exposer la mécanique de chacun de ces drames devenus quotidiens pour qu'ils ne sombrent pas dans l'oubli.
« Tantôt, j'écoutais la radio et on parlait du legs d'un écrivain qui est décédé récemment, dit la coroner. Mais ces gens-là aussi vont laisser un legs. On peut – et on doit – apprendre de leur parcours. »
1. Lisez le grand reportage « L'épidémie invisible »
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