
La communauté druze, minorité religieuse au cœur de la crise
(Beyrouth) Les récents combats à Souweïda, dans le sud de la Syrie, ont fait des centaines de morts, ébranlé le nouveau gouvernement du pays et impliqué son voisin israélien.
Euan Ward
The New York Times
Au cœur de la crise se trouvent les Druzes, une minorité religieuse hermétique qui a su garder son identité en Syrie, au Liban et en Israël, préservant des traditions strictes tout en s'adaptant aux puissances régionales.
Cet équilibre, autrefois essentiel à leur survie, est aujourd'hui menacé par les bouleversements en Syrie et l'attitude de plus en plus affirmée d'Israël dans la région.
PHOTO LEO CORREA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Femmes druzes s'apprêtant à rentrer en Syrie près d'un point de contrôle israélien sur les hauteurs du Golan, jeudi.
Fermée aux étrangers et souvent mal comprise, la religion druze remonte au XIe siècle. C'est une branche de l'ismaélisme, un courant chiite de l'islam. Les Druzes partagent des racines historiques avec l'islam, mais ne sont pas musulmans. Leur religion monothéiste mêle des éléments de la philosophie grecque, de l'hindouisme et du néoplatonisme, avec des textes sacrés accessibles uniquement à quelques privilégiés.
Ce mysticisme a longtemps suscité à la fois fascination et suspicion, et conduit certains érudits musulmans à les qualifier d'hérétiques au fil des siècles.
Plus de la moitié du million de Druzes vit en Syrie, où ils représentent environ 3 % de la population. Les autres foyers druzes sont au Liban, en Israël, ainsi que dans les hauteurs du Golan, occupées par Israël depuis 1967.
Loyauté, allégeance et compromis
Les Druzes sont loyaux envers l'État dans lequel ils vivent, une tradition ancrée dans leur doctrine religieuse, qui privilégie pragmatisme et autopréservation et évite la confrontation politique. Cette approche a conduit les Druzes de Syrie, du Liban et d'Israël sur des voies politiques divergentes, mais un lien transnational fort perdure, fait de parenté, de mémoire commune et de protection mutuelle.
« Ce qui est étrange, c'est que cette communauté a survécu jusqu'à aujourd'hui dans l'un des endroits les plus violents du monde, mais nous avons une philosophie, et je crois sincèrement que c'est cette philosophie qui nous a sauvés », affirme Fadi Azzam, romancier et poète druze syrien originaire de Souweïda, qui a fui pendant la guerre civile.
Sous l'ancien dirigeant syrien Bachar al-Assad, les Druzes ont su naviguer entre rébellion et intégration profonde au régime. Beaucoup ont servi dans l'armée syrienne, mais les milices locales ont conservé une certaine indépendance, assurant l'ordre dans leurs zones, notamment à Souweïda, principal foyer druze.
Cet équilibre a été bousculé récemment, quand le nouveau gouvernement syrien du président Ahmad al-Charaa a voulu imposer une mesure d'autorité sur les multiples groupes armés issus de la guerre civile.
La situation a explosé cette semaine avec des affrontements meurtriers à Souweïda entre des combattants druzes et des membres de tribus bédouines. Les forces gouvernementales ont été envoyées pour rétablir l'ordre, mais elles se sont heurtées à des hommes armés druzes méfiants envers le nouveau pouvoir syrien.
PHOTO BAKR ALKASEM, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des combattants bédouins et tribaux se déploient alors qu'une voiture brûle à l'entrée ouest du cœur druze de Souweïda, en Syrie, jeudi.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, un organisme établi en Angleterre, ces troubles ont fait plus de 500 victimes.
Israël, qui se pose en protecteur du groupe contre les vœux de nombreux Druzes syriens, est intervenu militairement.
« Entre le marteau et l'enclume »
En Israël, ces violences ont agité la petite, mais influente communauté druze du pays. Certains ont manifesté, bloqué des routes et, dans certains cas, forcé l'entrée en Syrie. L'armée israélienne a réagi en frappant le cœur de Damas, la capitale syrienne. Or, pour de nombreux Druzes syriens, ces attaques ont accentué leur isolement face au nouveau gouvernement.
PHOTO LEO CORREA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Druzes syriens et israéliens lors d'une manifestation de soutien mutuel près de la ligne de démarcation entre la Syrie et les hauteurs du Golan occupé par Israël près de Majdal Chams, mercredi
« En ce moment, les Druzes sont entre le marteau et l'enclume », constate Reda Mansour, historien druze israélien et professeur à l'Université Reichman de Tel-Aviv.
Pour l'heure, un cessez-le-feu fragile semble tenir. Mais le conflit a rouvert des plaies profondes, évoquant des persécutions sur plusieurs siècles, à l'époque de l'Empire ottoman et des régimes nationalistes arabes du XXe siècle. Dans les années 1950, une campagne brutale du président syrien Adib Chichakli a fait des centaines de morts parmi les Druzes et leurs villes ont été bombardées. Ce traumatisme a façonné la doctrine d'autosuffisance druze en Syrie.
« Si on classait les sociétés du Proche-Orient, il y aurait les agriculteurs et les bergers, puis ceux qui font du commerce et ceux qui se battent. Les Druzes sont des combattants », explique M. Azzam. « Ça fait partie du mystère qui les entoure. »
PHOTO SHADI AL-DUBAISI, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des soldats syriens druzes font un signe de victoire après le retrait, jeudi, des forces armées syriennes du gouvernorat de Souweïda.
Hors de Syrie, les Druzes se sont taillé une place, exerçant leur influence dans certains pays et prêtant allégeance dans d'autres.
Au Liban, où ils représentent 5 % de la population, de puissantes familles druzes agissent depuis longtemps comme médiateurs, équilibrant les alliances avec les factions chrétiennes, sunnites et chiites à travers guerres et crises.
Ils servent dans l'armée israélienne
En Israël et sur le plateau du Golan contrôlé par Israël, où vivent 145 000 Druzes, ils occupent une place unique : contrairement aux autres minorités arabes, les hommes druzes sont enrôlés dans l'armée israélienne et beaucoup occupent des postes militaires ou politiques de haut rang. Les citoyens druzes ont néanmoins exprimé leur frustration face à l'inégalité de traitement et à une loi de 2018 qui a sapé leur statut de citoyens à part entière.
« L'approche druze pour survivre a toujours été, quel que soit le pays, d'être le groupe le plus patriotique », résume M. Mansour.
Cette stratégie a servi les Druzes pendant des siècles, mais à Souweïda, ses limites ont été mises à nu.
PHOTO SHADI AL-DUBAISI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Des Syriens constatent les dégât après le retrait des troupes gouvernementales, jeudi, à Souweïda.
Jeudi, de nombreux habitants sont sortis après s'être terrés chez eux pendant des jours, découvrant un carnage, des devantures de magasins saccagées, des rues jonchées de débris et des chars encore fumants.
À des centaines de kilomètres de là, M. Azzam est sous le choc de la perte de sa tante, qui a péri dans le bain de sang. Il s'interroge sur l'avenir. « Je ne suis pas optimiste, mais je ne suis pas pessimiste non plus », dit-il. « C'est une journée difficile et mes sentiments sont à vif. »
Cet article a été publié dans le New York Times.
Lisez la version originale (en anglais ; abonnement requis).
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
10 hours ago
- La Presse
Une meilleure gestion après sinistre est nécessaire, selon les assureurs
Un quartier dévasté dans l'ouest de Jasper, en Alberta, le 19 août 2024. Un incendie de forêt y avait provoqué des évacuations et des dégâts importants. (Toronto) Le Bureau d'assurance du Canada (BAC) appelle à des discussions nationales sur la gestion des efforts de rétablissement après catastrophe à l'avenir, compte tenu de l'augmentation des coûts et de la fréquence des sinistres. La Presse Canadienne Le Bureau demande au gouvernement fédéral de mener des discussions avec les provinces et les territoires sur la reprise après sinistre, car les efforts de reconstruction de Jasper, en Alberta, accusent des retards un an après qu'un incendie de forêt a détruit environ un tiers des bâtiments de la ville. Cette demande survient alors que le 22 juillet marque le premier anniversaire de l'incendie qui a ravagé Jasper, dont les dommages sont estimés à 1,2 milliard, une catastrophe parmi plusieurs autres survenues l'an dernier, qui ont causé environ 8,5 milliards de dommages assurés combinés, ce qui en fait de loin l'année la plus coûteuse jamais enregistrée. Les coûts ont augmenté, car le changement climatique a contribué à rendre les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus destructeurs, tandis que le coût des matériaux de construction et d'autres facteurs ont également contribué à cette augmentation. Les coûts plus élevés de reconstruction s'expliquent également par le fait que les réparations prennent plus de temps. Le BAC indique qu'au 7 juillet, les autorités n'avaient délivré des permis de reconstruction que pour 56 des 358 bâtiments incendiés. La reconstruction avance beaucoup plus lentement qu'après l'incendie de Fort McMurray en 2016, où une grande partie des travaux avait commencé dès la première année, malgré le fait qu'il s'agissait de l'incendie le plus coûteux de l'histoire du Canada, avec quelque 2400 bâtiments détruits. « Les retards affectant le processus de reconstruction, comme c'est le cas à Jasper, deviennent de plus en plus fréquents au Canada après des catastrophes majeures », affirme Craig Stewart, vice-président, changements climatiques et enjeux fédéraux, au BAC, dans un communiqué. Alors que les retards persistent à Jasper, le bureau prévient que certains résidants pourraient épuiser leur couverture des frais de subsistance supplémentaires et que de nombreuses entreprises pourraient épuiser leur couverture pour perte de revenus. Une partie du problème lié aux retards est due à la réglementation supplémentaire imposée par le fait que la ville se trouve dans un parc national et a des règles en matière d'assainissement, mais M. Stewart souligne que l'absence de réponse coordonnée et normalisée est également un problème. « Le Canada a besoin d'un organisme fédéral de coordination pour guider la préparation et le rétablissement en cas d'urgence », insiste-t-il. « Tous les autres pays du G7 disposent d'une agence agissant à ce titre ; il est temps que le Canada suive l'exemple et adopte une approche proactive en matière de gestion des urgences. » Le regroupement d'assureurs appelle également le gouvernement à mieux soutenir les initiatives communautaires de protection contre les incendies de forêt, comme les coupe-feu et les restrictions sur les nouvelles constructions dans les secteurs à risque.


La Presse
17 hours ago
- La Presse
Le Canada et 24 pays appellent à mettre fin « immédiatement » à la guerre
Une femme pleure pendant les obsèques de Palestiniens tués dans des bombardements israéliens, Le Canada et 24 pays appellent à mettre fin « immédiatement » à la guerre (Londres) Le Royaume-Uni et vingt-quatre pays, dont la France, le Royaume-Uni et le Japon, ont appelé à mettre fin « immédiatement » à la guerre dans la bande de Gaza assiégée, dans un communiqué commun publié lundi. Agence France-Presse « Nous […] nous réunissons pour adresser un message simple et urgent : la guerre à Gaza doit cesser immédiatement », écrivent les signataires, pour qui « la souffrance des civils à Gaza a atteint de nouveaux sommets ». « Le modèle de distribution de l'aide mis en place par le gouvernement israélien est dangereux, alimente l'instabilité et prive les Gazaouis de leur dignité humaine », poursuivent-ils.


La Presse
20 hours ago
- La Presse
Le cessez-le-feu tient, des civils évacués de Soueïda
Les forces de sécurité du gouvernement syrien se tiennent près d'une barrière lors de leur déploiement à Busra al-Harir, en Syrie, le 21 juillet 2025. (Soueida) Les autorités syriennes ont évacué lundi des familles bédouines de la ville à majorité druze de Soueïda, à la faveur d'un cessez-le-feu qui a mis un terme à des affrontements intercommunautaires ayant fait plus de 1100 morts en une semaine, selon une ONG. Bakr KASSEM et Shadi AL DUBAISI, avec Acil TABBARA à Damas Agence France-Presse Ces violences, survenues après des massacres de centaines de membres de la communauté alaouite en mars, fragilisent encore plus le pouvoir islamiste d'Ahmad al-Chareh qui s'est pourtant engagé à protéger les minorités, dans un pays meurtri par près de 14 ans de guerre civile. Le cessez-le-feu annoncé samedi par les autorités est entré en vigueur dimanche, après le retrait des combattants bédouins et des tribus sunnites d'une partie de la ville de Soueïda, dont les groupes druzes ont repris le contrôle. La trêve était globalement respectée lundi, hormis des tirs signalés dans des localités au nord de Soueïda, a indiqué l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Un correspondant de l'AFP posté aux abords de Soueïda a vu des civils, dont des femmes et des enfants, évacués de la ville à bord d'autocars affrétés par les autorités et de véhicules privés. Selon l'agence officielle SANA, 1500 personnes de tribus bédouines doivent être évacuées. Les forces de sécurité ont érigé des barricades de sable aux entrées ouest et sud de la ville, selon le correspondant de l'AFP. Derrière ces barricades, des membres des forces de sécurité circulent, alors que des combattants des tribus sunnites, équipés de mitraillettes, sont assis sous les arbres bordant la route. Corps non identifiés PHOTO MALEK KHATTAB, ASSOCIATED PRESS Des familles bédouines syriennes montent à l'arrière de camions transportant leurs biens, dans un convoi conduit par des véhicules du Croissant-Rouge, après avoir été évacuées de Soueïda à la suite de plus d'une semaine d'affrontements violents, le 21 juillet 2025. Les affrontements ont éclaté le 13 juillet entre des groupes druzes et des Bédouins sunnites, avant l'intervention des forces de sécurité et de combattants de tribus venus d'autres régions syriennes qui ont pris le parti des Bédouins, selon des ONG et des témoins. Les deux parties ont été accusées par des ONG et des témoins d'exactions massives, dont des exécutions sommaires, qui ont touché principalement des Druzes. Au principal hôpital de Soueïda, où flotte une odeur de mort, des dizaines de cadavres attendaient lundi d'être identifiés pendant que des corps étaient encore collectés dans les rues et les maisons de la ville. « Nous avons remis 361 corps à des membres de leur famille, mais nous en avons 97 autres non identifiés », a déclaré un responsable de la morgue à l'AFP. Dimanche, un premier convoi d'aide humanitaire, chargé de vivres, de matériel médical, de carburant et de sacs mortuaires, était entré dans la ville de quelque 150 000 habitants, privée d'eau et d'électricité et où la nourriture commençait à manquer. 128 000 déplacés Samedi, des combattants tribaux étaient entrés dans la partie ouest de la ville, où un correspondant de l'AFP a vu des dizaines de maisons et de voitures brûlées et des hommes armés mettre le feu à des magasins après les avoir pillés. « Porcs de Druzes », « Nous venons vous égorger », affirment des graffitis laissés sur les murs. L'annonce du cessez-le-feu est intervenue quelques heures après une déclaration de Washington affirmant avoir négocié une trêve entre la Syrie et Israël, qui assure vouloir protéger les Druzes. Cet accord a permis le déploiement des forces gouvernementales dans la province, mais pas dans la ville même de Soueïda, ce que refusait jusqu'alors Israël. Israël, qui abrite une minorité druze, avait bombardé la semaine dernière le palais présidentiel et le quartier général de l'armée syrienne à Damas, ainsi que des positions des forces gouvernementales à Soueïda, pour les contraindre à quitter la région. Les violences ont fait plus de 1100 morts, selon l'OSDH, parmi lesquels 427 combattants et 298 civils druzes, dont 194 « exécutés sommairement » par les forces gouvernementales. Dans l'autre camp, 354 membres des forces gouvernementales et 21 Bédouins ont été tués. Près de 128 000 personnes ont été déplacées par les violences, d'après l'Organisation internationale pour les migrations. Présente principalement à Soueïda, la communauté druze de Syrie comptait avant la guerre civile quelque 700 000 personnes. Mais en raison de la vague d'émigration massive provoquée par la guerre, ils ne seraient plus que 600 000 aujourd'hui.