
Japon : «La quasi-paralysie politique reflète une culture qui privilégie depuis longtemps le consensus au conflit»
Christian Kessler est historien, professeur détaché à l'Athénée français de Tokyo et enseignant à l'université Musashi. Dernier ouvrage paru : Les kamikazés, leur histoire, leurs ultimes écrits (Perrin, août 2024).
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Au-delà des résultats, les élections partielles à la chambre haute ont une fois n'est pas coutume, révélé le vide abyssal de la culture politique du Japon, à savoir l'absence quasi-totale de vision pour l'avenir du pays. Que l'actuel premier ministre Shigeru Ishiba reste en poste ou pas n'y changera rien.
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Les partis politiques se sont pourtant bousculés pour se positionner les uns par rapport aux autres, mais aucun n'a réussi à formuler un plan cohérent pour les défis structurels graves qui se présentent au pays. Chaque parti s'est dépêché de proposer quelques réformettes dont la teneur est surtout révélatrice d'un manque d'ambition. Le PLD (Parti Libéral Démocrate au pouvoir) a une nouvelle fois réitéré ses promesses de revitalisation de l'économie, se contentant cependant d'ajustements progressifs plutôt que de véritables transformations. Le PDC (Parti démocrate constitutionnel) en a fait de même avec des propositions a minima comme une augmentation des salaires et quelques ajustements aux programmes sociaux. Des nouveaux venus comme Reiwa Shinsengumi et Nippon Ishin no Kai, se sont montrés tout aussi prudents et peu inspirés. Reste le parti Sanseito qui a gagné en popularité grâce à son programme férocement populiste, plus d'ailleurs par le mécontentement croissant des électeurs à l'égard de l'establishment, par un vote de protestation contre le statu quo, que par une vision alternative que ce parti ne propose pas du tout, à l'instar de mouvements similaires en Europe et en Amérique.
Au vrai, toutes les formations ont focalisé leurs discours sur les migrants illégaux, la criminalité liée à ces mêmes migrants, les mesures à prendre de contrôle aux frontières et cela bien que les résidents étrangers représentent moins de 3% de la population de l'archipel et que leur taux de criminalité est par ailleurs inférieur à la moyenne nationale. Cette ruée vers les étrangers montre s'il en est encore besoin, la pauvreté de la réflexion politique ainsi qu'une prédisposition inquiétante pour la recherche de bouc émissaire.
Cette quasi-paralysie politique reflète une structure culturelle profonde qui privilégie depuis longtemps le consensus au conflit, l'harmonie à toute perturbation, la cohésion collective à tout le reste. Christian Kessler
Inquiétante aussi par rapport aux défis auxquels le pays doit faire face : crise démographique avec une chute de la natalité et un vieillissement de la population qui menace à terme la vitalité économique déjà en berne et sans doute même la cohésion sociale. Les inégalités entre les sexes profondément ancrées dans la mentalité, privent le pays de talents et perpétuent des structures sociales obsolètes. Les établissements d'enseignement rigides dans leur forme, mal équipés, peu ouverts à l'étranger, ne favorisent en rien la créativité, ou même toute adaptation nécessaire.
Cette quasi-paralysie politique s'explique en partie notamment par le caractère factionnel de la politique japonaise, par le pouvoir toujours puissant d'une bureaucratie et d'intérêts privés qui freinent les changements. Mais plus encore, cette paralysie reflète clairement une structure culturelle profonde qui privilégie depuis longtemps le consensus au conflit, l'harmonie à toute perturbation, la cohésion collective à tout le reste. Ces valeurs ont certes leurs vertus, contribuant à une stabilité sociale, à une solidarité de groupe que nombre de pays pourraient envier. Mais en contrepartie, ces valeurs culturelles constituent un frein puissant à l'émergence de talents individuels, de visionnaires capables de se projeter dans le futur. Les réponses politiques restent fragmentaires et réactives, sans qu'aucun parti n'ose proposer des réformes structurelles. Le déclin démographique se poursuit vivement, les relations du genre ou du travail évoluent très peu et le système éducatif est à bout de souffle alors que toute innovation exigerait de remettre en question les hiérarchies établies.
Et pourtant, le Japon possède des atouts considérables qui pourraient permettre une vision nationale convaincante : prouesses technologiques – quoique en repli -, créativité culturelle, cohésion sociale, institutions démocratiques, constituent tout de même une base solide pour relever les défis. Il pourrait proposer un modèle de prospérité inclusive, de développement durable, d'adaptation créative. Mais où sont passés les visionnaires, les réformateurs de Meiji, ceux aussi qui ont reconstruit le Japon sur les cendres de la Seconde guerre mondiale, puis ceux qui ont permis au Japon de se hisser dans la cour des grands ? À une époque où les visions nationalistes et autoritaires se concurrencent dans leur essor, le Japon pourrait proposer un modèle alternatif, ou serait allié dynamisme économique, cohésion sociale, innovation technologique, continuité culturelle et pourquoi pas même engagement mondial. Tout le potentiel est là. Manque hélas une nouvelle culture politique laquelle devrait être enseignée dans les écoles et les universités ou tout au vrai est fait pour ne jamais parler de politique et ne pas préparer une génération plus innovante et davantage tournée vers l'extérieur.
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