
Le Québec face à de nombreux défis
En 45 minutes à peine, le niveau du fleuve Guadalupe, au Texas, a grimpé de huit mètres, le 4 juillet dernier, quand 225 millimètres de pluie se sont abattus sur le comté de Kerr, faisant au moins 120 morts et plus de 170 disparus. Les images de maisons ravagées et des rues ensevelies d'eau mènent aux questions suivantes. Le Québec est-il prêt à de pareilles situations météorologiques ? Et de telles inondations pourraient-elles se produire ici ?
« Le réchauffement climatique est le premier contributeur des pluies accrues, ce qui fait augmenter le risque d'inondations au Québec », affirme Simon Legault, communicateur scientifique chez Ouranos. L'air plus chaud peut contenir davantage d'humidité, ce qui intensifie les précipitations. « C'est un phénomène qui s'est produit au Québec, qui se produit et qui se produira de plus en plus en raison du réchauffement climatique. »
Les pluies abondantes frappent désormais à différentes périodes de l'année, causant des crues fluviales ou des inondations-éclairs. Le Québec a connu un tel épisode l'an dernier dans la région de Montréal avec la tempête Debby, qui a aussi provoqué d'importants refoulements dans les égouts municipaux. Ces épisodes extrêmes restent difficiles à prévoir précisément.
PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
Les restes de l'ouragan Debby avaient frappé le sud du Québec en août 2024. La région de Montréal avait alors connu un épisode de pluie sans précédent.
« On s'attend à de plus en plus de grosses pluies, mais nous ne sommes pas encore capables de dire où au Québec », note M. Legault. Une révision complète des cartes de zones inondables est en cours. Les nouvelles versions sont attendues d'ici mars 2026. « Mieux connaître son risque permet de mieux se préparer. »
Il s'agit d'une mise à jour urgente, selon Philippe Gachon, professeur d'hydroclimatologie à l'UQAM, puisque les cartes actuelles « ne prennent pas en compte les précipitations torrentielles comme celles qu'on a observées au Texas ».
« Est-ce que nous sommes prêts ? La réponse est en partie oui, mais en grande partie non », tranche le professeur. Les outils de modélisation à très haute résolution pour simuler des précipitations importantes manquent encore de mise au point et de financement.
Nous travaillons à concevoir ces outils [de modélisation], mais avec des fonds de recherche faméliques.
Philippe Gachon, professeur d'hydroclimatologie à l'UQAM
M. Gachon dénonce aussi un manque d'engagement politique. « Je ne pense pas que le réchauffement climatique fasse partie des priorités du gouvernement actuel. Si j'étais M. Carney, et que je regarde ce qui s'est passé aux États-Unis, je me demanderais si nous sommes prêts à un tel évènement. »
Une approche différente selon les régions
À l'échelle municipale, la réponse aux risques climatiques repose largement sur les moyens locaux. Depuis les grandes inondations de 2011, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu a renforcé sa capacité d'intervention avec des plans d'urgence, des exercices annuels, des partenariats logistiques avec d'autres municipalités et des outils d'alerte ciblée.
PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE
Des sinistrés se fraient un chemin dans une rue inondée de Saint-Jean-sur-Richelieu, en mai 2011.
Actuellement, 47 711 citoyens sont abonnés à son système automatisé de messages vocaux ou textos, et 25 504 à l'alerte par texto pour les crues ou le déneigement. « Lors de nos dernières mesures d'urgence, nous avons utilisé nos deux systèmes pour joindre le plus grand nombre de personnes », indique la Ville.
« Notre système nous permet de cibler les secteurs à risque, sans alerter toute la population et créer un effet de panique », souligne Jean Arsenault, directeur du Service de sécurité incendie de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. « Non seulement nous sommes prêts, mais on s'exerce aussi. » Ce système repose toutefois sur l'inscription volontaire.
Ailleurs au Québec, les réalités sont bien différentes. Stéphane Boutin, chargé de cours à l'École de santé publique de l'Université de Montréal, rappelle que certaines municipalités rurales comptent encore sur des bénévoles pour gérer les mesures d'urgence.
À Montréal ou à Québec, ils sont mieux outillés. Par contre, ailleurs, parfois ce sont des bénévoles qui gèrent les personnes sinistrées.
Stéphane Boutin, chargé de cours à l'École de santé publique de l'Université de Montréal
Selon M. Boutin, l'un des plus grands défis reste la communication. « Si on n'identifie pas les zones à risque, si on n'a pas de méthode pour joindre les gens et qu'on ne suit pas la météo adéquatement, un protocole peut flancher à différents endroits. »
« Une responsabilité partagée »
Du côté du gouvernement, Jean Savard, sous-ministre associé à la Sécurité civile, assure que le Québec prend le problème au sérieux. Dès décembre, des experts hydriques et des responsables de la sécurité civile se réunissent pour anticiper les risques d'inondation de la saison suivante. Des outils comme Québec en alerte, Urgence Québec, la plateforme Vigilance ou encore les alertes locales sont activés selon la gravité.
Consultez le site de Québec en alerte
Consultez les outils d'Urgence Québec
Consultez la plateforme Vigilance
« La sécurité civile, c'est une responsabilité partagée entre les citoyens, les municipalités et le gouvernement. » Selon lui, cette approche collaborative permet d'anticiper les évènements extrêmes, mais elle exige un engagement constant de toutes les parties, sur le plan tant de la prévention que de la réponse.
« Est-ce qu'on est bien préparés ? Oui. Est-ce qu'on peut l'être davantage ? Aussi. Nous avons un système en place pour bonifier notre approche », conclut M. Savard.
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Le complexe industriel de la Fonderie Horne, expoloité par l'entreprise Glencore, à Rouyn-Noranda La multinationale Glencore, propriétaire de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, a préoccupé beaucoup de citoyens quand elle a annoncé ne plus vouloir atteindre la norme québécoise pour la concentration d'arsenic dans l'air de 3 nanogrammes par mètre cube. Glencore demande au gouvernement du Québec de la laisser exploiter sa fonderie de cuivre à long terme avec une norme de 15 nanogrammes par mètre cube (ng/m3), a révélé l'entreprise à notre collègue Jean-Thomas Léveillé le mois dernier1. En 2023, l'entreprise disait pourtant vouloir « atteindre les objectifs » fixés par Québec. Glencore conteste même les travaux de la Santé publique du Québec. Regardons ce dossier complexe de plus près, en analysant les faits. Ce qu'exige Québec Depuis 2011, la limite légale de concentration d'arsenic dans l'air au Québec est de 3 ng/m3 (c'est une moyenne annuelle). En théorie, la norme s'applique partout au Québec. En pratique, environ 100 projets industriels existants, dont la Fonderie Horne, ont une autorisation du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs de dépasser ce seuil. Lors de sa dernière autorisation, accordée en 2023, Québec a forcé la Fonderie Horne à diminuer de façon importante ses émissions d'arsenic dans l'air : le seuil annuel maximal d'arsenic dans l'air devait passer graduellement de 65 ng/m3 en 2023 à 15 ng/m3 en 2027. D'ici à décembre 2027, Glencore doit aussi déposer un plan pour atteindre la norme québécoise de 3 ng/m3 (il n'y a pas d'échéancier pour atteindre la norme). L'entreprise partait de très loin. La concentration d'arsenic dans l'air dans le quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda était de 134 ng/m3 en 2015, 73 ng/m3 en 2022 et 39 ng/m3 en 2024. Glencore trouve aujourd'hui la norme de 3 ng/m3 trop sévère. Elle est effectivement stricte. L'Union européenne suggère une cible de 6 ng/m3. Les États-Unis n'ont pas de norme nationale. « C'est une norme qu'on adopte en vue de limiter les risques de cancer du poumon », explique Maryse Bouchard, professeure de santé environnementale à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS). Cela dit, Québec ne veut idéalement pas forcer des usines et d'une fonderie de cuivre à fermer. À Rouyn-Noranda, une ville de 43 000 habitants, la Fonderie Horne emploie 908 personnes. Pour protéger la population, le gouvernement établit donc un niveau de risque qu'il estime acceptable près des usines. Lorsqu'il est question de matières potentiellement cancérigènes, un risque considéré comme acceptable en Occident, par l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA) notamment, est généralement 1 cas additionnel de cancer pour 100 000 personnes2, 3, 4. Pour les fonderies de cuivre aux États-Unis, l'EPA estime que le niveau de risque acceptable est trois fois plus élevé, soit de 3 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes5. Selon l'INSPQ, pour le quartier Notre-Dame, tout près de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda6 : une concentration d'arsenic dans l'air respectant la norme québécoise de 3 ng/m 3 générerait 1,8 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes exposées durant 70 ans (risque prospectif total de l'arsenic, du cadmium et du nickel) ; générerait 1,8 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes exposées durant 70 ans (risque prospectif total de l'arsenic, du cadmium et du nickel) ; un taux d'arsenic dans l'air de 5 ng/m 3 générerait 2 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes ; générerait 2 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes ; un taux de 15 ng/m 3 générerait 3 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes, soit le niveau de risque considéré comme acceptable pour les fonderies de cuivre par l'EPA ; générerait 3 cas de cancer du poumon pour 100 000 personnes, soit le niveau de risque considéré comme acceptable pour les fonderies de cuivre par l'EPA ; un taux inférieur à 15 ng/m3 protégerait aussi les enfants contre les effets de l'arsenic sur leur développement cognitif. Le risque est moins élevé dans d'autres secteurs de la ville, plus loin de la fonderie. Ce que demande Glencore Avant d'investir 300 millions, Glencore veut obtenir l'assurance que Québec l'autorisera à long terme à émettre 15 ng/m3, et ne lui demandera pas de respecter la norme de 3 ng/m3. « Quinze nanogrammes par mètre cube, c'est une situation sécuritaire pour la communauté. On s'est engagés dans l'amélioration de l'environnement, mais c'est techniquement impossible de se rendre jusqu'à 3 ng/m3 », dit en entrevue Vincent Plante, directeur général pour la filière cuivre en Amérique du Nord de Glencore. En mars 2023, Glencore semblait pourtant plus optimiste : « On va mettre tous les efforts, les gens sont mobilisés et on veut atteindre les objectifs », disait alors Marie-Élise Viger, directrice de l'environnement de Glencore7. Pour contester la norme québécoise, Glencore s'appuie sur un rapport de septembre 2022 commandé à un expert américain, Christopher Martin, professeur à l'École de santé publique de l'Université de Virginie-Occidentale. Glencore avait présenté ce même rapport à Québec en 2022. M. Martin estime entre autres que Québec aurait dû mesurer le taux d'arsenic dans l'urine des citoyens, et non dans leurs ongles. Maryse Bouchard est fortement en désaccord avec les conclusions de ce rapport. De nombreuses études concluent que [la mesure de l'arsenic dans les ongles] est un excellent biomarqueur de l'exposition chronique. Maryse Bouchard, professeure de santé environnementale à l'INRS Glencore souligne que le taux d'arsenic dans l'air sans les activités de la Fonderie Horne a été estimé à 4,1 ng/m3 en 2022 par le ministère de l'Environnement. Dans ce contexte, impossible de respecter la norme de 3 ng/m3, estime l'entreprise. Québec juge toutefois que la concentration d'arsenic excluant les activités de la fonderie est probablement moins élevée actuellement en raison des « mesures de mitigation mises en place » depuis 2023. Glencore relève aussi que Québec exige que la concentration d'arsenic soit mesurée à l'endroit où elle est le plus élevée (dans la « station légale » située dans le stationnement de la fonderie), alors que l'Union européenne suggère de le mesurer là où vit la population en général. Il est vrai que le taux d'arsenic dans l'air est plus élevé près de l'usine qu'ailleurs à Rouyn-Noranda. En 2024, il était de 39,1 ng/m3 dans le stationnement de la fonderie, de 7,8 ng/m3 à l'aréna Glencore (le domicile des Huskies) et de 5,3 ng/m3 à l'hôtel de ville. Existe-t-il une voie de passage ? Afin d'échapper à une norme plus stricte, Glencore reprend des arguments qui datent de 2022. Or, l'étude de l'INSPQ qui soutient la décision de la Santé publique et du ministère de l'Environnement en 2023 est solide et détaillée. Elle se base sur 10 autres études d'organismes crédibles, dont trois agences de protection de l'environnement aux États-Unis, Santé Canada et l'Organisation mondiale de la santé. En contestant les travaux de la Santé publique, Glencore n'aide pas au débat et ne sert pas sa cause. Au-delà de ces considérations, devrait-on permettre à Glencore de se voir imposer une norme de 15 ng/m3 pour toujours ? Ça me semble malavisé. Un seuil de 15 ng/m3 à long terme, c'est trop élevé, on est trop près du seuil acceptable défini par l'EPA. Mieux vaut appliquer le principe de précaution et viser plus bas. Glencore doit-elle pour autant absolument atteindre 3 ng/m3 d'ici cinq ans ? C'est le cœur du débat en cours. Quand on regarde les chiffres et les rapports d'experts de plus près, ce qui me semble le plus important, c'est de passer le plus vite possible sous le seuil européen de 6 ng/m3. À 5 ng/m3, le taux de cancer du poumon attribuable à l'arsenic dans l'air est de 2 cas pour 100 000 personnes. À 3 ng/m3, c'est 1,8 cas. Bref, il est plus important de passer de 15 à 6 ng/m3 rapidement que de passer de 6 à 3 ng/m3. Surtout si on considère que la concentration d'arsenic dans le quartier Notre-Dame est à un niveau dangereusement élevé depuis des décennies. En plus, le taux d'arsenic dans l'air sans les activités de la fonderie est évalué quelque part entre 2 et 4,1 ng/m3. Peut-on vraiment exiger d'atteindre 3 ng/m3 dans ces conditions ? Ma suggestion pour Québec : exiger une diminution à une concentration d'arsenic dans l'air comprise entre 3 et 6 ng/m3 d'ici cinq ans. En tenant compte des circonstances et des avis d'experts, il me semble que ce niveau de risque est acceptable. 1. Lisez l'article « La Fonderie Horne refuse de respecter la limite provinciale » 2. Consultez une étude de Carex Canada sur l'estimation du risque excédentaire de cancer sur toute la vie (en anglais) 3. Consultez un sondage sur les pratiques actuelles à Santé Canada en matière d'évaluation des risques de cancer 4. Consultez un chapitre sur l'évaluation des risques et des dangers de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (en anglais) 5. Consultez une décision de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (en anglais) 6. Consultez un rapport d'évaluation du risque de l'Institut national de santé publique du Québec 7. Lisez l'article « Québec ignore les besoins des résidants qu'il veut déplacer » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue


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Si la reproduction sexuée repose sur deux gamètes, les caractéristiques sexuées des corps humains présentent une diversité bien documentée. L'identité de genre, pour sa part, est une réalité vécue qui, tout en n'étant pas complètement indépendante de la biologie, dépasse largement ce cadre. Son analyse relève d'autres disciplines et expériences que nous respectons. La diversité des caractéristiques sexuées Tout au long de son développement, le corps humain est l'objet d'un processus de sexuation aux niveaux chromosomique, génétique, hormonal et environnemental. Comme la diversité biologique est l'un des principes de base de toute reproduction sexuée, les corps présentent une panoplie de possibilités et d'interactions génétiques, anatomiques et physiologiques, comme en témoigne, par exemple, la variété de couleurs des yeux. Autrement dit, la biologie fonctionne souvent par spectres, et non pas nécessairement en mode binaire. Il en va de même pour nos caractéristiques sexuées. 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Nous vous invitons à consulter les témoignages et les avis éclairés des personnes expertes intersexes1. Tout comme l'homosexualité et la transidentité ne sont plus considérées comme des maladies par le milieu médical, il est possible de considérer les variations intersexes comme n'étant que l'expression de la diversité des caractéristiques des corps humains. Réalité ou vulgarisation ? Le Comité fait part de ses craintes quant à la négation de la réalité. Or, cette vision réductrice du sexe comme étant binaire correspond à une manière de simplifier la réalité, plutôt qu'à la réalité elle-même. Si, dans la majorité des cas, la production des gamètes suit en effet une logique binaire, cette classification n'est pas neutre et peut avoir des répercussions négatives sur les minorités sexuelles. D'autres options existent pour conceptualiser et vulgariser cette réalité, mais l'idée de l'existence d'un « troisième sexe » n'en est pas une. Le Comité des sages présente à tort les critiques de la binarité du sexe comme prônant une « troisième catégorie » unique. Or, le document qu'il cite n'impose ni nouvelle case ni rejet des repères traditionnels2. Il reconnaît simplement que certaines trajectoires ne s'y inscrivent pas aisément. Cela n'empêche en rien qu'une personne s'identifie comme femme ou homme. C'est l'admission de la variabilité comme principe qui compte, pas l'existence d'un nombre, quel qu'il soit, de casiers étiquetés dans lesquels il apparaîtrait nécessaire, par réflexe essentialiste, d'enfermer les personnes. Il en va de même pour l'acceptation de la diversité des orientations sexuelles ; elle ne remet pas en cause l'hétérosexualité. La biologie n'est pas contredite ; elle est simplement mieux comprise. L'idée de simplement considérer que les caractéristiques sexuées des corps humains puissent présenter de la variabilité est une voie intéressante et capable de rendre compte d'un plus grand nombre d'observations et de réalités. De manière simplifiée, l'idée d'un ou de plusieurs spectres constitue une vulgarisation intéressante qui ne manque d'aucune rigueur, et qui ne nie aucune réalité biologique observable. De plus, elle permet de ne pas médicaliser des variations anatomiques qui n'entraînent pas de problèmes de santé, et se montre donc plus inclusive des réalités des personnes intersexes. * Cosignataires : Dominique Dubuc, enseignante de biologie, cégep de Sherbrooke, Patrice Babeux, professeur de biologie, cégep de Lévis, Yannick Skelling-Desmeules, chargé de cours en didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Patrice Potvin, professeur de didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Geneviève Allaire-Duquette, professeure de didactique des sciences et technologies, Université du Québec en Outaouais, Pierre Chastenay, professeur de didactique des sciences, Université du Québec à Montréal, Maeva Badré, doctorante en sciences biomédicales, faculté de médecine de l'Université de Genève, Isabelle Arseneau, professeure d'éducation spécialisée en didactique des sciences, Université du Québec à Rimouski, Yann Surget-Groba, professeur de biologie, Université du Québec en Outaouais, Catherine Mounier, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Karine Dufresne, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Claire Bénard, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Alain Paquette, professeur de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Daniel Kneeshaw, professeur de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Vanessa Poirier, candidate au doctorat en sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Morgane Urli, professeure de sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Karine Pedneault, professeure de biochimie, Université du Québec en Outaouais, Laura Schillé, postdoctorante en sciences biologiques, Université du Québec à Montréal, Maxime Corriveau, chargé de cours en didactique des sciences, Université Laval, Simon Duguay, chargé de cours en didactique des sciences, Université Laval, Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières 1. 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