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Les talibans obligent les femmes à travailler dans l'ombre

Les talibans obligent les femmes à travailler dans l'ombre

La Presse2 days ago
Exclues de presque toutes les professions bien rémunérées, les Afghanes se rabattent sur des emplois non qualifiés et mal payés, souvent clandestins.
(Kaboul) Le 25 juillet 2024, les talibans ont commencé à fermer tous les salons de beauté et de coiffure d'Afghanistan, considérés comme contraires à la loi islamique. Ces salons étaient un des derniers secteurs permis aux entrepreneuses. Un an après, les possibilités des Afghanes se réduisent comme une peau de chagrin.
Rick Noack
The Washington Post
Pour Simine, 22 ans, chaque nouvelle cliente lui fait craindre d'être arrêtée.
Elle demande aux nouvelles venues de se garer à plusieurs rues de chez elle et d'éviter les patrouilles. Ensuite, elles doivent se diriger vers une porte sans enseigne et s'annoncer à voix basse.
Simine tient un salon de coiffure et de beauté. Elle faisait de bonnes affaires jusqu'en 2023. Les talibans ont alors interdit tous les salons, accusant leurs propriétaires de « vices interdits par l'islam ».
J'ai peur que les talibans nous trouvent, mais je dois continuer. C'est la seule source de revenus de notre famille.
Simine, propriétaire d'un salon de beauté
Simine n'avait jamais rêvé d'ouvrir un salon de beauté, encore moins un salon clandestin. Au terme de ses études secondaires, en 2020, elle voulait devenir chirurgienne cardiaque.
Mais l'armée américaine s'est retirée d'Afghanistan l'année suivante et les talibans ont repris le pouvoir. Le nouveau régime a imposé une ségrégation des sexes extrême : pas d'éducation des filles au-delà de la sixième année ; aucune femme dans la fonction publique ; règles vestimentaires draconiennes et restrictions des déplacements appliquées par la police des mœurs.
Au début, les 12 000 salons de beauté du pays – rares lieux publics où les femmes pouvaient encore se réunir – semblaient épargnés. Simine a saisi cette occasion. Les fiancées afghanes, privées de vie sociale, accouraient pour essayer de nouveaux looks avant leur mariage, raconte-t-elle. Simine et sa sœur pouvaient nourrir toute leur famille grâce à leurs revenus, y compris leur père et leur frère au chômage.
Contraire à la loi islamique
Mais ce secteur florissant a vite suscité l'ire des talibans, qui, à l'été 2023, ont ordonné la fermeture des salons.
Le ministère de la Vertu et du Vice a annoncé que l'épilation des sourcils, le maquillage et la pose de mèches étaient « contraire à la charia », ce caprice des mariées étant de surcroît un « fardeau financier indu pour les familles des mariés ».
« Nous avions ouvert ce salon avec tant d'espoir et d'amour, dit Simine. Je ne trouve pas les mots pour décrire le choc quand on nous a ordonné de fermer. »
PHOTO RAHMAT GUL, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Une esthéticienne maquillant une cliente dans un salon de beauté à Kaboul, en 2021
Selon Saïf-ul-Islam Khyber, porte-parole du ministère de la Vertu et du Vice, le gouvernement n'a pas prescrit de sanctions précises pour les femmes qui enfreindraient cette décision. Mais selon l'ONU, plusieurs femmes ayant refusé d'obtempérer ont été arrêtées en 2023.
Exclues de presque toutes les professions bien rémunérées, les Afghanes se rabattent sur des emplois non qualifiés et mal payés, souvent clandestins. Parmi la quinzaine de femmes interviewées pour cet article, presque toutes ont demandé l'anonymat ou donné seulement leur prénom, de crainte d'être visées par le gouvernement.
PHOTO ATIF ARYAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Des femmes afghanes vêtues de burqas vendant du pain naan au marché de Mazar-i-Sharif
Dans ce pays marqué par 45 ans de guerre ayant tué ou handicapé tant d'hommes, les femmes sont souvent les seules ou les principales sources de revenus des familles ; beaucoup travaillent dans l'ombre pour de maigres salaires.
Sawita, 30 ans, subvient aux besoins de sa mère handicapée et de ses cinq jeunes frères et sœurs. Son père a été tué en 2017 dans un attentat suicide des talibans. Quand ils ont interdit les salons de beauté, Sawita a eu trop peur pour continuer clandestinement.
Elle travaille désormais le cuir et enseigne la maroquinerie et la cordonnerie à d'autres femmes dans un sous-sol à Kaboul. Mais son salaire est si maigre que sa famille a dû déménager dans un petit logement à une seule chambre. Même aujourd'hui, son estomac se noue quand elle aperçoit la police des mœurs dans les rues. Et elle rêve de rouvrir son salon : « C'était ma définition de la liberté. »
Séparation des sexes
Les talibans n'ont pas caché leur intention d'empêcher les femmes de travailler. Dans une entrevue à la télévision afghane en 2023, le vice-ministre du Travail, Din Mohammad Haqbin, a déclaré que « 95 % des Afghans ne veulent pas que leurs femmes travaillent », accusant les 5 % restants d'avoir subi un lavage de cerveau par l'Occident.
Depuis, le régime a nuancé sa position, autorisant le travail des femmes sans adoucir sa politique de séparation des sexes. Elles peuvent travailler dans « leurs secteurs spécifiquement réservés », affirme Samiullah Ibrahimi, porte-parole du ministère du Travail.
Les talibans ont permis l'ouverture de marchés non mixtes où les femmes peuvent vendre vêtements, poterie et autres produits. Les femmes sont encouragées à travailler dans les écoles pour filles, les hôpitaux pour femmes et les prisons pour femmes.
PHOTO CAROLYN VAN HOUTEN, ARCHIVES THE WASHINGTON POST
Deux femmes discutant dans un marché réservé aux femmes à Ishkashim, dans la province de Badakhchan, en 2024
« Un environnement de travail sûr a été mis en place pour les femmes », dit M. Ibrahimi.
Certaines femmes disent trouver leur place dans le nouvel ordre, comme Fariba Noori, une entrepreneuse de 50 ans qui aide les Afghanes à créer des étals sur les marchés ou à lancer leur entreprise. Elle dit ne pas subir d'ingérence de la part des talibans : « Ils nous disent de travailler et ils sont coopératifs. »
Or, de nombreuses femmes, surtout celles qui ont grandi sous l'ancien régime soutenu par l'Occident, se disent opprimées.
« J'ai arrêté de postuler à des emplois », déplore une ancienne employée de la Banque mondiale sans travail depuis le retour des talibans. « C'est sans espoir ici. »
Là où les femmes peuvent travailler, elles se heurtent à de sérieuses entraves. Elles ne peuvent se déplacer dans le pays sans un tuteur masculin. Et les règles de la police des mœurs semblent souvent vagues et arbitraires, disent-elles. De nombreuses entreprises préfèrent ne pas en engager.
L'été dernier, la police s'est rendue dans une station de radio dans la province de Parwân. Une employée de 24 ans, prévenue par ses collègues, s'est cachée. Rentrée chez elle, elle a décidé de démissionner. Chaque matin, elle regarde ses courriels, espérant une invitation à une entrevue d'embauche ailleurs : « J'espère que ma prière sera exaucée », dit-elle.
Un horizon bouché
Certaines femmes se lancent dans le commerce en ligne. Beheshta, 23 ans, a commencé à vendre des cosmétiques et des bijoux en octobre 2023. Ses amies et d'autres femmes ont aimé l'idée. Certaines l'ont contactée pour lui demander conseil sur le commerce en ligne.
PHOTO CAROLYN VAN HOUTEN, ARCHIVES THE WASHINGTON POST
Une femme passant devant un salon de barbier pour hommes à Kaboul
Mais dans ce pays en délabrement économique, les petits commerces lancés par des femmes en arrachent. L'aide étrangère se tarit – l'administration Trump a mis la hache dans l'aide humanitaire et économique américaine – et beaucoup craignent une crise prolongée.
Beheshta signale que sa clientèle commence à se plaindre des prix. Cela n'arrivait pas auparavant. Son chiffre d'affaires est en baisse d'environ 20 % depuis six mois.
« Au début, je pensais que c'était ma faute. Puis j'ai compris que tout le monde vivait les mêmes difficultés. »
Selon Noori, la conseillère commerciale, des dizaines de demandes de financement international d'entreprises lancées par des femmes ont été rejetées ces derniers mois. « Tout ce qu'on veut, c'est outiller les femmes pour leur indépendance », dit-elle.
Pour Simine, ce but s'éloigne à vue d'œil. Elle s'est décidée à demander l'asile à l'étranger « pour continuer à étudier et à travailler pour atteindre [ses] objectifs ».
Cet article a été publié dans le Washington Post.
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