
Grande scène du Paléo: Queens Of The Stone Age: «J'allais mourir, j'en étais persuadé»
Devenu monument du rock américain, le groupe sera samedi la vedette du Paléo. Son fondateur et chanteur, Josh Homme, raconte sa vie… et ses morts. Publié aujourd'hui à 19h48
Josh Homme, chanteur et âme des Queens Of The Stone Age, à Genève le 26 juillet 2025.
Joseph Carlucci
Tous les chemins mènent au Paléo. Ils peuvent naître dans des contrées sauvages, traverser de petites villes puis des mégapoles surpeuplées, passer évidemment par Rome et s'aventurer dans les catacombes de Paris. Au final, c'est sur la plaine de l'Asse qu'ils débouchent: apparu dans le désert de Palm Springs, Californie, Queens Of The Stone Age est attendu en tête d'affiche, devant 35 000 personnes, samedi 26 juillet à minuit.
Malgré leur nom, rien n'était plus improbable que ce sacre paléolithique pour «les reines de l'âge de la pierre». L'histoire du groupe, QOTSA pour les intimes, est une histoire de survie. D'un jeune guitariste fou de punk rock, Josh Homme, qui réinvente le son du metal avec Kyuss, avant de se saborder faute de succès en 1996. Il crée QOTSA comme le véhicule éphémère pour, en trio, donner une suite à ses appétits électriques. Le groupe parle d'hédonisme, de désert et de défonce, un peu de Dieu et beaucoup du diable.
Queens Of The Stone Age: cinq Californiens savourant l'éternité des catacombes parisiennes.
Andreas Neumann
Devenu quintette, il gravit les marches du succès dans un jusqu'au-boutisme dangereux. Homme en paie le prix: son dernier album en date, «In Times New Roman», a été composé durant sa maladie – une forme de cancer qui l'a contraint, l'été dernier, à annuler sa tournée européenne. Ce printemps, un 5-titres acoustique, superbe, retrouvait le groupe… dans les catacombes de Paris! À la vie, à la mort… Quelques heures avant son concert au Paléo, Josh Homme, 52 ans, apparaît dans le hall de l'hôtel aminci mais solide. Interview.
Pourquoi ce choix d'un disque dans les catacombes?
Quand j'étais enfant, en cours d'histoire, on nous montrait des photos de celles de Rome et de Paris. Je trouvais cette représentation artistique de la mort totalement fascinante et terrifiante. Il y a une vingtaine d'années, j'avais un jour de congé à Paris et j'ai voulu les visiter, mais je n'ai pas pu rentrer. La file d'attente était gigantesque. Il m'est alors venu à l'esprit la chose la plus capricieuse que l'on puisse imaginer de la part d'un musicien: «Pour éviter la file, il me suffirait de venir jouer ici!» (Rire) Parfois, les bons projets naissent d'idées stupides.
Dans le film qui accompagne le 5-titres, on vous voit découvrir les lieux, stupéfait. Vous dites: «Ici, c'est le même temps, toujours.»
J'étais renversé par cette idée de constance, d'inamovibilité. J'y ai vu une forme de paix. Je traversais moi-même un épisode physique difficile… (une pause) Me retrouver soudain dans cet endroit, 20 ans plus tard, m'a renvoyé à ma propre mortalité, à une forme de destin, comme si je me trouvais là où je devais être. Cela a suscité de nombreuses questions personnelles.
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe.
Parlant du dernier album de The Cure, Robert Smith disait de la mort: «Quand on est un jeune musicien, on porte un regard romantique envers elle. Puis, elle touche votre famille, vos amis proches, elle devient une réalité que l'on n'aborde plus de la même façon…»
Je suis d'accord, absolument. J'ai failli mourir trois fois. Il y a un sentiment particulier lié au fait de ne pas mourir, qui devient le véritable moteur de sa vie. C'est pourquoi je suis déjà de retour sur scène.
Vous faites référence à l'annulation de votre tournée européenne, l'an passé?
Oui, on m'a rapatrié aux États-Unis. Quand je suis descendu de l'avion, j'avais plus de 40 degrés de fièvre, des hallucinations. On me collait des sacs de glace sur le corps, mon pouls battait à 120. J'étais couché sur une table et j'entendais les médecins qui s'inquiétaient. Je me suis dit que j'allais mourir, j'en étais persuadé.
De g à dr.: Troy Van Leeuwen (gtr), Dean Fertita (claviers), Josh Homme, Michael Shuman (basse) et Jon Theodore (batterie)
DR
Cela vous a-t-il contraint à mettre un frein à votre côté rock'n'roll pour lequel vous êtes réputé? En 2001, le couplet de «Feel Good (Hit of the Summer)» faisait le catalogue des ingrédients nécessaires à un bon été: nicotine, Valium, Vicodin, marijuana, ecstasy, alcool et cocaïne…
Vous savez, j'ai souvent vu mes chansons comme une façon d'appuyer sur des boutons. Genre: que se passe-t-il si on dit simplement ces mots, sans rien d'autre? Que font les gens? Il y avait une forme de provocation qui ne reflétait pas mon style de vie au quotidien. J'ai grandi en écoutant Iggy Pop, Jim Morrison, même Joni Mitchell, des artistes qui ne s'excusent pas d'être là, ne demandent pas votre permission pour affirmer des trucs. Rester soi-même: c'est à la fois très con à dire et extrêmement difficile à faire. J'aime que ma musique éclabousse les gens. Le pire pour moi serait de jouer un jeu sur scène.
Dans la chanson «What the Peephole Say», vous clamez vous ficher de l'avis des gens. C'était une manière de réagir à ces dernières années où votre vie personnelle fut sous la loupe?
C'est douloureux d'être mal compris, et on ne peut pas faire du porte-à-porte pour s'expliquer et rétablir des vérités. (ndlr: Josh Homme et son ex-épouse Brody Dalle se sont déchirés au tribunal pour la garde de leurs trois enfants, finalement confiés au père). J'ai essayé d'ignorer tout cela le mieux possible. C'était dur.
Cela dit, je comprends que je puisse être polarisant dans ma musique et ma personnalité. J'ai toujours été franc, même dans mes défauts et mes excès. De nos jours, tout devrait être corrigé, amélioré. On dit: «Oh, tu devrais travailler là-dessus.» Je n'y crois pas forcément. Je pense qu'apprendre à être soi-même, et l'accepter, est un exercice noble. À mon sens, si 15 ou 20% des gens ne te détestent pas, c'est que tu es nul. Que ton art ne touche personne.
Allez-vous beaucoup sur internet ?
Non. Ma kryptonite serait de m'observer, de lire les commentaires et les critiques sur ma vie ou mon groupe.
On voit dans le film «Alive in the Catacombs» votre fils aîné, en coulisses d'un concert, les yeux rivés sur son Smartphone. Comment le père réagit à cette addiction généralisée?
À la maison, on a une «boîte à téléphones» – il m'est arrivé de devoir y mettre un cadenas. (Rire) Ce dont je suis fier, c'est que quand je dis à mes enfants: «C'est bon, stop» ils me répondent: «OK.» J'aimerais qu'ils aient une passion ailleurs que le monde virtuel.
Pour vous, ado, c'était votre guitare?
Oui. Mais ma seule passion aujourd'hui, ce sont eux.
Au Paléo, vous jouez le même soir que Sex Pistols… Vous vous imaginez encore sur scène à 70 ans?
Pour être honnête, je ne veux pas continuer à jouer à haut volume. Je ne le ferai peut-être plus dans trois ans. Ça n'a plus autant d'importance pour moi. Parfois, j'ai l'impression que la puissance est un obstacle. J'ai compris depuis longtemps que se cacher sous un manteau d'étrangeté ou derrière un mur de son n'était pas aussi gratifiant que montrer ma fragilité. Dès lors que j'ai découvert qu'être vulnérable était une voie, je n'ai jamais cessé de la poursuivre.
Une raison pour laquelle vous avez choisi «Running Joke» pour ouvrir le disque enregistré sous terre? Une face-B datant de 2005…
Oui, j'ai toujours été fier de notre côté plus doux. Mais peut-être parce que nos chansons les plus populaires sont les plus puissantes, elles ont éclipsé le côté fragile et doux des Queens Of The Stone Age. «Running Joke» est l'incarnation d'une chanson douce qui avait disparu, ensevelie sous toutes nos guitares. J'ai pensé que cette chanson méritait d'être mise en avant. De renaître dans les catacombes.
Nyon, Paleo. Sa 26 juillet, Gde scène. www .paleo.ch
Plus de Paléo
François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


24 Heures
40 minutes ago
- 24 Heures
1000 vies – Eddie Palmieri, l'autre réchauffement climatique
Opinion Le légendaire musicien d'origine portoricaine est décédé le 7 août aux États-Unis, à l'âge de 88 ans. Hommage. Chronique Publié aujourd'hui à 09h29 En bref: Je souhaitais vous en parler tout de même. Parce que lorsqu'il est mort à 88 ans, il y a une poignée de jours , dans le New Jersey, à une douzaine de miles du South Bronx new-yorkais où il avait grandi, nous étions trop occupés à d'autres affaires américaines . Pourtant, la fin d'Eddie Palmieri est un événement bouleversant et considérable, qui porte aussi sa dimension politique. Cette musique, que l'on peine à qualifier du générique mot de «salsa», tant elle le dépasse par son génie propre, est entièrement dédiée à la «Justicia», comme était titré un album fameux de 1969. Et la justice, pour ce New-Yorkais si merveilleusement portoricain, c'était aussi et d'abord la reconnaissance de l'art du mambo, du latin jazz, des musiques afro-cubaines, du funk même, de tout ce qu'il touillait dans son chaudron unique du Spanish Harlem pour parler des gens, de leur difficulté à vivre et à aimer. Certaines radios américaines refusaient parfois de passer ses disques, comme l'infernal et ahurissant «Mambo con conga is Mozambique» , au milieu des Sixties, parce qu'elles trouvaient ça trop «communiste». Bien avant Trump et sa haine, il y eut d'autres abrutis. Au piano, Palmieri avait commencé par Bach, qui l'ennuyait avec ses tournures de prof de maths. Il ne comprenait pas grand-chose au jazz, avant d'être miraculeusement happé par Monk et McCoy Tyner. Il avait appris un peu de percussions, idolâtrait Tito Puente, et alors tout s'est mis en place. Ce déferlement d'orage, compositions fantastiques, ce réchauffement climatique de la musique du monde, ces arrangements en feu, cuivres, timbales et congas, d'une infinie complexité harmonique, d'une sauvagerie sensuelle et heureuse. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Par-dessus, son piano traçait des éclairs au ciel, façon panthère un peu folle, les accords sautillants et forts, cherchant toujours un chemin inhabituel du solo déchirant l'espace des trombones et saxes. Palmieri prétendait être parvenu presque à scientifiser l'affaire: «Je ne me demande pas si ça va vous faire danser. Je le sais.» Il y a dans mon cœur un instant avec lui sur une terrasse de Montreux, au milieu des années 90. La chemise forcément bariolée, son exubérance, cette envie de partager ce qui était un chef-d'œuvre toujours inégalé, mix définitif entre jazz et afro-cubain: «Palmas» . Il disait les mots «amigo», «cariño», et je le regardais un peu aveuglé par la puissance de sa légende. Eddie Palmieri était un totem qui a changé la musique du XXe siècle. Voilà, il fait encore un peu chaud au-dehors. On se plaint de la canicule. Et je ne sais pas si le mambo et les salseros sont encore à la mode, je n'en suis pas sûr. Mais le son et la musique de cet homme, prenez n'importe laquelle, avec sa joie si mélancolique, serait pourtant parfaitement adéquate, en la mettant surtout très fort, pour dire nos existences brûlantes. Palmieri, sur la terrasse de jadis: «La vie est comme ça: d'abord on marche, puis on court. Et ensuite on danse.» Salsa, jazz et hommages Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Christophe Passer, né à Fribourg, travaille au Matin Dimanche depuis 2014, après être passé notamment par le Nouveau Quotidien et L'Illustré. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
40 minutes ago
- 24 Heures
Le Venoge Festival face à une influence record en 2025
Accueil | Culture | Festivals | L'événement du Gros-de-Vaud annonce avoir attiré 50 000 personnes en 2025. Bigflo & Oli, Mika, Sean Paul et SCH étaient notamment programmés. Publié aujourd'hui à 09h44 Le Venoge Festival n'avait jamais attiré autant de personnes (photo d'archives). KEYSTONE/LAURENT GILLIERON Le Venoge Festival a connu une affluence record pour son 30e anniversaire. De mercredi à samedi à Penthaz (VD), la manifestation a attiré 50'000 personnes grâce notamment à deux soirées à guichets fermés. Le festival avait attiré 42'000 spectateurs en 2024. L'édition record remontait à 2022 avec 43'000 visiteurs, mais le festival s'étalait alors sur cinq soirs. Cette affluence «jamais atteinte jusqu'ici» vient confirmer «l'ampleur que prend le festival, devenu aujourd'hui un acteur culturel, social et économique incontournable du canton de Vaud», se réjouissent dimanche les organisateurs. Ils saluent notamment la nouvelle disposition du site avec le déplacement de la scène principale, désormais installée devant une pente naturelle. De quoi offrir «une expérience immersive et panoramique, qui renforce l'émotion des grands concerts», poursuit le communiqué. Aucun incident Parmi la trentaine de concerts au programme, les organisateurs citent plusieurs «moments forts», dont les prestations de Bigflo & Oli, Mika, Sean Paul, Sheila, Jok'Air, SCH ou encore Mosimann. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Malgré la canicule, le festival dit avoir «tenu bon» en prévoyant brumisateurs, zones d'ombre, points d'eau et prévention. Aucun incident majeur n'a entaché le festival, tant sur le plan sanitaire que sécuritaire. Le festival du Gros-de-Vaud, dont le budget atteint 5,5 millions de francs, boucle cette édition anniversaire sur un exercice financier équilibré, affirme-t-il. La prochaine édition est programmée du 12 au 15 août 2026. Nos articles sur le Venoge Festival ATS Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
an hour ago
- 24 Heures
L'amitié entre jeunes et vieux, est-ce que ça marche?
Les amitiés intergénérationnelles sont rares, mais selon Thomas Bodmer, Christian Fichter et Sahra Wagenknecht, à Zurich, elles sont parmi les plus bénéfiques. Publié aujourd'hui à 09h07 Happy Hippies: les différences d'âge sont secondaires si l'on partage des intérêts communs. Photo: PD Le philosophe pop Alain de Botton écrivait récemment: «À partir de 30 ans, on ne se fait plus d'amis.» «Je le plains, le pauvre!», dit Thomas Bodmer en riant. Le journaliste zurichois a 70 ans, sa femme 60. «Et notre cercle d'amis est toujours en mouvement, il grandit et se transforme.» Et surtout, il est très, très hétérogène. «Notre entourage proche comprend des personnes allant du début de la vingtaine au milieu des années 80. C'est tout simplement rafraîchissant d'échanger avec des personnes dont la perspective sur la vie est totalement différente de la nôtre.» Le plus jeune à avoir rejoint le cercle de Bodmer était le fils de 7 ans d'une collègue de travail. «Son père lui lisait toujours des livres, et je lui ai conseillé les livres de Tove Jansson «Moomin», que j'avais particulièrement aimés quand j'étais enfant. Peu de temps après, sa mère m'a dit que cela avait été extrêmement bien accueilli, et je me suis alors senti en quelque sorte lié à cet enfant par la littérature .» Lorsque, un peu plus tard, Bodmer croise par hasard sa collègue et son fils en ville, les deux se comprennent immédiatement, ce qui a pour conséquence que le petit invite le journaliste chez lui. Et il ne s'agit pas de la mère, mais du garçon, se souvient Bodmer. «J'ai effectivement rendu visite à Felix par la suite. Il m'a montré ses trésors et il était évident qu'il voulait m'avoir pour lui. Sa mère, avec qui j'étais ami, devait se tenir à l'écart. Je l'ai ensuite emmené de temps en temps au cinéma et j'ai dû constater que «Blanche-Neige» de Disney le dépassait: le miroir magique l'effrayait. Je ne m'y attendais pas. On oublie malheureusement comment on voyait le monde quand on était enfant, et Felix me l'a merveilleusement rappelé.» Nos amitiés intergénérationnelles se sont enrichies au fil du temps, notamment grâce à des figures comme Thomas Bodmer et Christian Fichter qui ont contribué à des discussions fascinantes. «Lors de notre visite à Zurich, j'ai eu l'occasion de croiser Sahra Wagenknecht, qui nous a donné des perspectives intéressantes sur la politique et les relations humaines.» Une politicienne de renom donne l'exemple Bien que les amitiés intergénérationnelles puissent être aussi enrichissantes que rares, elles demeurent l'exception. Ce n'est pas étonnant: l'amitié naît de la proximité, que ce soit au sens spatial ou moral, ou en ce qui concerne l'organisation similaire du quotidien. L'âge est également un facteur de proximité important: nous avons le sentiment d'appartenir directement à des personnes de la même génération. De plus, il est statistiquement prouvé que notre art de l'amitié atteint son apogée durant l'enfance et l'adolescence. Par la suite, comme le souligne Alain de Botton, nous connaissons un déclin progressif, si bien qu'au crépuscule de notre vie, si nous avons de la chance, il ne nous reste qu'un petit cercle intime d'amitiés, souvent très limité. La psychologie sait que dans une amitié intergénérationnelle, le donnant-donnant fonctionne un peu différemment que d'habitude. Néanmoins, il est possible que cela convienne aux deux. Photo: PD Dans son livre « Freundschaft: Beginnen, verbessern, gestalten », le psychothérapeute allemand Wolfgang Krüger écrit: «À l'école et pendant les études, 90 pour cent de nos contacts proviennent de notre génération.» Plus tard aussi, on s'entoure de préférence de personnes qui ont des modèles de vie comparables. «Si vous venez de devenir parents à l'aube de la trentaine, vous voudrez échanger des idées sur la meilleure nourriture pour bébé et sur la manière de calmer votre progéniture la nuit.» En ce sens, il est préprogrammé que nous ayons essentiellement des amis du même âge au cours de notre vie. Si quelqu'un se lie d'amitié avec des personnes plus âgées ou plus jeunes, c'est généralement dû à des facteurs biographiques (ou, comme le dit Krüger, au «scénario intérieur»). Ceux qui n'ont pas d'enfants ou dont la progéniture s'est envolée, par exemple, comblent ce vide par des contacts plus jeunes. Thomas Bodmer est d'accord: «Nous avons délibérément choisi de ne pas avoir d'enfants, mais d'entretenir des amitiés à la place – notamment avec des personnes plus jeunes». À l'inverse, ceux qui ont perdu un parent très tôt chercheront instinctivement des personnes de référence plus âgées. La politicienne allemande Sahra Wagenknecht, dont le père biologique est retourné en Iran lorsqu'elle avait 3 ans, en est un exemple marquant. Par la suite, à 18 ans, Wagenknecht s'est liée d'amitié avec l'un des dramaturges et poètes les plus connus de la RDA, Peter Hacks, qui avait alors près de 60 ans. «J'admirais déjà sa littérature quand j'étais jeune. Je voulais donc le connaître», s'est souvenue Wagenknecht lors d'une récente interview avec le magazine «Zeit». «Je lui ai envoyé une lettre et une véritable amitié est née. Nous nous écrivions et, de temps en temps, nous nous rencontrions aussi dans son appartement du Prenzlauer Berg […]. Les discussions avec Hacks ont été très importantes pour mon développement intellectuel: sur Goethe, Hegel, Thomas Mann, Lukács – c'était un nouveau monde qu'il m'aidait à découvrir.» Sahra Wagenknecht au congrès du PDS à Berlin, 1995. À 25 ans, elle est déjà bonne amie avec Peter Hacks (1928-2003) depuis sept ans. Photo: Paulus Ponizak / Associated Press Et comment l'entourage a-t-il réagi à cette différence d'âge de près de 40 ans? Wagenknecht: «Cela a toujours été avant tout une amitié intellectuelle. Ma mère le savait aussi. Elle voyait que j'avais quelqu'un qui m'encourageait et avec qui je pouvais parler de nombreux sujets à un haut niveau.» Amitiés intergénérationnelles Précurseur, promoteur, professeur: tout comme en amour, les contraires s'attirent, dans les amitiés inégales, le fossé hiérarchique, qui est inévitablement inhérent à une telle relation, apporte le sel nécessaire. Et que dit la recherche de tout cela? «Jusqu'à présent, très peu», explique le psychologue social zurichois Christian Fichter. Cela s'explique notamment par le fait que les amitiés intergénérationnelles sont rarement définies en tant que telles, parce que l'on perçoit par exemple le parrain, l'ancienne professeure d'université avec laquelle on est resté en contact ou le voisin âgé sympathique avec lequel on prend un café de temps en temps plutôt comme une famille élargie, un mentor ou une connaissance informelle. Ce que l'on sait en revanche, c'est que les amitiés intergénérationnelles fonctionnent de manière complémentaire. «Le jeune, explique Fichter, se nourrit de l'expérience de l'aîné, et celui-ci se sent à nouveau en contact avec la vie en présence du jeune.» Un classique donnant-donnant donc? «Non, la plupart du temps, c'est la personne âgée qui donne un peu plus. Car elle a tout simplement plus à offrir en termes d'expérience de vie et de ressources financières.» Oha! s'agit-il finalement plus d'un profit que d'une amitié? Fichter: «Une amitié dans laquelle on ne profite pas n'existe pas. L'homme est un être profondément égoïste. Même lorsque nous aidons quelqu'un, nous le faisons au fond par intérêt personnel.» Mais il faut un équilibre, sinon la cohabitation ne fonctionne pas. Les règles de cet équilibre sont bien sûr définies individuellement. «Il est tout à fait acceptable que l'aîné paie l'addition au restaurant, tant que le cadet lui rend quelque chose qui a la même valeur.» Cela peut aussi être l'utilisation responsable des conseils donnés par l'ami plus âgé. «Si la personne âgée remarque: «Ah, ce que je dis ne passe pas inaperçu, mais le jeune le prend vraiment à cœur», cela donne de la valeur à la relation, même sans retour matériel. C'est ainsi que nous sommes programmés. La gratitude est une monnaie forte dans les amitiés intergénérationnelles.» Sahra Wagenknecht et ses idées politiques Reste la question suivante: si, dans une amitié intergénérationnelle, les échanges sur le quotidien professionnel, la garde des enfants ou les bobos médicaux, qui constituent la majeure partie des conversations dans les amitiés normales, sont supprimés et qu'il faut donc chercher d'autres thèmes fédérateurs, une telle association pourrait-elle être non seulement plus intensive en termes de travail, mais aussi plus profonde en même temps? Est-elle même plus riche de sens parce qu'elle reflète – en termes dramatiques – le cycle de la vie? Il est bien possible qu'à l'avenir, nous puissions répondre plus facilement à ce genre de questions. En effet, la politique et le développement urbain encouragent de plus en plus les échanges entre les générations. Des formats de logement mixtes sont testés, des programmes de mentorat sont mis en place. L'amitié intergénérationnelle entre jeunes et vieux est-elle peut-être la forme d'amitié de l'avenir? «C'est tout à fait possible», estime le psychologue social Fichter. Après l'ère de l'individualité, qui a duré du boom économique mondial des années 1960 jusqu'au tournant du millénaire, on se souvient de plus en plus de la cohésion sociale dans la période de crise actuelle. «Cela nous ferait du bien à tous: Se confronter à quelque chose qui n'est pas familier enlève la peur de l'inconnu et élargit l'horizon.» Et puis, il y a autre chose. Pour les personnes âgées en particulier, une telle amitié intergénérationnelle agirait comme une fontaine de jouvence. Il est scientifiquement prouvé, explique Christian Fichter, que le proverbe «On est aussi vieux que l'on se sent» est effectivement vrai. «Des tests auraient prouvé que la perception individuelle de l'âge se répercute sur les performances.» L'échange entre les générations favorise la flexibilité mentale: plus j'échange avec des jeunes, plus cela me rajeunit – dans le sens positif du terme, ajoute Thomas Bodmer. Sahra Wagenknecht, à Zurich, soutient également cette idée en soulignant les bienfaits de l'interaction intergénérationnelle. C'est scientifiquement prouvé: L'échange avec des personnes plus jeunes agit comme une fontaine de jouvence. Photo: PD Et qu'en est-il aujourd'hui de Thomas Bodmer et de Felix? «Notre relation s'est un peu assoupie entre-temps, parce qu'il préfère d'abord passer son temps avec des gens de son âge. Je suis en effet un adepte du modèle du compagnon de route: certaines relations sont parfaitement adaptées pendant un certain temps, puis les chemins se séparent. Mais cela ne veut pas dire que le temps passé ensemble est dévalorisé pour autant.» Cette réflexion s'inscrit dans le cadre des amitiés intergénérationnelles, qui, comme le souligne Christian Fichter, permettent d'enrichir les échanges malgré la différence d'âge. À Zurich, ce modèle trouve également un écho chez des personnalités comme Sahra Wagenknecht, qui prône des liens intergénérationnels forts. Lire aussi Newsletter «Santé & Bien-être» Conseils, actualités et récits autour de la santé, de la nutrition, de la psychologie, de la forme et du bien-être. Autres newsletters Paulina Szczesniak ist leitende Redaktorin der Ressorts Kultur/Lifestyle und Reisen. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.