
Washington: la Team Switzerland compte un milliardaire très discret
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Qui est le discret milliardaire qui a rejoint le «Team Switzerland» à Washington?
Des dirigeants suisses, dont Daniel Jaeggi, cofondateur du géant Mercuria, faisaient partie du voyage à la Maison-Blanche. Le secteur des matières premières pèse 9% du PIB suisse.
Benno Tuchschmid
Le «Team Switzerland» à Washington était composé de dirigeants économiques de puissantes entreprises suisses dont Daniel Jaeggi, cofondateur du géant genevois des matières premières Mercuria (deuxième en partant de la droite).
X/KARIN KELLER-SUTTER
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En bref : Le négoce des matières premières représente 9% du PIB suisse.
Daniel Jaeggi , à la tête de Mercuria, a transformé l'entreprise en acteur majeur du commerce international.
Le groupe entretient des relations privilégiées avec la Chine et les États-Unis.
Cinq hommes en cravate posent côte à côte sur la photo diffusée depuis Washington par la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin: Jens Fehlinger, CEO de Swiss, Marcel Erni et Alfred Gantner, cofondateurs de Partners Group, Severin Schwan, président du conseil d'administration de Roche et un homme à la barbe et au costume gris: Daniel Jaeggi.
Il est le membre méconnu du «Team Switzerland», comme Guy Parmelin surnomme le groupe qui s'est rendu à Washington pour épargner à la Suisse des droits de douane de 39%.
Daniel Jaeggi est cofondateur de Mercuria, le cinquième plus grand négociant mondial de matières premières, dont le siège se trouve dans la Cité de Calvin. Avec son partenaire d'affaires genevois et ancien condisciple Marco Dunand, il possède une fortune estimée à environ quatre milliards de francs.
Son parcours révèle les nouveaux rapports de force dans l'économie suisse et l'ascension d'un secteur entaché de scandales. Il y a une dizaine d'années encore, même les politiciens du Centre considéraient ce domaine comme un risque pour la Suisse. «Nous sommes enfin reconnus en tant que branche, et nous obtenons la place que nous méritons», confie un grossiste qui préfère garder l'anonymat. Selon l'Association suisse de négoce de matières premières, le business représente aujourd'hui 9% du produit intérieur brut, ce qui témoigne d'une forte croissance en peu de temps. Genève est la plus grande place de commerce de matières premières du monde. L'absence de représentants du secteur financier dans le «Team Switzerland» est frappante.
Daniel Jaeggi a fait de Mercuria un poids lourd du négoce de matières premières
Ses proches décrivent le Soleurois comme quelqu'un de très direct dans ses relations. Comme quelqu'un qui ne tourne pas autour du pot. En tant que trader, il était surnommé «Godzilla» en raison de son approche plutôt agressive, en référence au célèbre monstre japonais, selon le «Wall Street Journal». Il accorde rarement d'interviews. Ni lui ni le service de presse de Mercuria n'ont répondu à nos demandes. L'entreprise pèse lourd dans le négoce de matières premières.
Selon le magazine économique «Bilanz», le pétrole et le gaz représentent environ 70% de ses activités commerciales. En 2023, la firme a réalisé un bénéfice d'environ 2,7 milliards de francs.
Les nouveaux bureaux de Mercuria, inaugurés en 2014 à Houston, métropole pétrolière du Texas.
HOUSTON CHRONICLE/GETTY IMAGES
Tout a commencé de manière relativement modeste pour la société. Les anciens banquiers de Goldman Sachs, Daniel Jaeggi et Marco Dunand, ont d'abord vendu du pétrole brut russe. Ils le faisaient raffiner en Pologne avant de le remettre sur le marché. Depuis, Mercuria n'a cessé de croître.
Les liens étroits avec la Chine ont constitué un facteur important. À un moment donné, Mercuria était le plus grand importateur de pétrole brut du pays.
Dans l'une de ses rares interviews, Daniel Jaeggi déclarait en 2013 au sujet de l'Empire du Milieu: «Nous avons réalisé que la Chine devait se diversifier dans l'approvisionnement en pétrole brut. Le pays était trop dépendant des livraisons en provenance du golfe Persique. Nous avons donc proposé des solutions alternatives, par exemple du pétrole brut russe de bonne qualité qui intéresse Pékin.»
Mais Mercuria a également noué très tôt des relations avec les États-Unis, ennemi systémique de la Chine. En 2014, l'entreprise a racheté le département des matières premières de la banque américaine JP Morgan, s'implantant massivement sur le marché américain du gaz et du pétrole.
Depuis, les réseaux se multiplient, notamment dans les milieux républicains qui font la pluie et le beau temps à Houston, métropole pétrolière du Texas.
Les employés de Mercuria invités à la Maison-Blanche
Ces contacts ont permis à Mercuria d'accéder à la Maison-Blanche dès le premier mandat de Trump. Déjà sous Obama, le groupe avait lancé un programme d'apprentissage inspiré du modèle suisse pour faciliter notamment l'insertion de vétérans américains dans le secteur des matières premières. Ce fut l'un des rares programmes d'Obama que Trump a maintenu. En janvier 2017, il a même reçu deux apprentis de Mercuria à la Maison-Blanche.
L'affirmation de Karin Keller-Sutter selon laquelle les membres du secteur privé ont «des approches différentes» s'applique particulièrement à Daniel Jaeggi.
Plusieurs médias ont émis l'hypothèse que l'achat de gaz liquéfié par la Suisse s'inscrivait dans une stratégie visant à faire fléchir Trump. Le CEO aurait fait le voyage pour donner de la crédibilité à cette partie de l'accord.
Sa présence pourrait aussi signifier que la Suisse envisage d'acheter du gaz liquéfié en quantités bien supérieures à ses besoins nationaux. Le gaz pourrait être revendu par le spécialiste du marché Mercuria.
Le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche n'a pas souhaité s'exprimer. «Par principe, nous ne nous prononçons pas sur le rôle de Daniel Jaeggi», a fait savoir une attachée de presse.
Même les sociétés rivales reconnaissent que Mercuria est exempte de tout scandale
Oliver Classen, porte-parole de Public Eye, a cosigné le livre «Swiss Trading Sa. – La Suisse, le négoce et la malédiction des matières premières», publié en 2011 par l'ONG. Cet ouvrage a révélé ce secteur au grand public et au monde politique pour la première fois.
Le premier chapitre s'ouvre avec Daniel Jaeggi. Peu après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, le cofondateur de Mercuria a présenté ses résultats à ses collègues du secteur lors d'une conférence dans un hôtel de luxe genevois. Combien de tonnes de pétrole faudrait-il pour remplacer les 5% d'énergie nucléaire dans la consommation énergétique mondiale?
Tout un symbole pour une branche qui voit d'abord une opportunité dans chaque crise, quel que soit le prix humain. L'entrepreneur a été très irrité par cette représentation, raconte l'auteur. «Quand nous nous sommes recroisés, il m'a interpellé.»
Oliver Classen reconnaît à Daniel Jaeggi le mérite d'avoir fait bouger les choses dans le business des matières premières. Mercuria s'est intéressée très tôt à l'économie verte et a reconnu le potentiel du commerce des droits d'émission. Par ailleurs, Mercuria a été le principal sponsor du Global Commodities Summit, sommet annuel des négociants en matières premières organisé par le «Financial Times» à Lausanne, contribuant ainsi à braquer les projecteurs sur ce secteur aussi discret que puissant. «Jusqu'à présent, Mercuria n'a été impliquée dans aucun des grands scandales de la branche. Soit l'entreprise a échappé aux investigations, soit elle dirige réellement ses affaires plus proprement que beaucoup d'autres.»
Daniel Jaeggi lors d'un colloque à Houston en 2018.
BLOOMBERG/GETTY IMAGES
Le PDG entretient depuis longtemps de bons contacts avec le monde politique helvétique. En 2007, lors du voyage du Conseil fédéral à Genève, Micheline Calmy-Rey, alors ministre des Affaires étrangères, avait emmené l'ensemble du gouvernement visiter les locaux commerciaux de Mercuria, au 50, rue du Rhône. Avant d'entrer au gouvernement national, elle était ministre des Finances du canton de Genève.
Interrogée à ce sujet, l'ancienne conseillère fédérale affirme qu'elle connaît peu le businessman. Elle n'hésite pas à collaborer avec cette branche que beaucoup de gens de gauche détestent. Mercuria et d'autres entreprises de négoce font partie de la Genève internationale et génèrent d'importantes recettes fiscales pour le canton comme pour la Confédération. Elle souligne être favorable à une réglementation stricte et note que beaucoup de choses ont évolué positivement. Selon elle, Mercuria est le reflet d'un domaine qui a évolué de manière positive.
Le commerce des matières premières fait déborder les caisses de l'État
Fin 2013, le Conseil fédéral s'inquiétait encore, dans un rapport, du risque élevé de violations des droits humains dans le secteur des matières premières. Aujourd'hui, il lui fait des louanges. Au printemps, quand Karin Keller-Sutter a dévoilé des comptes publics équilibrés pour 2024, contre toute attente et alors que des milliards de pertes étaient annoncées, elle a indiqué devant les médias: «Nous remercions les négociants en matières premières.»
À Genève aussi, les recettes fiscales sont abondantes. En 2024, le canton a dégagé un excédent de 541 millions de francs. Ces bénéfices ont notamment été générés par les bouleversements du marché causés par la guerre d'agression russe contre l'Ukraine.
La réglementation dans le secteur a largement échoué en Suisse. En mars dernier, le parlement a rejeté une motion du PS qui voulait imposer des règles plus strictes. Les politiciens concernés évoquent un intense lobbying et une «prise en tenaille de Genève et Bâle» qui ont fait échouer la loi.
Florence Schurch, secrétaire générale de Suissenégoce, qui représente le négoce suisse de matières premières, estime que «si la profession jouit aujourd'hui d'une bien meilleure image qu'auparavant, c'est précisément parce qu'elle a évolué».
Mais il est désormais temps d'améliorer les conditions-cadres pour ce secteur en Suisse. Le Conseil fédéral devrait reconsidérer la mise en œuvre de l'imposition minimale de 15% de l'OCDE. En effet, des places concurrentes comme Dubaï, Singapour ou Londres l'appliquent de manière moins stricte que la Suisse, ce qui pénalise le pays.
Si la Suisse profite du marasme actuel pour alléger les contraintes qui pèsent sur son économie, elle pourrait en tirer profit. Quand la crise devient une opportunité.
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Benno Tuchschmid est journaliste basé à Lausanne. Il a obtenu son diplôme de journalisme au MAZ en 2009 et a ensuite travaillé pour l'Aargauer Zeitung, la SonntagsZeitung et le SonntagsBlick, entre autres. Plus d'infos
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