
Des blagues tournent au drame
Entre hurler de rire et hurler de douleur, la ligne est parfois mince. Des travailleurs sont blessés à vie à cause de blagues entre collègues qui ont mal tourné, un phénomène loin d'être anecdotique.
« Je viens pour m'asseoir et je vois la rangée de casiers en acier me tomber dessus », s'est rappelé Éric Blanchet, la semaine dernière, en entrevue avec La Presse. « Quand j'ai voulu me relever, je me suis dit : ça n'a pas de bon sens. Je ne bouge plus. »
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Éric Blanchet est devenu quadriplégique à la suite d'une mauvaise blague de ses collègues.
M. Blanchet est quadriplégique – mains et jambes paralysées – depuis qu'il a été victime d'une mauvaise plaisanterie, dans un entrepôt de Provigo à Boucherville. Deux jeunes collègues s'amusaient à pousser les casiers du vestiaire des employés lorsque ceux-ci sont tombés sur Éric Blanchet, lui cassant trois vertèbres cervicales. L'histoire remonte à 2003.
« J'ai une vie pareil. Mais ce n'est pas la vie que j'aurais voulue », a-t-il laissé tomber, depuis son fauteuil roulant motorisé.
C'était juste une blague. Une blague qui a mal viré.
Éric Blanchet
Depuis l'accident d'Éric Blanchet, plusieurs autres travailleurs se sont grièvement blessés en raison de blagues de collègues.
Carl Chayer travaillait dans une usine agroalimentaire, en 2010, lorsqu'un collègue s'est précipité vers lui, pour le faire rire. Son pied s'est coincé dans un convoyeur tout près, lui fracturant le genou.
« J'ai vu des points noirs. J'ai failli perdre connaissance », s'est-il souvenu, en entrevue avec La Presse. Encore aujourd'hui, « j'ai beaucoup de problèmes avec mon genou. Quand je monte les marches, mon genou clique tout le temps ».
« Des conséquences atroces »
D'autres blessures dénombrées par La Presse font elles aussi grincer des dents. Parmi celles-ci :
Des ouvriers de Pavage Axion, de Brossard, ont mis le feu au pantalon d'un collègue, lui infligeant des brûlures graves.
Des employés du service des loisirs de la municipalité des Cèdres ont projeté une autre employée dans une piscine creusée, avec un jouet gonflable comme seule protection. Elle a souffert d'une entorse cervicale avec atteinte permanente.
Un travailleur a donné un coup de casque à une employée d'Hydro-Québec pour blaguer. Elle a été victime d'un traumatisme crânien.
Un remorqueur a actionné son puissant klaxon à air à trois pieds des oreilles d'un policier de Blainville, voulant faire une plaisanterie. Ce dernier a perdu connaissance, victime d'un traumatisme auditif.
Un travailleur de l'usine Portes Milette, en Mauricie, a donné un coup de fusil à air comprimé sur les fesses d'un collègue. Ce dernier a été victime d'une perforation traumatique du rectum.
Des travailleurs d'une épicerie de La Pocatière se sont amusés à feindre un vol à main armée dans le commerce. Une caissière en est sortie avec un choc post-traumatique.
En 1995, un col bleu de Montréal a carrément été tué par un collègue qui a foncé sur lui avec un camion, avant de freiner un peu trop tard.
Ces cas ne sont que la pointe de l'iceberg. Seuls quelques dossiers remontent à la surface chaque année et deviennent publics par l'entremise du Tribunal administratif du travail (TAT) en raison d'une mésentente entre l'employeur et la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les autres sont traités administrativement et demeurent confidentiels.
Elena Laroche, professeure spécialisée en santé et sécurité du travail à l'Université Laval et auteure du livre de référence sur le sujet, était étonnée en voyant la liste.
« Vraiment, j'ai été surprise par la liste », a-t-elle affirmé, en entrevue téléphonique. « Il y a certains accidents qui ont eu des conséquences atroces pour les travailleurs. C'est vraiment malheureux. » Les accidents de travail qui découlent de blagues, « ça ne m'apparaît pas documenté » et absent de la recherche scientifique.
Mme Laroche ne préconise pas l'élimination de toute forme d'humour dans les milieux de travail, loin de là. Mais les employés devraient peut-être garder leurs plaisanteries pour la pause, loin des sources de danger, ou encore se limiter à des blagues verbales.
Il reste encore beaucoup de travail à faire en prévention et au niveau de la culture de prévention.
Elena Laroche, professeure spécialisée en santé et sécurité du travail à l'Université Laval
La CNESST a refusé la demande d'entrevue de La Presse. Après deux semaines d'attente, l'organisme a simplement envoyé un long texte explicatif général sur la santé et sécurité du travail, sans lien avec le sujet de cet article.
Les poursuites civiles difficiles
Me Marc Bellemare, ex-ministre de la Justice, a représenté des centaines d'accidentés du travail au fil de sa carrière. Certains d'entre eux ont été victimes d'une mauvaise blague au travail.
« Je ne dirais pas que c'est une majorité de cas. Au contraire, c'est assez exceptionnel, mais ça se produit », a-t-il dit.
Me Bellemare a souligné que le régime de protection de la CNESST limite de façon très importante la capacité d'un travailleur blessé à la suite d'une blague de poursuivre au civil les mauvais plaisantins. La loi interdit d'entreprendre des procédures légales contre son employeur ou un collègue pour les conséquences d'un accident de travail — sauf exception. Seuls les cas où un tiers (un employé d'un sous-traitant, par exemple) est responsable pourraient faire l'objet d'une poursuite.
De toute façon, ces blessures ne posent pas d'enjeu particulier sur le plan de l'indemnisation, selon l'avocat. « Tout ce qui est considéré comme le résultat d'un évènement soudain et imprévu au travail peut être considéré comme un accident de travail, a-t-il dit. C'est la définition d'un accident. » La déclaration d'un collègue indiquant qu'il s'agissait d'une plaisanterie peut même renforcer la preuve quant à la survenance d'un accident.
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