
L'incertitude plane : ces travailleurs pourront-ils rester ?
Il y a un an, la MRC de Mékinac donnait des signes d'ouverture. Même Hérouxville, autrefois symbole de fermeture, accueillait des familles venues d'ailleurs.1
L'élan n'a jamais été spectaculaire, mais il était réel.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Maude Grenier, coordonnatrice à l'accueil et à l'intégration des nouveaux arrivants pour la MRC de Mékinac
« C'était une sorte de boum. On a reçu des gens de partout. Et les employeurs se tournaient de plus en plus vers le recrutement international », résume Maude Grenier, coordonnatrice à l'accueil et à l'intégration des nouveaux arrivants pour la MRC.
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« Bienvenue dans Mékinac, ton projet de vie pour t'enraciner ici », peut-on lire sur cette affiche.
Un an plus tard, les sourires sont encore là, mais les visages sont plus soucieux. Quotas resserrés, programmes suspendus, délais étirés : il y a de l'incertitude dans l'air.
Un grand territoire
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Champs agricoles à proximité de Saint-Tite
Mékinac, c'est plus de 5500 km² de forêt, de lacs et de terres agricoles. À peine 13 000 habitants. Moins de trois personnes au kilomètre carré. Une région magnifique, mais confrontée à des défis : taux de diplomation sous la moyenne, vieillissement de la population, rareté de main-d'œuvre.
Sabrina De Trilles, agente d'intégration à la Maison des familles de Mékinac, accompagne les nouveaux arrivants depuis deux ans. Elle est elle-même immigrante temporaire.
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Française, Sabrina De Trilles est agente d'intégration à la Maison des familles de Mékinac.
« Je suis arrivée en 2021 avec mon mari et mes enfants. Mon mari avait un permis d'études, puis un permis post-diplôme. Moi, je suis en prolongation de permis de travail ouvert », explique-t-elle.
Depuis l'automne 2024, deux programmes d'immigration ont été suspendus.
Le Programme de l'expérience québécoise (PEQ) est gelé jusqu'au 30 novembre 2025, autant pour les diplômés que pour les travailleurs étrangers temporaires. De son côté, le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) a repris le 1er juillet, devenant ainsi la seule porte d'entrée vers la résidence permanente à court terme.
Sabrina De Trilles est propriétaire, bien intégrée, mais vit une forme d'angoisse permanente : « C'est toujours des frais, des frais, des frais. Et cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. »
Une confiance minée
Chez Xylo Carbone, à Saint-Tite, le directeur de l'innovation, Simon Lavoie, ne cache pas sa frustration.
« Sans exiger de diplôme, on avait, tous les ans, 20 % à 30 % de notre main-d'œuvre qui changeait, pour toutes sortes de raisons. Il n'y en avait pas une en particulier. »
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Nixcel Tolomia, Freddie Felicen et Lunel De Leon ont été recrutés aux Philippines par l'entreprise Xylo Carbone de Saint-Tite.
Aujourd'hui, avec six travailleurs philippins, la situation s'est stabilisée.
« Ils lèvent la main pour des quarts de travail supplémentaires. Ils veulent travailler. »
L'entreprise fabrique du biocarbone à partir de résidus forestiers, une solution plus verte destinée à remplacer le charbon dans les procédés industriels.
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Simon Lavoie, directeur de l'innovation chez Xylo Carbone, à Saint-Tite
Nous, si on avait le choix entre les tarifs imposés par l'administration Trump et la possibilité de perdre nos immigrants, on aimerait mieux les tarifs. Je vais jusque-là pour montrer l'importance que ces gens-là ont pour nous.
Simon Lavoie, directeur de l'innovation chez Xylo Carbone, à Saint-Tite
« Dans la paperasse »
À Saint-Adelphe, Julie Lavoie est responsable des ressources humaines chez Structure Robko, spécialisée dans la conception et la fabrication de structures d'acier pour le secteur de la construction.
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Julie Lavoie travaille aux ressources humaines chez Structure Robko, à Saint-Adelphe.
Depuis des mois, elle consacre ses journées aux démarches d'immigration.
Frank Nkama, son employé camerounais, retournera dans son pays en juillet pour voir sa petite fille de cinq mois, qu'il n'a jamais vue.
Son visa et son permis de travail arrivent à échéance.
« Je suis dans la paperasse, sans exagérer, depuis au moins trois mois, dit Julie Lavoie. Je n'ai pas le choix de demander un renouvellement de son permis avant qu'il sorte du Canada, parce qu'il craint de ne pas pouvoir revenir si la date d'expiration est trop serrée. »
Elle souligne la charge : « Je suis payée pour le faire, c'est ma job de résoudre les problèmes. Mais les autres ? Ceux qui sont seuls dans leur salon, ils font comment ? Ça coûte cher. Il faut souvent faire appel à un avocat ou un consultant en immigration. Et même là, c'est pas garanti. »
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Frank Nkama travaille chez Structure Robko, à Saint-Adelphe.
Le stress ne cesse de s'amplifier de jour en jour. Surtout que je m'apprête à aller rencontrer ma fille.
Frank Nkama, travailleur camourenais de Structure Robko, à Saint-Adelphe
Une RPA reconvertie
Chez GM Modulaire, Jacques Grenier loge ses travailleurs dans une ancienne résidence pour aînés. Il fournit des vêtements, paie des repas, prête de l'argent.
« On avait le problème d'hébergement, dit-il. Ce n'est pas juste à Montréal ou ailleurs, la pénurie de logements. C'est partout. Ici aussi. On a eu la chance de trouver une résidence pour personnes âgées de 12 chambres, à Sainte-Anne-de-la-Pérade, qui avait fermé ses portes. On l'a achetée. »
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Venu d'Haïti, Roodchel Sera travaille chez GM Modulaire, à Saint-Adelphe.
L'entreprise, installée à Saint-Adelphe, construit des bâtiments modulaires sur mesure.
Elle compte 11 travailleurs étrangers sur 17 employés.
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Exantus Mike Colby, Roodchel Sera et David Michel Sadeau travaillent chez GM Modulaire.
« Sans eux, ça serait difficile. On a eu du monde local, mais ils sont trop indépendants. Ils arrivent ici et ils négocient quasiment leur chômage. Ils ne veulent pas travailler 40 heures par semaine », explique-t-il.
Les nouvelles règles, notamment la réduction du seuil de 20 % à 10 % de travailleurs étrangers temporaires dans une entreprise, l'inquiètent.
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Jacques Grenier, de GM Modulaire, à Saint-Adelphe
La règle du 20 %, ça n'aide pas les PME. Si, demain matin, je dois renouveler les permis, il y en a qui vont devoir retourner dans leur pays. Je fais quoi, moi ? C'est ma préoccupation, mais ça ne semble pas être celle du gouvernement.
Jacques Grenier, de GM Modulaire, à Saint-Adelphe
« On sent la chaleur »
Malgré les contraintes, l'attachement à la région est réel. Les enfants vont à l'école. Les amitiés se tissent.
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Louvensky Permentier, responsable de l'urbanisme à la MRC de Mékinac
« Mékinac, c'est un territoire à taille humaine. Il y a une ouverture », souligne Louvensky Permentier, responsable de l'urbanisme à la MRC, lui-même Haïtien d'origine.
Il vit à Hérouxville, autrefois connue pour son « code de vie ». Aujourd'hui, il participe au développement de cette même communauté.
« Les gens sont vrais. On sent la chaleur. »
1. Lisez l'article « Hérouxville 2.0 », publié l'an dernier

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