« J'essaie d'être le président que j'aurais voulu avoir » : Daniele De Rossi se donne pour Ostie en Serie D
« Ma première décision a été de faire flotter ces deux grands drapeaux au-dessus du stade pour qu'ils soient visibles de loin. » Daniele De Rossi (41 ans) est ici chez lui, à trente kilomètres du Colisée, dans ce « quartier » de 100 000 habitants qui dépend de la municipalité de Rome. Sa poignée de main est franche. Les blagues qui sortent de sa bouche tranchent quelque peu avec l'image du joueur robuste qu'il dégageait sur un terrain.
L'ancien légendaire capitaine de l'AS Rome, plus de 600 matches au compteur entre 2002 et 2019, a racheté au début de l'année l'AS Ostiamare, club de Quatrième Division italienne, à proximité de son fief. Depuis, le fanion de l'équipe - un ballon et une mouette sur fond mauve - trône en majesté à l'horizon. Impossible de manquer ces drapeaux depuis le littoral, le lido.
Terrains boueux et gazon en or
Il faut dire qu'entre Ostie et De Rossi, l'histoire remonte à loin. « À 5 ans, comme tous les gamins, j'ai commencé à jouer ici », rembobine le natif de Rome dans un excellent anglais. Il pointe le grand terrain de l'index et interpelle un proche, à quelques mètres. « Comment dit-on pozzolana ? C'était du sable, de la boue, de l'argile... Il n'y avait pas un brin d'herbe. »
L'histoire est familiale puisque son papa, aujourd'hui au centre de formation de la Roma, a évolué dans ce club au cours de sa longue carrière de joueur. Toute sa jeunesse, le fiston l'a passée à Ostie entre ses différents groupes de potes, « celui de l'école, du foot et de la plage, le plus important », sourit-il.
« On a perdu contre la Roma, mais on a battu la Lazio. J'étais plus mature et je comprenais ce que cette différence de niveau pouvait m'apporter »
Daniele De Rossi
À 9 ans, alors qu'il est déjà un inconditionnel des Giallorossi, le paternel reçoit un appel d'un ami. «Il lui a demandé : "Pourquoi tu n'as pas dit que ton fils était bon ?" Je suis allé faire un essai à Tre Fontane, où les jeunes jouent. Pas de nouvelles jusqu'à l'été, mais à ce moment-là, je m'éclatais avec mes copains. J'ai dit à mon père que je ne voulais pas y aller... Il a été génial, il ne m'a jamais forcé. Il m'a juste répondu que là-bas, il y avait des terrains avec du gazon. C'était de l'or pour nous ! » Quelque temps plus tard, il retourne s'y entraîner... « Je suis tombé amoureux de l'environnement mais il n'y avait plus de place pour moi. L'année suivante, rien non plus. »
Un tournoi à Ostie scellera son avenir à 12 ans. « On a perdu contre la Roma, mais on a battu la Lazio, réplique-t-il, non sans bouder son plaisir. J'étais plus mature et je comprenais ce que cette différence de niveau pouvait m'apporter. »
Le début d'une longue idylle entre la Roma et celui qui, à l'époque, joue attaquant. Mais le champion du monde 2006 a toujours gardé une connexion spéciale avec ses racines. À tel point qu'il y est resté jusqu'à son mariage, à 22 ans.
« Petit, avec mon père, on passait devant un penthouse, devant la plage. Je lui disais que si un jour j'avais assez d'argent, je l'achèterais. Après mon divorce, j'y ai habité un an et demi. C'était comme une renaissance. Je pouvais respirer, prendre du recul. J'avais beaucoup de pression à la Roma. Ici, je ressens la chaleur humaine, je me sens comme à la maison. Aujourd'hui encore, quand je suis sur la dernière portion de route qui mène à la mer, je me transforme. »
Infrastructures illégales, reconstruction express
Voilà pour ses liens personnels, mais tout ça ne nous dit pas pourquoi Daniele De Rossi a racheté le club d'Ostiamare. Le problème principal était assez simple : la quasi-intégralité des infrastructures étaient ou sont encore illégales, comme les vestiaires ou le bar. La situation a pris une tournure critique fin 2024 après que les autorités eurent récupéré les clefs du terrain à l'issue d'une longue bataille.
« À l'époque, dans les années 1980, les anciens propriétaires ont juste construit sans en avoir le droit. Toutes les activités ont dû cesser. Le stade était vide car ce n'était plus possible d'accueillir des gens. J'avais été mis au courant par des habitants : "On a des ennuis, tu dois venir nous sauver." Si j'étais encore coach (il a entraîné la Roma entre janvier et septembre 2024), ce serait impossible. Ça me prenait 100 % de mon temps. »
Quand De Rossi déambule lors de notre rencontre autour des terrains ou du club-house, c'est en véritable pop star. Le charismatique dirigeant à la barbe épaisse et aux cheveux ras serre des pognes à tour de bras. Chacun veut sa petite photo, sa tape sur l'épaule. Derrière ses lunettes aux verres teintés, l'ancien milieu ne perd jamais sa bonne humeur.
Après avoir fait le tour du propriétaire, il se pose sur un banc de touche. Et détaille par de grands gestes les transformations à venir. L'ancienne tribune latérale (environ 1 000 places au total) a déjà été détruite en deux jours, des préfabriqués font office de bureaux avec deux gradins temporaires de chaque côté.
« Je suis superstitieux, je ne veux pas trop m'avancer, mais jusqu'ici, ça fonctionne bien. J'essaie d'être le président que j'aurais voulu avoir. Tout le monde a un rôle »
« En faisant tomber ces structures, on a eu l'autorisation d'accueillir 200 personnes. On pourra peut-être atteindre 300, 400 bientôt. Plus on détruira, plus on aura droit d'avoir du monde. On veut montrer qu'on fait les choses correctement et rester dans le strict cadre de la loi, notamment parce que c'est moi, tout le monde est à l'affût de la moindre erreur. Pour chaque phase, les autorités nous donnent le feu vert. Ça doit être parfaitement transparent. »
On murmure avec une extrême prudence que tout pourrait être prêt en janvier ou février 2026. « Mais ça ne dépend pas que de nous, la bureaucratie en Italie, surtout à Rome, c'est quelque chose... C'est parfois au ralenti », persifle-t-il. Autour de lui, une équipe dirigeante constituée de proches, de personnes fiables - certains qu'il connaît de longue date - pourra, à terme, piloter l'institution sans lui.
« Je suis superstitieux, je ne veux pas trop m'avancer, mais jusqu'ici, ça fonctionne bien. J'essaie d'être le président que j'aurais voulu avoir. Tout le monde a un rôle. » Le directeur sportif était déjà en place. « Le plus important, c'est qu'il puisse faire ce qu'il veut. Si c'est garder le coach dix ans, vas-y. Ce n'est pas mon job de lui dire que je ne veux pas telle personne. Je n'interviens que quand quelque chose ne me plaît vraiment pas. Ce n'est pas sain de nommer quelqu'un et de lui dire comment bosser. Si ça tourne mal, comment examiner ce qui a été fait si toutes les décisions viennent de moi ? »
Dans tout ce qu'il entreprend, pas de place pour la demi-mesure. « J'ai déjà du mal à prendre de la distance avec les devoirs de mes enfants. Alors gérer un club... Ce projet, je le porte au plus profond de moi. » Le prix d'acquisition était de zéro, mais les dettes, elles, étaient plus conséquentes.
Permis de rêver, défense de s'ennuyer
« Je le savais. Ce n'était pas une question d'argent. Tu récupères une mission. Quelles seront les marges de manoeuvre ? Est-ce qu'on pourra faire ce qu'on veut ? Est-ce que je vais juste rembourser les dettes et être bloqué dix ans ? Finalement, on avance et maintenant on a même des sponsors (Macron pour les maillots par exemple). » Au-delà de l'équipe première, la dimension centrale reste les enfants. « On le fait parce qu'on aime ça, mais c'est surtout pour eux. Qu'ils ressentent de la joie, de l'amusement et profitent avant tout. »
La discussion est ponctuée de sifflets, de cris, de rires venus de tous ces jeunes qui s'entraînent. « L'idée, ce n'est pas qu'ils jouent au Barça ou au Real Madrid, mais qu'ils gardent de beaux souvenirs. Ça peut changer des vies, le foot. » Au total, ils sont autour de 500 dans les différentes catégories et les demandes affluent.
« On doit pouvoir s'occuper correctement de tout le monde. Il faut de la place. On va faire une journée portes ouvertes. Il faut attiser l'appétence de la jeunesse, ces souvenirs de gosse, c'est primordial. Ils doivent rêver. J'étais comme eux ! Je n'acceptais pas la défaite, je pleurais quand on perdait, j'inventais une maladie. Ils sont fragiles, ils doivent grandir avec ces sentiments de compétitivité et de créativité. Pour le foot mais surtout dans la vie. »
« Ils me voient comme un joueur, un coach, une idole, un gars qui peut les conseiller, alors j'essaie de le faire correctement »
De Rossi interagit énormément et en chambre même certains. « Ils me voient comme un joueur, un coach, une idole, un gars qui peut les conseiller, alors j'essaie de le faire correctement. » Un ado s'approche pour saluer le président. « Lui, c'est un défenseur central. L'autre jour, il a été très bon au milieu. Alors je lui ai demandé s'il était sûr que ce n'était pas son poste. Je ne fais pas souvent d'erreur sur ça... »
Ciao le padel, ici le foot va s'apprendre sur des terrains imparfaits
À terme, en plus des vestiaires et des douches qui ont vocation à être reconstruits, il y aura des bureaux et un bar-restaurant au-dessus des tribunes. « La priorité, c'est de rendre le club attractif. J'ai fait déplacer la zone média, parce qu'à chaque fois que j'allume la télé, je veux que tout le monde voie ce qu'on a construit ! »
Au coeur du projet, il y a aussi les parents que l'Italien souhaite pleinement associer. Il insiste : « On ne peut pas les forcer, mais on aimerait qu'ils acceptent de laisser leurs enfants sans se sentir obligés de regarder. Ils peuvent suivre trente séances de suite s'ils veulent... Mais on voudrait que nos jeunes puissent s'entraîner sans pression, en oubliant cette recherche constante de l'acceptation par les parents. »
Derrière le grand terrain, trois plus petits sont en construction : herbe naturelle, sable et bitume. L'Italien souhaite revenir aux fondamentaux, apprendre de façon brute, pas sur des surfaces parfaites. « Il y avait des courts de padel, j'adore ce sport mais ici on joue au foot. Ce sera un endroit pour développer la technique et le dribble. Le sol ne répond pas pareil. J'ai grandi avec le sable sur la plage même en hiver, l'herbe à la Roma, le bitume dehors... Je trouve que ces heures dans la rue manquent à la nouvelle génération. L'aspect analytique, les répétitions, c'est important, mais le côté situationnel avec des obstacles et des choix à faire aussi. »
L'idée est de créer un écosystème valable aussi en dehors du rectangle vert, pour Ostie. L'officialisation du rachat devant la presse s'est volontairement faite dans un cinéma local, en présence du maire et du préfet de Rome. Comme pour maintenir ce lien.
L'ex-capitaine de la Roma se souvient : « J'avais très, très peur. Suis-je réellement capable de le faire ? Vais-je finir pauvre pour y arriver ? Toute la communauté a répondu présent. On ne construit pas qu'une équipe pour les matches. On a des accords avec des écoles. On reçoit beaucoup de soutien des locaux, on veut aider les gens, ceux qui ne peuvent pas se permettre de payer par exemple. »
Le monde pro ? Une autre histoire...
Deux jours après notre rencontre initiale, retour au Stade Anco-Marzio (l'un des sept rois légendaires de la Rome antique), où Ostiamare affronte Trestina (2-1). Le bar fait le plein, à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur. Le soleil tape fort après deux jours d'une pluie aussi rare qu'intense à Rome. Petit café, une bière, des bonbons... L'ambiance est détendue.
À l'inverse, vivre un match aux côtés du taulier est un spectacle à lui tout seul. Debout derrière les bancs de touche, tel un passionné qui joue sa peau, Daniele De Rossi vit chaque instant à fond, à côté des membres du bureau avec qui il discute, rigole et crie parfois.
Sur les deux buts des locaux, l'ancien milieu exulte avec son fils, âgé de 8 ans, que tout le monde chouchoute. Au coup de sifflet final, l'Italien tape dans la main de tout le monde avant d'aller féliciter les joueurs et le staff. Sans rechigner, il aide même à ranger les vestiaires et porter les bancs pour tout remettre d'équerre.
« Mon rêve ? De quitter ce club en le cédant à mon fils et voir que chaque dimanche, il y a mille, deux mille supporters qui ressentent quelque chose de spécial »
Tout au long de la partie, une poignée d'ultras très bruyants ont donné de la voix, poussant jusqu'au bout. « Le premier match que j'ai suivi, on était en Toscane, un dimanche après-midi. J'ai vu trois mecs, ils chantaient, ils célébraient. Je me disais : ce sont des héros ! Plus tard, on a rejoué dans le même stade contre une autre équipe, il y en avait douze ! On avait multiplié le nombre par quatre en deux mois. C'est pour ça qu'à chaque match, on emmène des jeunes, on veut les titiller, qu'ils s'imaginent jouer pour Ostie, créer ce rêve. » Entre-temps, Ostiamare a sécurisé sa place en Serie D en terminant huitième dans le groupe E.
Et la suite ? « C'est difficile de fixer des objectifs, ça devient vite des promesses. On était dans les derniers quand je suis arrivé, avec deux points en sept matches. Le monde pro en Serie C ? C'est une autre histoire... En Serie A, j'ai vu beaucoup de soi-disant pros qui ne l'étaient pas du tout. Je voudrais juste qu'on soit stables sur la durée. »
Et pour l'homme aux 117 sélections et 21 buts avec la Nazionale, quel serait son rêve ? « De quitter ce club en le cédant à mon fils et voir que chaque dimanche, il y a mille, deux mille supporters qui ressentent quelque chose de spécial. On a beaucoup de chance avec le vivier de jeunes dans le coin, on veut leur proposer le meilleur. Dans cinq à dix ans, on vise l'excellence. » Rendez-vous est pris.
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