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Pourquoi nous n'arrivons plus à nous concentrer

Pourquoi nous n'arrivons plus à nous concentrer

24 Heures30-07-2025
Société numérique

Pourquoi nous n'arrivons plus à nous concentrer
Impossible de finir un livre ou de regarder un film sans consulter son téléphone? Une neuroscientifique propose des solutions pour reconquérir notre attention.
Philipp Loser
,
Jacqueline Büchi
Collage: Michael Treuthardt. Photos: Getty Images
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En bref : La capacité de concentration est en baisse chez de nombreuses personnes.
L'usage intensif des réseaux sociaux contribue à ce phénomène.
Le scrolling passif active dans le cerveau des mécanismes comparables à ceux observés chez les personnes dépendantes.
Le cerveau peut retrouver presque toutes ses capacités, à condition d'être correctement entraîné.
Testez votre capacité d'attention et de concentration à l'aide de ce simple test. Choisissez un film datant de plus de vingt ans, lancez-le et observez votre comportement. Êtes-vous capable de rester concentré pendant tout le générique sans toucher à votre téléphone?
Prenons «Heat», un thriller de 1995 avec Al Pacino et Robert De Niro, chef-d'œuvre du cinéma de tension. Pendant les deux minutes et quarante secondes d'ouverture du film, on ne voit que le nom des acteurs principaux et un tramway qui entre en gare. Aujourd'hui, c'est presque insupportable. Et pourtant, à l'époque, c'était parfaitement normal.
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L'évolution du cinéma illustre bien à quel point notre capacité d'attention s'est raccourcie. L'average shot length, c'est-à-dire la durée moyenne entre deux plans, témoigne de l'évolution de nos habitudes de visionnage.
Et cette tendance ne se limite pas aux films. Des personnes autrefois lectrices assidues n'arrivent plus à finir un livre. Des amateurs de musique passent d'un morceau à l'autre sans pouvoir écouter un concert complet. Plus largement, beaucoup peinent à garder les idées claires ou à mener une pensée jusqu'au bout. Il suffit d'en parler autour de soi, tout le monde est concerné.
Mais ces observations sont-elles vraiment significatives? Sommes-nous vraiment devenus moins attentifs qu'avant, ou s'agit-il seulement d'une impression?
Concentration en baisse
Barbara Studer est neuroscientifique à l'Université de Berne et fondatrice de la spin-off universitaire Hirncoach, qui propose des programmes pour favoriser la santé mentale. Pour elle, il est clair que ces témoignages ne sont pas des cas isolés. «La capacité de concentration de notre société s'est globalement détériorée», affirme-t-elle, en s'appuyant sur plusieurs études issues des neurosciences comportementales.
La recherche sur le sujet en est encore à ses débuts. Mais les tests comportementaux révèlent que les gens ont de plus en plus de peine à rester concentrés sur une tâche. Ils abandonnent plus vite, commettent davantage d'erreurs et ont besoin de plus de temps pour terminer leur travail.
«La capacité de concentration de notre société s'est globalement détériorée», affirme Barbara Studer.
PD
La mesure de l'activité cérébrale a permis de mettre en évidence des causes concrètes à ce changement. «Chez de nombreuses personnes, certains réseaux neuronaux liés à l'attention sont aujourd'hui moins développés qu'autrefois», explique Barbara Studer. «Le cerveau doit dépenser plus d'énergie pour fournir le même effort de concentration.»
Ce phénomène touche les jeunes, mais aussi les personnes d'âge moyen. Il est particulièrement marqué chez ceux qui passent beaucoup de temps sur les écrans.
Ce qui nous amène à un point central du débat sur l'attention: le rôle des smartphones et des réseaux sociaux. Pour Barbara Studer, le scroll et le swipe permanents ne suffisent pas à expliquer, à eux seuls, les difficultés de concentration. Mais ils jouent un rôle majeur.
Récompense continue
La scientifique explique: «Le cerveau n'est pas conçu pour être interrompu sans cesse dans son fonctionnement et exposé à une stimulation continue.» Dans la nature, une expérience gratifiante est généralement suivie d'une phase de repos.
À l'inverse, lorsqu'on fait défiler les fils d'actualité sur les réseaux sociaux, notre système de récompense reste activé en continu. Le cerveau libère alors sans interruption de la dopamine, l'hormone du plaisir immédiat. «Dans le cerveau, on observe un schéma comparable à celui observé chez les personnes dépendantes», précise Barbara Studer.
Les développeurs ont programmé leurs algorithmes de façon à retenir notre attention. «Plus nous restons longtemps sur leurs contenus, et plus ces plateformes gagnent de l'argent», ajoute-t-elle.
Limites de l'autodiscipline
«Vous pouvez essayer d'avoir de l'autodiscipline, mais de l'autre côté de l'écran, un millier d'ingénieurs travaillent contre vous», a résumé Tristan Harris, ancien employé de Google, lors d'une audition devant le Sénat américain.
Tristan Harris est convaincu que, sous leur forme actuelle, les réseaux sociaux portent préjudice aux êtres humains.
Getty Images via AFP
Cette citation est tirée du livre «Stolen Focus» de Johann Hari. Dans cet ouvrage, l'auteur américain arrive à une conclusion très proche de celle de Barbara Studer. Notre capacité d'attention est en déclin, et avec elle, la faculté de nous concentrer suffisamment longtemps sur un problème pour pouvoir le résoudre.
Selon Barbara Studer, le fait que nous ayons tant de mal à nous détacher des écrans a d'autres conséquences. Nous faisons en moyenne moins d'exercice et dormons moins bien. Ces deux tendances affectent à leur tour notre bien-être mental et notre capacité de concentration.
Mais la chercheuse nuance: «Il est trop simple de rendre le smartphone seul responsable de la baisse de l'attention. Mais il favorise d'autres facteurs qui nuisent à la concentration.»
Vitesse et stimulations intenses
Que les films deviennent de plus en plus rapides et que les intros des chansons soient plus courtes n'a rien d'étonnant, selon Barbara Studer. «La vitesse et les stimulations intenses nous procurent une forme d'euphorie.» Le cerveau s'adapte progressivement à ces nouveaux rythmes, un phénomène que l'on appelle la neuroplasticité.
Cette évolution a commencé bien avant l'arrivée du smartphone. Mais aujourd'hui, comme les médias, les réseaux sociaux ou encore les réalisateurs comprennent de mieux en mieux les mécanismes de l'attention, notre quotidien semble toujours plus rapide.
«TikTok en est l'exemple parfait: on ne reste jamais longtemps sur un contenu, chaque vidéo promet une nouvelle récompense», souligne Barbara Studer. Cette accélération entraîne automatiquement un traitement plus superficiel des informations par le cerveau, explique-t-elle.
Les techniques modernes d'imagerie cérébrale le confirment. Le «muscle de l'endurance mentale», appelé cortex cingulaire antérieur, est moins développé chez les personnes qui pratiquent régulièrement le multitâche ou qui passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. «Elles perdent peu à peu la capacité à rester concentrées sur une seule tâche pendant une durée prolongée», conclut-elle.
Comment nous pouvons agir
Mais Barbara Studer ne veut pas être alarmiste. Elle ne diabolise pas les technologies modernes et ne pense pas non plus que notre société est condamnée à devenir de plus en plus superficielle. «J'aime mon métier, car il est porteur d'espoir. Le cerveau peut retrouver presque toutes ses capacités, à condition d'être correctement entraîné.»
Selon elle, de simples ajustements dans le quotidien peuvent déjà aider à mieux utiliser les écrans:
S'accorder des moments sans son téléphone. «Par exemple, pendant la première heure après le réveil, lors des périodes de travail où l'on doit être particulièrement concentré, durant les repas en famille ou encore deux heures avant le coucher.» Elle ajoute que les dimanches sans smartphone ont également été très bénéfiques pour elle.
Prévoir une alternative concrète à l'utilisation du téléphone. «Quand je suis fatiguée et que je m'allonge sur le canapé, j'ai tendance à scroller de manière passive. Je préfère donc prévoir une activité. Jouer du piano ou sortir avec quelqu'un, par exemple.»
Accompagner les plus jeunes. Pour elle, il est essentiel que les parents accompagnent leurs enfants dans cette démarche. «L'adolescence est une période particulièrement sensible, car c'est là que se construisent les bases de la pensée, des émotions et de l'apprentissage pour la vie adulte.»
Comprendre que la manière d'utiliser les nouvelles technologies a plus d'importance que le temps passé devant les écrans. Le scrolling passif a tendance à anesthésier le cerveau, tandis qu'un usage actif peut au contraire stimuler la réflexion. Les utilisateurs qui s'inspirent consciemment de quelques contenus, qui les traitent en profondeur et qui les appliquent dans la vie réelle peuvent en tirer un réel bénéfice. Même une activité comme le codage assisté par l'intelligence artificielle peut, selon elle, activer des processus créatifs dans le cerveau.
Trouver une manière de mieux gérer la problématique de l'attention est un enjeu essentiel à l'échelle de la société. «Il n'y a pas de solutions simples à des problèmes comme le changement climatique. Ils exigent une véritable réflexion et beaucoup de discipline.» Autant de compétences qui ne sont pas innées, mais qu'il faut entraîner consciemment.
Et peut-être qu'un jour, une fois notre concentration récupérée, on parviendra à nouveau à regarder sans interruption les quinze premières minutes de «Heat».
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Jacqueline Büchi est journaliste pour la rubrique suisse. Ses reportages portent principalement sur la politique de la santé et de la société. Elle a débuté en 2008 en tant que journaliste radio et a depuis occupé différents postes dans les médias en Suisse et à l'étranger. Plus d'infos
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Une étude corrobore ce que les spécialistes observent partout: les cas sont en hausse. Interview d'Antonia Digklia du Service d'oncologie médicale du CHUV. Publié aujourd'hui à 08h33 Illustration prétexte. Le surpoids, l'obésité et le diabète de type 2 font partie des facteurs à risque pour développer un cancer du foie. IMAGO/HalfPoint Images En bref: Dans une étude publiée fin juillet, les experts de la commission de «The Lancet», revue scientifique britannique de référence, lancent l'alerte: le nombre de cancers du foie explose. Selon leurs projections, les carcinomes hépatocellulaires pourraient quasiment doubler d'ici à 2050 , passant de 870'000 en 2022 à 1,5 million. Au niveau mondial, ce type de cancers est le sixième le plus fréquent, et le troisième qui tue le plus. Alors que dans 60% des cas il est évitable, rappelle l'étude. Le développement du cancer du foie se caractérisant par une progression allant d'une maladie hépatique chronique à la cirrhose puis au cancer, cette période étendue offre une opportunité d'intervention pour empêcher que la maladie ne se manifeste. Pour freiner la progression du crabe, un effort particulier doit être mis sur la prévention. Les experts de la commission de «The Lancet» proposent un certain nombre de recommandations. Comme renforcer le dépistage et la vaccination contre l'hépatite B (qui peut précéder un cancer du foie), sensibiliser aux dangers de l'alcool ou encore promouvoir une activité régulière et une alimentation saine. La doctoresse Antonia Digklia est médecin associée au Service d'oncologie médicale du CHUV. Elle revient sur les points clés de l'étude. La doctoresse Antonia Digklia est médecin associée au Service d'oncologie médicale du CHUV. DR Qu'avez-vous pensé de l'étude publiée dans «The Lancet»? Elle confirme ce que nous constatons ces dernières années dans notre pratique clinique: le nombre de cancers du foie augmente. Alors que, comme le rappelle aussi l'étude, un certain nombre de facteurs de risque sont bien connus et évitables. Mais que pas grand-chose n'est mis en place en Suisse, notamment en matière de politique de santé publique, pour cibler ce problème. Au CHUV, quels sont les chiffres qui témoignent de cette hausse? Nous ne tenons pas de statistiques spécifiques, mais ce que nous voyons au niveau clinique c'est une augmentation des patients cirrhotiques dont le cancer du foie n'est pas lié à une consommation d'alcool mais se caractérise par une accumulation de graisses dans le foie, associée à des troubles métaboliques comme l'obésité (soit un indice de masse corporel de plus de 30) , le diabète ou une dyslipidémie (une anomalie du bilan lipidique). De quelle manière ces cancers peuvent-ils être évités? Par une politique de santé publique ciblée, comme vous l'évoquez? Une politique de santé publique efficace devrait, à mon sens, se concentrer sur une meilleure sensibilisation de la population à cette problématique. Les hommes, en particulier, sont plus touchés que les femmes et devraient par conséquent être ciblés en priorité. Ils ne se rendent pas compte des effets de leur consommation d'alcool sur leur santé. Ils imaginent que seuls les alcooliques profonds sont touchés. Alors qu'une consommation régulière, quotidienne, est un important facteur de risque. Les personnes en surpoids semblent aussi ignorer que l'obésité et le diabète de type 2 font partie des facteurs de risque pour développer un cancer du foie. On devrait, là encore, mieux sensibiliser ces personnes. Pourquoi les hommes sont plus touchés que les femmes? Les hommes ont tendance à banaliser leur consommation d'alcool, ils font moins attention à leur image, et la société stigmatise moins leur embonpoint. Alors que les femmes sont en général beaucoup plus soucieuses de leur apparence, de ne pas prendre du poids. De manière générale, les hommes prennent moins soin d'eux et vont moins souvent chez le médecin. Le foie a une particularité: il ne fait pas de bruit. Qu'est-ce que ça veut dire? Je dis souvent que c'est un organe «féminin» parce qu'il souffre en silence. Si vous avez un problème de cœur, ou un problème aux poumons, vous allez rapidement voir des signes. Vous allez tousser, par exemple. Mais pour le foie, lorsque les symptômes apparaissent, c'est souvent déjà trop tard. Même une prise de sang ne permet pas toujours d'identifier les problèmes. Des patients nous le disent d'ailleurs souvent: ils ne comprennent pas, ils ont fait régulièrement des contrôles sanguins qui ne montraient rien de spécial. D'où l'importance de la prévention. Et du dépistage. Quels sont les freins qui empêchent les patients de se faire dépister? Ce qu'on voit, de manière générale, c'est que les adultes qui sont en bonne santé vont rarement voir leur médecin. Ils commencent à consulter à la cinquantaine, lorsque des symptômes apparaissent. Or pour une bonne partie de ces patients, si on avait pu les voir avant que la maladie ne se déclare, on aurait eu du temps d'agir en amont et d'éviter le développement de la pathologie. On aurait par exemple pu les vacciner contre l'hépatite B (ce qui réduit les risques de développer un cancer du foie), s'ils ne l'étaient pas déjà. Ou leur rappeler l'importance d'un mode de vie sain pour lutter contre ce type de cancers. C'est à ça que doit servir le dépistage. Mais pour cela il faut encore une fois sensibiliser la population. C'est du reste ce qu'on est parvenu à faire pour les femmes et le cancer du sein. C'est parce qu'on a martelé l'importance de le détecter au plus tôt qu'elles ont pris l'habitude de régulièrement se faire examiner. 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Comment la peur des hommes hante le quotidien des jeunes Suissesses
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Comment la peur des hommes hante le quotidien des jeunes Suissesses

Écouteurs sur les oreilles et applications de géolocalisation: bienvenue dans l'arsenal défensif d'une génération dont plus de la moitié vit dans la crainte. Témoignages. Publié aujourd'hui à 18h03 Des personnes manifestent à l'appel des collectifs Grève des femmes Vaud et Jamais sans mon consentement, le 21 août 2021 devant le Palais de justice de Montbenon à Lausanne. MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE En bref: Le pouce en l'air, courir vers une voiture qui s'arrête au bord de la route et scruter par la vitre, le cœur battant: qui va bien vous emmener? Bonne ambiance, ou votre instinct vous dit-il de fuir? Dans les années 80, l'auto-stop était encore un moyen de transport courant. Aujourd'hui, cette pratique a presque disparu. Serait-ce par crainte pour notre sécurité? En effet, de nombreuses jeunes femmes ont peur des prédateurs masculins. Selon une étude récente, en Suisse, plus de la moitié d'entre elles éprouvent une «peur accrue» et 14% vont jusqu'à ressentir une «peur extrême» envers les hommes. Moins d'un tiers des personnes interrogées ont choisi l'option «peur légère» ou «pas peur» du tout. «La peur des hommes est toujours là», confie également Morgane S.*, 20 ans. Nous avons modifié les noms des jeunes femmes interrogées pour préserver leur anonymat. Elle étudie à l'Université de Zurich tout en travaillant dans le journalisme. Dès qu'elle fait la connaissance d'une personne digne de confiance, les craintes s'estompent. Application de traçage comme mesure de protection En tant que jeune femme, on est constamment confrontée à des petites agressions au quotidien, comme le catcalling , «des types qui vous appellent ou font des commentaires depuis leurs fenêtres ou les voitures», du harcèlement de rue . Les attouchements sont également fréquents, surtout en ville. Lorsque Morgane S. habitait en centre-ville, ces incidents étaient courants. Maintenant, à la campagne, c'est mieux. Aujourd'hui, elle ressent une tension permanente lorsqu'elle se déplace seule le soir, surtout autour des gares. «Je suis toujours très vigilante, en mode fight or flight , parfois proche de la crise de panique. Par exemple, lorsque j'entends des pas derrière moi, confie-t-elle. C'est alors que les pensées se bousculent dans ma tête: S'agit-il d'un homme? Depuis combien de temps me suit-il? Vais-je réussir à lui échapper?» Elle pratique la musculation depuis des années et s'est mise au kickboxing il y a quelques mois pour gagner en confiance. Ces deux sports l'y aident. De plus, elle fait toujours connaître sa position géographique à sa famille et se sent alors plus en sécurité lors de ses déplacements. De préférence en groupe: «C'est là que mon instinct protecteur se manifeste. Je veille au bien-être des femmes qui m'accompagnent.» «J'aimerais que les hommes comprennent mieux nos peurs et nos préoccupations» Dagmar Pauli, directrice adjointe du service de psychiatrie et psychothérapie pour enfants et adolescents à la Clinique universitaire de Zurich, n'est «pas si étonnée» par ces taux d'anxiété élevés. Selon elle, la plupart des jeunes femmes craignent avant tout un viol commis par un inconnu dans l'obscurité. Beaucoup ignorent que la plupart des délits sexuels sont commis par des proches. Lena A.*, étudiante de 24 ans, le sait bien. Elle a elle-même été victime d'une agression dans sa colocation. Sans crier gare, un colocataire l'a frappée à plusieurs reprises avec une cravache, malgré ses tentatives de défense et sous les yeux d'autres témoins. Ses colocataires ont certes jugé déplacé le comportement de l'agresseur, mais ils sont restés bienveillants à son égard et ont assuré à Lena A. que c'était quelqu'un de bien qui avait simplement commis un écart. La jeune fille souhaiterait que les femmes puissent évoquer leurs préoccupations liées à l'insécurité et à leurs craintes sans que les hommes se sentent immédiatement visés et adoptent une attitude défensive. «Je ne critique pas tous les hommes, mais j'aimerais qu'ils comprennent mieux nos peurs et nos préoccupations.» La peur en toile de fond Lena A. ne se sent pas vraiment en sécurité lorsqu'elle se déplace seule. Un jour, dans le tram, un inconnu qui semblait juste vouloir discuter a soudain posé sa main sur sa jambe. La drague insistante et le harcèlement sur les applications de rencontre et les réseaux sociaux sont des phénomènes très répandus qui alimentent un climat d'insécurité chez les femmes. Eh non, elle n'a jamais observé un tel comportement de la part d'hommes musulmans, seulement de la part de Suisses. Elle ne confirme pas le cliché de la culture sexiste des jeunes musulmans en Suisse. Par mesure de protection, Lena A. porte des écouteurs pour signaler qu'elle ne veut pas être abordée. Elle fait également preuve de beaucoup de prudence lorsqu'il s'agit de donner ses coordonnées. Il lui arrive aussi de prendre ses clés en main en cours de trajet quand la situation devient préoccupante, par mesure de sécurité. Pour les rendez-vous, elle prévient ses amies à l'avance du lieu et de la personne qu'elle va rencontrer. Quand sortir devient source d'angoisse La peur des agressions sexuelles dans l'espace public a-t-elle augmenté chez les jeunes femmes par rapport au passé? Cette question fait débat. Le chercheur allemand spécialisé dans les études générationnelles Rüdiger Maas observe une nette hausse en Allemagne. Maria Mondaca, directrice d'un centre d'accueil pour les jeunes femmes victimes de violences psychologiques, physiques ou sexuelles à Zurich, considère que c'est également très probable en Suisse. Elle souligne que les statistiques criminelles helvétiques révèlent une augmentation des cas de viols et de lésions corporelles graves. Les expériences vécues lors des sorties et les témoignages choquants relayés sur les réseaux sociaux alimentent également ce sentiment de peur. Les filles et les jeunes femmes de son entourage professionnel lui font souvent part de harcèlements, d'insultes ou d' agressions subis de la part d'hommes pendant leurs loisirs. «Je suppose que le nombre de cas non recensés est élevé», ajoute la spécialiste. Se déplacer devient source d'angoisse, notamment l'été au bord du lac. Les jeunes femmes sont «parfois poursuivies, abordées de manière irrespectueuse ou sexualisée, harcelées ou sollicitées pour engager une conversation, même lorsqu'elles manifestent clairement leur refus». Des études démontrent que même des gestes apparemment anodins, comme des blagues grivoises ou des sifflements au quotidien, contribuent à créer un climat dans lequel les femmes se sentent souvent mal à l'aise et perdent confiance en elles. Carla W.*, 23 ans, étudiante en anglais, sort très rarement. Elle ne fréquente pratiquement que des camarades d'études et a elle aussi vécu ce genre d'expérience. Bien qu'il ne se soit concrètement rien passé, une situation l'a profondément déstabilisée. Elle n'a généralement pas peur, mais a pris conscience de sa vulnérabilité quand un jeune homme qui l'accompagnait lui a déclaré soudain, d'un ton triomphant: «J'ai envie, là, maintenant, de tout faire avec toi.» Le harcèlement sous toutes ses formes: en parler aux hommes Sophie M.*, 25 ans, chargée de communication, en a fait l'expérience. À l'âge de 11 ans, elle a subi un traumatisme causé par son grand-père. Il s'est montré violent en franchissant des limites de manière inacceptable. Plus tard, à l'adolescence, une connaissance plus âgée lui a imposé des baisers. Un colocataire lui a donné des coups de pied aux fesses sans son consentement. Aujourd'hui encore, Sophie M. n'aime pas sortir seule et peine à retrouver suffisamment confiance en elle pour accepter un rendez-vous. «J'imagine à chaque fois un scénario qui finit mal.» L'alcoolisation excessive des hommes inquiète les jeunes femmes qui sortent le soir. IMAGO/REICHWEIN En revanche, au travail ou avec ses camarades, Sophie M. se sent en sécurité. Lorsqu'elle sort seule le soir, elle chausse de bonnes baskets pour pouvoir courir, enfile un pull ample par-dessus son haut et met ses écouteurs en guise de protection. Elle scrute en permanence, et automatiquement, les alentours à la recherche de signaux: là, par exemple, un groupe de jeunes hommes, bières à la main – l'alcool désinhibe –, ou ici, une bande de supporters de foot , gorgés d'adrénaline après un match. Bien sûr, le lieu joue un rôle: «Les femmes ne peuvent pas se déplacer partout avec la même liberté, explique Sophie M., mais elles ont le droit de se sentir en sécurité.» La jeune femme constate toutefois un progrès, surtout parmi ses collègues masculins de son âge: «Je peux parler avec eux si je me sens mal à l'aise.» Elle aborde le sujet et évoque ce qu'elle perçoit comme des comportements masculins inadaptés. Elle constate notamment «que les garçons se font des films, complètement différents de ceux des filles». Ils ne sont pas du tout conscients de ce que les femmes peuvent ressentir. Ce que cela représente de se promener la peur au ventre. Ses amis ont réagi avec respect et compréhension. Pour elle, il est essentiel d'éviter de diaboliser l'autre sexe et de privilégier le dialogue. 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Privée d'un traitement vital, une Suissesse saisit la Cour européenne des droits de l'homme
Privée d'un traitement vital, une Suissesse saisit la Cour européenne des droits de l'homme

24 Heures

time19 hours ago

  • 24 Heures

Privée d'un traitement vital, une Suissesse saisit la Cour européenne des droits de l'homme

Atteinte d'une maladie rare, une Suissesse se bat pour accéder à un médicament essentiel à sa survie. Un cas révélateur des limites du système de santé. Publié aujourd'hui à 14h55 La Suissesse est atteinte d'amyotrophie spinale, une maladie rare et dégénérative (photo prétexte). Getty Images Atteinte d'une maladie génétique incurable, une Suissesse s'est battue pendant des années pour obtenir le remboursement d'un traitement capable de ralentir sa progression, relate le site Watson . Après avoir été déboutée par toutes les instances suisses, elle vient d'essuyer un nouvel échec devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a donné raison à sa caisse maladie. Son avocat dénonce la priorité donnée en Suisse aux intérêts économiques sur la dignité humaine. La patiente est atteinte d'amyotrophie spinale, une maladie rare et dégénérative. En fauteuil roulant, alimentée par sonde gastrique et sous assistance respiratoire, elle use de son index pour contrôler son fauteuil roulant et son téléphone, ce qui l'aide beaucoup au quotidien. Cependant, depuis 2018, ce doigt a commencé lui aussi à faiblir. Pas de remboursement Un traitement peut toutefois changer les choses: le Spinraza, un médicament capable de ralentir, voire de stopper la progression de la maladie. Chaque injection coûte cependant 90'000 francs et il faut en réaliser six la première année, puis deux par an. Or, il y a sept ans, l'assurance de la Suissesse refuse de rembourser ce traitement, le médicament n'étant alors pas inscrit sur la liste des traitements spéciaux définie par la Confédération. La patiente s'engage un long combat judiciaire, qui ira jusqu'au Tribunal fédéral. Elle parvient à financer une première injection, observe des améliorations, les documente à travers des rapports d'experts, et fournit de nouvelles études scientifiques. Mais la justice estime ces preuves insuffisantes, faute de données statistiques solides, et rejette sa demande. Recours à la CEDH En 2020, le Spinraza est finalement ajouté à la liste des traitements remboursés – mais uniquement pour les patients de plus de 20 ans non ventilés artificiellement. La Suissesse reste donc exclue du dispositif. Elle décide alors de saisir la CEDH. Mais les juges rejettent sa requête à une courte majorité (quatre voix contre trois), estimant que la Suisse n'a pas violé la Convention européenne des droits de l'homme. Un remboursement vital Son avocat, Philip Stolkin, se dit stupéfait par la décision: «Si elle ne reçoit pas ce médicament, elle meurt», argumente-t-il auprès de nos confrères. Selon lui, la Suisse dispose d'autres leviers pour encadrer les coûts des traitements – comme la mise en place d'une caisse unique –, mais choisit de protéger les intérêts des assureurs. L'OFSP se défend de toute opposition de principe au remboursement, affirmant à nos confrères que «le prix n'est absolument pas» le problème. Selon l'OFSP, ce sont les critères de remboursement qui sont en jeu, et ceux-ci exigent des preuves solides de l'efficacité – jugées ici insuffisantes. L'avocat envisage désormais de porter l'affaire devant la Grande Chambre de la CEDH, en raison du vote serré. Assurances maladie en Suisse Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Sonia Imseng est journaliste au sein de la rédaction numérique. Elle couvre l'actualité, la société et la culture. Elle a aussi travaillé pour Femina, la RTS, Le Temps, Le Courrier. Plus d'infos @SoniaImseng Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

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