
Pourquoi Roche retire un traitement anticancéreux du marché suisse malgré son efficacité
À chaque étape d'un essai clinique, Roche évalue la sécurité et l'efficacité afin de déterminer le profil bénéfice-risque d'un médicament.
ROCHE
En bref:
Thilo Zander est cancérologue au Centre d'oncologie intégrative de Zurich. Depuis trois semaines, son métier est devenu plus compliqué que jamais. Comment expliquer à ses patients ce qui s'est passé? «Il existe un médicament efficace, mais vous n'y aurez pas accès…»
L'oncologue s'inquiète à cause d'un bref e-mail reçu de Roche il y a trois semaines. Dans ce courrier électronique, le groupe pharmaceutique annonce le retrait du marché du médicament anticancéreux Lunsumio au 1er juillet, soit une semaine plus tard. Roche explique cette décision par des «défis croissants» concernant la fixation des prix, le système actuel atteignant ses limites face aux thérapies innovantes.
«C'est une question d'argent qui se fait sur le dos des personnes gravement malades», déclare Thilo Zander, spécialiste du cancer.
DR
Pour le spécialiste et beaucoup de ses collègues, cette décision est une gifle. «C'est une question d'argent qui se fait au détriment des personnes gravement malades.» Le médicament représente un véritable espoir pour les personnes souffrant d'un cancer avancé des ganglions lymphatiques, particulièrement lorsque les deux thérapies antérieures n'ont pas fonctionné.
«Jusqu'à maintenant, il fonctionne rapidement et de façon fiable. Presque tout le monde répond favorablement. De nombreuses tumeurs disparaissent», explique le médecin. «Ces patients et leurs familles ont déjà subi deux rechutes. Et maintenant, cette substance efficace et bien tolérée devrait disparaître?»
Christoph Renner, professeur et hématologue au Centre d'oncologie intégrative de Zurich, est également surpris par cette décision. «Les patients actuels reçoivent toujours le médicament, mais les nouveaux n'y ont plus accès. Beaucoup se sentent désorientés pendant les consultations et expriment leur peur.» Ce qui l'irrite particulièrement, c'est que Roche, d'après un e-mail, refuse désormais les remboursements au cas par cas, une pratique nouvelle. Auparavant, on pouvait lire: «Si vous avez des patients concernés, contactez-nous.» Cette mention a disparu. Procédure spéciale d'«accès anticipé»
Le remboursement au cas par cas est un mécanisme suisse qui a démontré son efficacité. Lorsqu'un médicament est nécessaire, mais pas encore officiellement autorisé ou remboursé, les médecins peuvent soumettre une demande spéciale à la caisse maladie pour les cas exceptionnels. Roche n'autorise plus cette option.
Que s'est-il passé?
Le Lunsumio a été ajouté à la liste des spécialités, le répertoire officiel des médicaments de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), en février 2023. Cette liste détermine quels médicaments sont remboursés par l'assurance de base. Le parcours pour y arriver a été inhabituel.
Le médicament est arrivé sur la liste par le biais d'une procédure dite d'«Early-Access» , un projet pilote de l'OFSP, de Swissmedic, l'autorité d'autorisation et de contrôle des produits thérapeutiques en Suisse, et de Roche. Elle permet un remboursement avant que toutes les données cliniques ne soient disponibles.
Swissmedic a octroyé une autorisation temporaire , tandis que l'OFSP a élaboré un modèle de tarification spécifique avec Roche. Afin de partager le risque financier lié à un médicament encore en phase de test, un accord prévoyait que la firme finance les premières doses jusqu'à ce qu'elles démontrent leur efficacité, le reste étant ensuite assumé par les caisses maladie et l'État. Cela se produisait systématiquement après un ou deux mois.
Le reste du traitement a coûté plus de 100'000 francs, montant qui a été remboursé par les assurances maladie. Le prix était aligné sur celui de médicaments similaires en Suisse et à l'étranger. Roche demande plus de fonds
Mais en février, quand l'autorité de contrôle des produits thérapeutiques a dû prolonger l'autorisation temporaire de mise sur le marché en raison de données toujours manquantes, Roche a brusquement abandonné le modèle de prix négocié. Et a exigé une compensation financière plus importante.
L'OFSP est resté ferme. «Nous ne pouvons pas faire d'exception si la base de données sur l'efficacité du médicament ne s'améliore pas de manière significative et si Swissmedic n'a pas autorisé le médicament selon la procédure normale. Sinon, nous ne traitons pas toutes les entreprises pharmaceutiques de façon équitable», explique Jörg Indermitte, responsable de la section Admissions des médicaments à l'OFSP.
Son message est clair. Dès que l'OFSP fait une concession, cela ouvre la voie à toutes les demandes. Chaque fabricant pourrait exiger une réglementation sur mesure qui lui serait favorable, notamment pour imposer des prix plus hauts. La Suisse possède déjà les prix les plus élevés d'Europe.
«Au cours des derniers mois, nous avons déjà fait d'importantes concessions à Roche dans le cadre de nouvelles négociations», explique Jörg Indermitte. Le Lunsumio est beaucoup plus onéreux que les traitements utilisés jusqu'à maintenant. «Nous ne comprenons pas la démarche de Roche. Mais nous restons bien sûr ouverts au dialogue et souhaitons trouver une solution.» Bras de fer avec l'OFSP
Roche, quant à elle, rejette la responsabilité sur l'OFSP. Le développement d'un médicament coûte en moyenne environ 5,5 milliards de francs, et seul un principe actif sur dix aboutit à un résultat positif dans la recherche. Dans la pratique quotidienne des médecins, il apparaît déjà que le Lunsumio présente un bénéfice très important pour les patients. «La valeur ajoutée médicale doit être prise en compte dans le remboursement», déclare Katharina Gasser, directrice générale du groupe. C'est seulement de cette façon que Roche pourra continuer à fournir des médicaments innovants dans le futur.
Dans son bras de fer avec l'Office fédéral de la santé publique, Roche tient un atout majeur avec le Lunsumio. Le médicament montre ses premiers effets. Les oncologues s'engagent à le soutenir. De plus, la pression sociale est intense, le cancer étant un sujet qui suscite de fortes émotions. En Suisse, une personne sur trois est affectée par cette maladie au cours de sa vie. De nos jours, cette maladie reste fréquemment mortelle. L'espoir de découvrir un médicament miracle est donc immense. Non autorisé en France et en Angleterre
En Grande-Bretagne et en France, le Lunsumio n'est pas encore remboursé, car les données disponibles sont jugées insuffisantes. Selon le National Institute for Health and Care Excellence britannique, responsable des directives basées sur les preuves et des évaluations coûts-bénéfices dans le domaine de la santé, les études cliniques montreraient certes que le médicament ralentirait le cancer, «mais il n'a pas encore été directement comparé à d'autres thérapies ou à un placebo».
Kerstin Noëlle Vokinger, professeure de droit et de médecine à l'Université et à l'EPF de Zurich, a déclaré: «Nous avons besoin de données suffisantes pour comprendre l'effet et les effets secondaires des nouveaux médicaments, et pour fixer un prix en fonction des critères prescrits par la loi et la réglementation.»
Quand un médicament est remboursé en l'absence de données probantes sur son efficacité, il est essentiel de fournir ces preuves dans les plus brefs délais. Si ce n'est pas possible et que le prix augmente malgré tout, cela ouvre la porte à d'autres exceptions. «À l'avenir, d'autres médicaments pourraient devenir plus chers sans fournir les données nécessaires.»
Kerstin Noëlle Vokinger est professeure de droit et de médecine à l'Université de Zurich et à l'EPFZ.
BALZ MURER/TAMEDIA
Les prix moyens des médicaments récemment élaborés continuent d'augmenter chaque année. Les travaux de recherche de Kerstin Noëlle Vokinger le confirment. Le coût réel de développement de chaque nouveau médicament demeure un mystère. Il est protégé par le secret commercial.
C'est pour cette raison que la Ligue suisse contre le cancer réclame depuis longtemps davantage de clarté. Selon sa porte-parole Stefanie de Borba, les modèles de prix complexes négociés entre l'OFSP et l'industrie pharmaceutique accentuent le manque de transparence. Les décideurs politiques peinent ainsi à se forger une opinion.
L'entreprise pharmaceutique aurait, à plusieurs reprises, menacé de compromettre l'accès aux médicaments en Suisse. «Jusqu'à présent, nous n'avons jamais connu de cas où l'on en est effectivement arrivé là», ajoute l'attachée de presse. Mais cette fois, c'est différent. «Il est très préoccupant que Roche refuse d'envisager des remboursements au cas par cas pour une maladie mortelle.»
Selon ses propres déclarations, Roche ne propose pas de remboursement au cas par cas, car les conditions de remboursement ne sont pas non plus remplies dans ce cas. Roche fournit donc le médicament gratuitement après examen au cas par cas, explique Katharina Gasser. Cela se fait par le biais du programme Swiss Patient Access, un système d'accès volontaire mis en place par Roche pour les patients atteints d'un cancer grave dans des cas de rigueur.
Les experts suspectent également que des motifs géopolitiques ont influencé la décision de Roche. Le président Donald Trump a annoncé son intention de réduire les prix des médicaments aux États-Unis et de les aligner sur ceux pratiqués en Europe.
«Les États-Unis représentent le marché le plus important de Roche», renseigne Stefanie de Borba. «Visiblement, le groupe cherche à compenser les pertes éventuelles en relevant ses prix en Europe. Le Lunsumio est son premier test.»
La directrice générale de Roche Suisse affirme que l'entreprise travaillait déjà à l'amélioration des modèles de tarification, lesquels ne nécessitent aucune mesure d'urgence, bien avant l'annonce faite par le président américain. Dans ce contexte, elle a mis en garde contre les répercussions sur le système de santé suisse si la situation demeure inchangée.
Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan
À propos de l'industrie pharmaceutique
Catherine Boss est co-responsable de la cellule enquête Tamedia, et focalise son travail sur des sujets médicaux, économiques et judiciaires, ainsi que sur d'autres sujets investigations. Avec des collègues elle a obtenu le Swiss Press Award et à deux reprises le Prix zurichois du journalisme. Plus d'infos
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


24 Heures
6 hours ago
- 24 Heures
Genève: grave accident entre tram et piéton à la route des Acacias
Accident à Genève – Une piétonne trentenaire renversée par un tram à la route des Acacias Un groupe spécialisé dans les accidents graves a été dépêché sur place. Sophie Davaris Une piétonne s'est fait renverser par un tram ce mardi en fin d'après-midi sur la route des Acacias. Sa vie n'est heureusement pas en danger. Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk Un accident est survenu ce mardi à 17 h 44 sur la route des Acacias, à la hauteur du numéro 38. Une piétonne d'une trentaine d'années s'est fait renverser par un tram de la ligne 17 qui roulait en direction de Lancy. La vie de la jeune femme ne serait heureusement pas en danger, selon la police. «Le Groupe audiovisuel accident (GAVA) que l'on dépêche pour les accidents graves s'est rendu sur place pour procéder aux relevés techniques», signale le porte-parole Alexandre Brahier. La circulation, d'abord bloquée dans les deux sens, a été rétablie à 18h24. Accidents à Genève Accident à Genève Explosion à l'Université de Genève, une personne blessée Newsletter «La semaine genevoise» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton de Genève, chaque semaine dans votre boîte mail. Autres newsletters Se connecter Sophie Davaris est rédactrice en chef de la Tribune de Genève. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
6 hours ago
- 24 Heures
Assurance: 91% des chiens et chats ne sont pas assurés en Suisse
Santé des animaux – Les Suisses ne veulent pas d'assurance maladie pour leur chien ou chat Selon un sondage, près de 91% des animaux de compagnie de notre pays ne sont pas assurés. Adriana Stimoli Certaines assurances imposent des limites d'âges dans la prise en charge des animaux. KEYSTONE Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk Chiens, chats et autres compagnons occupent une place de choix dans les foyers de Suisse. Près de la moitié (43%) des ménages partage son quotidien avec un animal, dont 2 millions de chats et 500'000 chiens. Mais peu de propriétaires choisissent une assurance maladie pour leur boule de poils, selon le dernier baromètre HelloSafe. Sur 22 pays passés en revue, la Suisse se retrouve en 5e position, avec 9% d'animaux domestiques assurés. Si elle reste loin derrière la Suède (91%), elle devance des pays comme la France (5%). Plus de 1000 fr. par an pour une assurance Comment comprendre ces chiffres dans un contexte helvétique? Tout d'abord, détenir un animal coûte. Selon HelloSafe, pour un chat, la facture annuelle est de 1000 à 1500 francs par année et il faut compter environ 1000 francs de plus pour un chien. Ces dépenses comprennent l'alimentation, les soins et les visites vétérinaires. Mais en cas de pépin, l'addition devient vite salée: une chirurgie varie entre 1000 et 3000 francs, un diagnostic entre 200 et 800 francs, et une urgence peut dépasser 2000 francs. Or, malgré ces sommes, peu de Suisses se tournent vers une assurance maladie pour leur animal. Une offre en assurance floue et chère Selon HelloSafe, le premier frein à une souscription d'assurance reste le coût. Il y a aussi une autre barrière: le manque de clarté. Déjà en 2021, la Fédération romande des consommateurs (FRC) pointait du doigt la difficulté à s'y retrouver dans une jungle d'offres et de conditions. Il faut dire que le marché de l'assurance pour animaux de compagnie est difficile à décrypter. D'un côté, des assureurs spécialisés comme Epona ou Wau-Miau proposent des produits exclusivement destinés aux chiens et aux chats. De l'autre, les grandes compagnies traditionnelles ont investi ce créneau en intégrant des formules spécifiques. Cette diversité complique les comparaisons, car chaque contrat propose des garanties différentes. Franchises variables, plafonds de remboursement annuels, exclusions de soins (notamment dentaires ou comportementaux), critères d'âge ou refus de couvrir certaines maladies préexistantes: voilà autant de spécificités propres à chaque assureur. Un peu comme si chaque contrat avait ses propres règles. Et vous, avez-vous assuré votre animal? Oui, je veux faire face à un imprévu. Non, pas besoin. J'aimerais bien, mais je n'ai pas les moyens. Se connecter Vous devez être connecté pour participer. À cela s'ajoute une large fourchette tarifaire: selon l'animal, sa race, son âge, son état de santé ou encore la couverture choisie, les primes mensuelles peuvent aller de 5 francs à plus de 55 francs. Autre difficulté méconnue: la première année de vie d'un animal est souvent mal couverte, voire pas du tout. Entre les vaccins, les visites de contrôle et les traitements antiparasitaires, les frais vétérinaires s'accumulent vite. Le hic: de nombreuses assurances refusent de rembourser ces soins jugés «préventifs» ou «non urgents». Certains contrats excluent même les animaux de moins d'un an. Pour les propriétaires, souscrire une assurance ne suffit donc pas. Il faut aussi bien comprendre ce qui est couvert et ce qui ne l'est pas, tout en se renseignant sur les problèmes de santé propres à certaines races de chiens ou de chats. Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Se connecter Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
10 hours ago
- 24 Heures
Transports publics valaisans: le PASS 13* est désormais permanent
Après plusieurs phases de test, le Canton a décidé de pérenniser l'offre qui propose jusqu'à 25% de réduction sur les billets. Publié aujourd'hui à 14h57 Le PASS 13* est disponible pour une durée indéterminée, indique un communiqué du canton du Valais publié ce mardi. Concrètement, il s'agit d'un crédit offrant un rabais allant jusqu'à 25% sur l'achat de billets. Le PASS 13* a été conçu pour parfaire, à l'échelle régionale, l'offre nationale destinée à accroître l'attractivité des transports publics. Le premier type de pass, à 160 francs, donne droit à un crédit correspondant à un rabais de 20% et le second, à 375 francs, permet un rabais de 25%. Celui-ci reste valable douze mois entier sur l'ensemble du Canton après son activation. Une étude menée en deux phases La mise sur le marché de cette variante valaisanne du «demi - tarif plus» fait suite à deux phases de test, durant lesquelles les ventes du PASS 13* ont été scrutées. Elles se sont révélées stables, malgré une hausse du prix de l'offre entre la première et seconde phase. Les utilisateurs se sont montrés satisfaits du tarif avantageux que permettait l'offre, mais aussi de sa flexibilité et sa facilité d'utilisation. Les études ont également conclu au fait que l'introduction du PASS 13* était suivie d'une augmentation de l'utilisation des transports publics. Il est ainsi apparu que l'offre répondait à une demande réelle. Un Canton qui bouge Newsletter «La semaine valaisanne» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton du Valais, chaque vendredi dans votre boîte mail. Autres newsletters Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.