
Économie: le peuple n'aura pas le dernier mot sur l'accord avec l'Inde
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Le peuple suisse n'aura pas le dernier mot sur l'accord avec l'Inde
À l'issue du délai référendaire, personne n'a contesté ce traité de libre-échange. Les Verts préfèrent concentrer leurs forces sur le Mercosur.
Florent Quiquerez
Une vue de Mumbai, la ville la plus peuplée de l'Inde.
AFP
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En bref : L'accord de libre-échange avec l'Inde devrait entrer en vigueur cet automne déjà.
Le traité supprimera 95% des droits de douane sur les exportations industrielles suisses.
Les Verts ne l'ont pas contesté, mais menacent de lancer un référendum contre l'accord avec le Mercosur.
Son impact environnemental inquiète en effet davantage que celui de l'accord avec l'Inde.
L'événement est majeur pour l'économie, mais il est passé inaperçu. L'accord de libre-échange avec l'Inde va pouvoir entrer en vigueur. Le délai pour le dépôt d'un référendum a expiré le 30 juin et personne n'a décidé de le saisir. Pour le conseiller fédéral Guy Parmelin, c'est un succès, après 16 ans de négociations.
À terme, 95% des droits de douane sur les exportations de produits industriels suisse seront supprimés. Le potentiel d'économie? 166 millions par an. «Un accord de libre-échange avec le pays le plus peuplé du monde arrive au bon moment», réagit EconomieSuisse, qui rappelle les «actuelles tensions géopolitiques et incertitudes en matière de politique commerciale». Allusion aux taxes de Donald Trump.
Le Mercosur est un autre accord «géant»
Mais la faîtière ajoute une dimension politique à l'affaire. L'absence de référendum montrerait «que l'opinion publique reconnaît l'importance de l'accord». L'allusion porte cette fois-ci sur la politique intérieure. Car un autre traité de libre-échange est sur toutes les lèvres: le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay). La Suisse vient de conclure les négociations.
Lisa Mazzone, présidente des Verts.
J-P GUINNARD
Le contenu du paquet doit encore être publié, mais Les Verts menacent déjà de le torpiller dans les urnes. «En pleine canicule, le Conseil fédéral signe un accord au détriment du climat et de la forêt amazonienne, réagissait sa présidente Lisa Mazzone, juste après sa conclusion. Les Verts examineront les détails de l'accord, mais sont prêts pour le référendum.» Des déclarations à prendre au sérieux. En 2021, les opposants à l'accord avec l'Indonésie avaient convaincu 48,3% des votants.
L'importance de la forêt amazonienne
Face à ces velléités, Guy Parmelin rétorque que des avancées majeures ont été obtenues avec le Mercosur. «Le chapitre sur la durabilité couvre la protection du climat, la lutte contre la déforestation, un engagement pour la reforestation, des mesures strictes pour les droits des travailleurs et la participation des peuples autochtones. Un panel d'experts indépendant a aussi été créé pour surveiller l'application de l'accord. Ce sont autant de points réclamés par le camp rose-vert.»
Guy Parmelin, ministre de l'Économie.
Foto: Nicole Philipp
Pour Olivier Feller (PLR/VD) l'équation est simple. «Quand on parle de libre-échange, il y a deux écueils. Le premier est lié aux droits humains et à l'environnement. Avec cette question: est-ce que cela vaut la peine d'importer sur de longues distances des marchandises, qui ne sont pas produites selon nos normes. Le second est lié à l'agriculture et à tout ce que cela implique dans l'alimentation. Or, avec l'Inde, ces deux écueils ont été surmontés avec des garanties.»
«Il faudra voir les détails de l'accord avec Mercosur, mais si les mêmes garanties ont été obtenues, je ne vois pas pourquoi Les Verts devraient lancer un référendum. À moins qu'ils ne le fassent par pure stratégie politique.» Il serait en effet plus facile de polémiquer «sur le bœuf aux hormones ou la forêt amazonienne» que d'attirer l'attention sur l'Inde, qui – comme pays «non aligné et démocratique» à quelque chose de «sympathique».
Une analyse que ne partage pas le vice-président des Verts, Nicolas Walder (GE). «L'accord avec l'Inde n'a que peu à voir avec celui du Mercosur. Le premier n'est pas parfait, mais on peut vivre avec. Même si nous regrettons qu'il n'y ait pas de critère de durabilité dans les investissements prévus, nous saluons la volonté d'investir pour développer l'économie indienne et non pas uniquement d'exploiter ses ressources.»
Et d'insister: «Pour le Mercosur, l'impact potentiel en termes de biodiversité et d'environnement est d'une tout autre ampleur, notamment en raison de l'agriculture. Ce secteur n'est pas directement concerné par l'accord avec l'Inde, qui ne cherche pas à exporter à tout prix dans ce domaine. La logique dans les pays du Mercosur est tout autre. C'est précisément cette hausse des exportations agricoles, en particulier la viande, qui met en danger la forêt amazonienne et tout ce qu'elle représente en termes d'environnement et de biodiversité.»
L'accord doit désormais passer devant le parlement. On saura courant 2026 si le peuple aura le dernier mot.
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Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes. Plus d'infos
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24 Heures
3 hours ago
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D'espoir du FC Sion à homme de main présumé des trafiquants de drogue
Dans le sillage du démantèlement du réseau basé à Sierre, un jeune footballeur valaisan devra comparaître. Il lui est reproché d'avoir joué les gros bras d'un système basé sur la violence. Publié aujourd'hui à 07h25 Le trafic de drogue, réputé très violent, était organisé depuis la cité Aldrin, à Sierre. Chantal Dervey En bref: C'est une affaire hors du commun. Par les quantités de drogue écoulées - au moins 540 kilos de cannabis et plus de 2 kilos de cocaïne - mais aussi par la férocité du trafic. «C'est la première fois, en Valais, que des dealers ont recours à un tel degré de violence. Ils ont fait régner une véritable terreur», soulignait le procureur Olivier Elsig, lundi 4 août, lors du procès de l'une des deux têtes du réseau. Ce Tunisien de 22 ans a été condamné à 4 ans de prison et à une expulsion du territoire. Il a fait appel de la décision. Au total, une trentaine de prévenus vont comparaître devant la justice. Parmi eux, Nolan*, présumé innocent à ce stade. 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Quelques mois plus tôt, en mai, Nolan exécute un mandat pour un dealer lyonnais, affirme le Parquet. L'objectif? Récupérer une dette de drogue de 5000 euros. La scène, filmée et versée au dossier, est d'une rare violence. Selon le Ministère public, Nolan fait chuter le débiteur au sol et le «frappe violemment», notamment au visage, «avec une chaîne en métal ou une ceinture». Armé d'un couteau pointé vers le visage de la victime, il hurle: «Je te défonce la gorge, je te défonce la gorge, tu entends.» S'ensuit, toujours selon le Parquet, «un coup de pied au visage» alors que l'homme gît toujours au sol. Il lui est désormais réclamé 10'000 euros, le double de sa dette, pour lui «carotter» de l'argent, selon les déclarations de Nolan aux enquêteurs. L'opération est vaine, la victime ne déboursera pas un centime. Après cet épisode, elle a souffert d'une «lèvre gonflée, de boursouflures sur le visage, d'hématomes sur le corps et de douleurs durant plusieurs jours». Le procureur Elsig est formel: «Cette vidéo vaut tous les réquisitoires.» «Un gars bienveillant» Aux yeux de la justice et des enquêteurs, Nolan* est un exécutant violent et sans scrupule. Pourtant, les personnes qui l'ont côtoyé parlent d'un «homme bienveillant et positif». L'écart est abyssal. Pour les uns, c'était un récupérateur de caution, pour les autres, un footballeur en devenir. En mai 2022, là où le Parquet le place au cœur du passage à tabac mandaté par le malfrat lyonnais, le jeune homme évolue également sur les terrains avec la deuxième garnison du FC Sion. Au moment des faits reprochés, il est même contingenté avec la première équipe – sans avoir encore glané des minutes de jeu. «C'est un bon joueur, très rugueux, mais vraiment gentil», se souvient l'un de ses anciens coéquipiers. Dans le giron du club, les démêlés judiciaires de Nolan* nourrissent les rumeurs autant qu'ils créent la stupéfaction. Parmi les personnes qui gravitaient de près ou de loin autour du jeune homme, «personne ne s'imaginait un tel scénario. On parle d'un gars bien éduqué, protestant, qui va régulièrement au culte», ajoute-t-il. Dans l'encadrement du FC Sion, on regrette la trajectoire empruntée par le joueur. «C'est un choc. Il était aux portes de la première équipe. Il n'était pas encore au niveau, mais il est passé à côté d'une carrière», relève une source. Dans son entourage sportif, on évoque une probable «naïveté dans ses actes». Autrement dit, «il n'a pas pris la mesure de ce qu'il faisait». Du stade à la prison Apprécié au sein du club – c'est un jeune issu de la formation – Nolan aurait peu à peu dérapé. «Sur la fin, il était moins précis dans son professionnalisme», résume un cadre. Nous sommes en 2024. «Son comportement a changé, il est devenu plus louche et a commis des vols au sein du vestiaire.» Le joueur est alors sanctionné à l'interne et quitte le FC Sion. En parallèle, les enquêteurs bouclent l'affaire. Un mois plus tard, en avril, il est arrêté par la police et placé en détention préventive. Il passera trois mois derrière les barreaux, à une exception près: le Ministère public lui accorde une visite auprès de son père, mourant. Nolan* décidera toutefois de ne pas assister aux funérailles, où il était prévu que des policiers en civil l'encadrent. L'équipe espoir du FC Sion et le staff ont, eux, fait le déplacement. «On ignorait qu'il était en prison», lâche un ancien coéquipier. Aujourd'hui, Nolan* est un homme libre et bénéficie de la présomption d'innocence. Dans l'attente de son procès – qui devrait intervenir prochainement – il a repris le football dans un club de première ligue, soit l'échelon le plus élevé du football amateur. Un bon signal, selon une source du FC Sion. «Ce n'est pas le seul joueur de Suisse à avoir plongé. Cette trajectoire est malheureusement connue, en particulier pour les gars des milieux défavorisés. 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24 Heures
a day ago
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Droits de douane: les PME fustigent la position de l'UDC sur le chômage partiel
Les milieux économiques réclament l'extension du chômage partiel à vingt-quatre mois pour faire face aux taxes américaines. Une mesure soutenue par presque tous les partis, sauf l'UDC. Publié aujourd'hui à 10h01 Fabio Regazzi, président de l'Union suisse des arts et métiers et conseiller aux États, ne partage pas la position de l'UDC concernant les mesures à adopter face aux droits de douane punitifs de Donald Trump. CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE En bref: Les milieux économiques s'agitent depuis quelques jours, réclamant massivement une prolongation du chômage partiel, qui passerait de dix-huit à vingt-quatre mois. Les entreprises pourraient ainsi mieux faire face aux droits de douane américains élevés sans licencier leurs employés. Le principe est simple. Le chômage partiel permet de préserver la main-d'œuvre qualifiée et de redémarrer plus rapidement après une crise. L'idée bénéficie du soutien de presque tous les partis politiques, de la gauche à la droite. Paradoxalement, l'UDC s'y oppose, alors qu'elle se présente volontiers comme le parti de l'artisanat et de l'économie. Le parti a fait savoir cette semaine que prolonger le chômage partiel à deux ans ne serait pas opportun en période de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Cette position irrite l'Union suisse des arts et métiers (USAM), où l'UDC jouit traditionnellement d'un fort ancrage. Le conseiller aux États (C/TI) et président de l'USAM Fabio Regazzi ne mâche pas ses mots. «Je ne comprends pas que l'UDC s'oppose à une prolongation du chômage partiel à vingt-quatre mois. De nombreux commerces en ont besoin.» Selon lui, la mesure constitue un outil essentiel pour aider les PME exportatrices à surmonter les mois difficiles qui suivront le choc douanier. Le patron de l'USAM a les dirigeants de l'UDC dans le collimateur «L'UDC se présente comme le seul parti à défendre les entreprises. Pourtant, elle ne leur est pas toujours favorable.» Les têtes pensantes du parti sont dans le viseur du président de l'Union suisse des arts et métiers. «La direction de l' UDC est assez idéologique et oublie parfois la réalité des petites entreprises.» Fabio Regazzi se fait toutefois l'avocat des membres de l'UDC au sein de ses propres rangs. Selon lui, «la plupart des entrepreneurs proches de l'UDC sont pragmatiques» au sein de l'organisation patronale. «Des pages et des pages d'offres d'emploi» Le président de l'UDC, Marcel Dettling , se défend face aux reproches qui lui sont adressés. «L'UDC soutient totalement les entreprises.» Le désengagement du parti «à la prolongation du chômage partiel n'est pas un non idéologique», souligne-t-il. «Il n'est pas logique de maintenir artificiellement des emplois dans certains secteurs grâce aux indemnités de chômage partiel tandis que d'autres peinent à recruter.» Le Schwytzois évoque les nombreux postes vacants. Selon lui, il existe des «pages et des pages d'offres d'emploi» qui restent sans réponse. «Il est absurde de maintenir des personnes au chômage partiel tout en faisant venir des spécialistes de l'étranger.» Cela ne fait qu'accélérer la croissance démographique vers une Suisse à 10 millions d'habitants , ce qui ne peut pas servir «notre intérêt». Il plaide pour une approche différente. «Au lieu de maintenir artificiellement des personnes au chômage partiel, nous devrions les employer là où il y a du travail.» Une pénurie de main-d'œuvre à combler Selon le président de l'Union suisse des arts et métiers, l'argumentation de l'UDC ne correspond pas à la réalité. L'argument selon lequel il existe une pénurie de main-d'œuvre dans le pays et qu'il serait possible d'employer ces personnes ailleurs plutôt que de les mettre au chômage partiel demeure «purement théorique». «Premièrement, de nombreuses entreprises feraient faillite si nous ne les aidions pas à surmonter la période des droits de douane exorbitants.» Deuxièmement, il n'est pas envisageable d'employer des spécialistes dans une branche qui n'est pas la leur. Le président de l'UDC n'est pas de cet avis. Il reconnaît qu'«on ne peut pas embaucher du jour au lendemain un spécialiste dans n'importe quel autre métier». «Mais la pénurie ne touche pas seulement les enseignants, elle concerne de très nombreuses branches.» Le chômage partiel avait joué un rôle important pendant la pandémie . À l'époque, l'UDC était favorable à son extension. Contrairement à la situation qui se dégrade aujourd'hui pour de nombreuses entreprises exportatrices, la plupart des secteurs étaient touchés à des degrés divers. L'UDC avait alors fait valoir que le chômage partiel était nécessaire pour éviter des licenciements massifs et permettre une reprise économique rapide après le confinement. Les représentants du parti avaient salué cette mesure, qui permettait notamment d'assurer des liquidités et de maintenir le personnel qualifié dans le pays. Durant la crise sanitaire, la pénurie de main-d'œuvre qualifiée ne semblait pas poser problème. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos des droits de douane Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Mischa Aebi est rédacteur au Palais fédéral pour la «SonntagsZeitung». Auparavant, il a travaillé comme journaliste à la rubrique Suisse de la «Berner Zeitung». Avant de devenir journaliste, il a notamment enseigné les mathématiques et la physique à l'école professionnelle de Berne. Plus d'infos @mischa_aebi Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


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a day ago
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Entretien sur les taxes douanières: «Donald Trump n'y connaît rien aux droits de douane»
Le marteau douanier de Trump marque une césure dans l'histoire de l'après-guerre, explique l'historien Jakob Tanner. Décryptage des conséquences sur l'économie suisse. Publié aujourd'hui à 09h26 «La pression sur la Suisse ne doit pas être uniquement négative»: Jakob Tanner s'exprime sur les droits de douane punitifs de Trump. FLORIAN BACHMANN En bref: Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Suisse s'est toujours sentie mise sous pression par les États-Unis, explique Jakob Tanner. Le trumpisme marque toutefois une césure dans l'histoire de l'après-guerre. Il est une sorte de nouveau régime politique qui rêve de toute-puissance. Il signe le triomphe du nihilisme jubilatoire. Toutefois, les droits de douane imposés par les États-Unis pourraient aussi avoir des retombées positives pour la Suisse, ajoute l'historien spécialisé en économie. Après le récent coup de marteau douanier, la Suisse subit une pression économique et politique sans précédent. Une situation unique dans l'histoire suisse? Depuis la Seconde Guerre mondiale, la pression exercée par les États-Unis constitue un élément central des liens qui unissent les deux pays. « Friendship under Stress » est le titre d'une étude publiée en 1970 par Heinz K. Meier sur les relations entre Washington et Berne. Y a-t-il déjà eu des moments de tension dans les relations entre les États-Unis et la Suisse? Oui, des représentants des autorités suisses ont dû se rendre à Washington en 1946 pour s'expliquer sur les transactions d'or volé qu'elles avaient menées avec l'Allemagne nazie. Au final, la Reichsbank allemande n'a pas eu à rembourser l'intégralité de ses achats d'or, contrairement à ce qu'avaient annoncé les Alliés. La position américaine avait alors profondément choqué la Suisse. Même après la fin de la guerre froide, les États-Unis ont semblé exercer une pression excessive sur la Suisse et mener une véritable guerre économique, notamment au début de l'année 1997, dans le contexte du débat sur les fonds en déshérence. À l'époque, on a évoqué un chantage. À juste titre? Non, il ne s'agissait pas d'un chantage, mais d'une demande légitime de clarification et de restitution des biens spoliés à la période nazie. La situation de l'époque n'est pas comparable à celle d'aujourd'hui. Donald Trump brandit le marteau douanier contre l'ensemble de l'économie suisse. Cette situation est historiquement inédite et reflète l'imprévisibilité du président américain. Il mise sur la loi du plus fort. Il rompt ainsi avec la doctrine du libre-échange, qui a favorisé le développement du commerce international et a permis la prospérité depuis la Seconde Guerre mondiale. D'après l'historien Jakob Tanner, «c'est une situation historiquement nouvelle, qui est aussi l'expression de l'imprévisibilité de Donald Trump». TIL BÜRGY/KEYSTONE Dans quelle mesure? Trump pratique une sorte de jeu perdant-perdant à grande échelle. Il admet lui-même que les Américains seront perdants, du moins à court terme. Mais les autres pays devraient pâtir davantage des droits de douane, ce qui placerait alors les États-Unis en position de force, notamment face à la Chine. C'est du moins ce que l'on espère outre-Atlantique. Dans l'après-guerre, une vision radicalement différente prévalait avec la division internationale du travail. Elle correspond à la répartition mondiale des productions en fonction des avantages comparatifs et spécialisations de chaque pays industrialisé. Existait-il un jeu de pouvoir économique avant Trump? Il ne faut pas idéaliser la doctrine du libre-échange. L'impérialisme et les rapports d'exploitation, notamment envers le Sud global, ne datent pas d'hier. Mais la croissance économique d'après-guerre n'a été possible qu'en partant du principe de la pensée libérale. Selon cette doctrine, l'interaction économique entre les individus crée de la valeur, et donc entraîne un jeu à somme positive. Le jeu perdant-perdant de Trump s'inscrit dans une longue tradition protectionniste américaine aux conséquences désastreuses, que l'on a abandonnée à juste titre après la Seconde Guerre mondiale. En Suisse, un sentiment d'injustice prévaut. Est-ce justifié? Il n'est pas juste d'isoler un pays en lui imposant des droits de douane exorbitants. Cependant, si la Suisse est aussi seule, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Mais vouloir contrer Trump avec la raison, c'est tomber dans son piège et sous-estimer son imprévisibilité. Je ne suis pas partisan du «jeu des reproches» auquel on assiste, selon lequel certains secteurs d'entreprises suisses ou personnes seraient responsables du fait que le marteau douanier de Trump nous frappe si durement. Les critiques envers l'industrie pharmaceutique suisse sont certes justifiées. Cette division génère d'importants bénéfices aux États-Unis et son directeur général perçoit 19 millions de francs par an, soit plus que Sergio Ermotti chez UBS. Toutefois, ces griefs ne justifient pas ce qui se passe actuellement. Les prix des médicaments des entreprises pharmaceutiques suisses sont-ils trop élevés aux États-Unis? Pas seulement ceux des fabricants suisses. Le problème du prix des médicaments aux États-Unis est plus général. Il a commencé sous Ronald Reagan, qui a favorisé l' industrie pharmaceutique , enterrant l'image de la free American enterprise . La crise des opioïdes illustre également les dysfonctionnements du système de santé américain. À une époque, plus de 100'000 personnes mouraient chaque année à cause de prescriptions d'analgésiques inappropriés et d'abus de ces médicaments. Cela n'a rien à voir avec les droits de douane. Lorsque la Suisse a mené les négociations avec les États-Unis sur les droits de douane, il a été question d'une «relation privilégiée». Était-ce de la naïveté? Oui. L'idée d'une relation particulière entre les «républiques sœurs», comme on désigne les États-Unis et la Suisse, remonte au siècle des Lumières. En réalité, ces deux pays si différents se sont toujours mutuellement inspirés. Prenons l'exemple du système bicaméral, que la Suisse a adopté des États-Unis en 1848, avec le Conseil des États et le Conseil national, ou encore la démocratie directe, qui a fortement influencé les États-Unis après 1874. Mais Trump n'est pas comme ses prédécesseurs. Avant les élections de 2016, j'avais déjà écrit que, s'il arrivait au pouvoir, la Suisse pourrait enterrer sa philosophie des «républiques sœurs». Pourquoi? Trump impose l'arbitraire, se moque de tout et prend plaisir à être sous les feux de la rampe. Quand le conseiller fédéral Albert Rösti a déclaré en 2024 qu'il préférait Trump à Kamala Harris, j'ai été surpris qu'il ne saisisse toujours pas l'orientation que les États-Unis prendraient sous l'ère du candidat républicain. J'ai également été étonné des propos de Karin Keller-Sutter à propos des mots du vice-président américain J. D. Vance: «C'était un discours libéral, dans un certain sens très suisse.» Jakob Tanner est professeur émérite à l'Université de Zurich. Son ouvrage «Histoire de la Suisse au XXe siècle» est une référence. FLORIAN BACHMANN En agissant ainsi, vous tombez dans ce fameux «jeu des reproches» que vous critiquez pourtant. Non, je critique les positions de Karin Keller-Sutter et d' Albert Rösti , qui se sont trompés sur les intérêts de la Suisse. Par blame game , j'entends les accusations à court terme qui visent à faire endosser à d'autres la responsabilité des décisions arbitraires de Trump. Les droits de douane record ne sont pas imputables à l'industrie pharmaceutique suisse, ni aux exportations d'or , ni même au coup de téléphone raté de la présidente de la Confédération. La politique commerciale de Trump se place sous le signe de l'arbitraire et de la sanction. Les déclarations de complaisance ne permettront pas de rallier un dirigeant comme Trump à leur cause, bien au contraire. Durant sa campagne électorale, Trump a répété à plusieurs reprises qu'il augmenterait les droits de douane. La Suisse ne s'y est-elle pas suffisamment préparée? Trump s'est toujours présenté comme un partisan des droits de douane et a qualifié ces derniers de plus beau concept de l'économie politique. Mais si l'on examine de plus près ce qu'il entend par droits de douane, c'est totalement incohérent. Il les utilise comme moyen de pression politique. Il veut remplir les caisses de l'État et relocaliser la production aux États-Unis. Tout cela ne tient pas debout. Si Trump parvenait effectivement à rapatrier des entreprises sur le sol américain, les importations chuteraient mécaniquement et les droits de douane perdraient leur utilité comme source de revenus fiscaux. Le chantage politique que Trump exerce contre le Brésil relève aussi de l'aberration économique. Il ne comprend manifestement rien aux droits de douane. La Suisse a toujours su s'adapter. Cette fois, elle semble peiner à y parvenir. En effet. Certaines entreprises, notamment les PME, n'auront d'autre choix que la faillite . Elles seront remplacées par des concurrents qui bénéficient de droits de douane plus avantageux, notamment ceux provenant de l'espace européen. Le sud de l'Allemagne compte notamment de nombreuses PME spécialisées dans la mécanique de précision. Si ces entreprises parviennent à livrer aux États-Unis à des prix nettement plus bas, leurs concurrentes suisses risquent d'être dépassées. Les conséquences seront multiples. Mais l'histoire récente montre que la pression exercée sur la Suisse n'est pas forcément négative. À quoi faites-vous allusion? Lorsque la Banque nationale suisse a abandonné le taux plancher du franc à 1,20 face à l'euro en 2015, la monnaie helvétique s'est envolée. Cette décision a durement touché de nombreuses entreprises. Mais la décimation que certains craignaient pour l'industrie d'exportation suisse ne s'est pas produite. La Suisse s'engage désormais dans une dynamique d'investissement pour accroître sa productivité, sous la pression conjuguée des droits de douane et de la dépréciation monétaire. On s'attend à ce que des dizaines de milliers d'emplois soient supprimés à cause des droits de douane de Trump. C'est un drame, surtout pour les petites et moyennes entreprises qui misent sur la Suisse comme site de production et qui, contrairement aux grands groupes, ne peuvent pas délocaliser leurs chaînes d'approvisionnement vers l'Union européenne. Mais les exportateurs qui survivront auront de bonnes perspectives. La Suisse pourrait connaître un élan positif quelques années après l'entrée en vigueur des droits de douane, tandis que les États-Unis auront du mal à relancer la construction de machines et l'industrie automobile dans la Rust Belt («Ceinture de rouille), région industrielle du nord-est des USA. Vraiment? Les emplois de la Rust Belt ont disparu car le pays n'était plus compétitif dans ces secteurs. Selon certaines études, la désindustrialisation aux États-Unis s'explique aux deux tiers par des facteurs internes, et seulement pour un tiers par la concurrence des importations étrangères. En réalité, les États-Unis font face à un problème lié à la technologie et aux infrastructures. «La Suisse devra se tourner davantage vers l'Union européenne», selon Jakob Tanner. AFP Quelle solution pour la Suisse? Se rapprocher davantage de l'UE, développer ses relations avec la Chine ou, comme le préconisent notamment les représentants de l'UDC, continuer à miser sur Trump et cultiver les meilleures relations possibles avec les États-Unis? La Suisse ne pourra pas faire grand-chose face à la politique américaine, qui échappe à tout concept. Elle y investit déjà douze fois plus par habitant que les pays de l'UE, sans que cela lui serve à grand-chose. En soutenant Trump, les représentants de l' UDC , motivés avant tout par des considérations de politique intérieure, tentent de rendre acceptable en Suisse le modèle autoritaire qu'il incarne. L'objectif est de réduire les acquis sociaux, d'afficher de bonnes relations avec Washington et de légitimer son modèle autoritaire dans notre pays. Qu'en est-il de la Chine? Une orientation vers la Chine soulève de sérieuses inquiétudes en raison des violations des droits humains qui y ont lieu. Reste l'UE. Concernant les valeurs fondamentales, l'affinité avec la Suisse est forte. En termes d'échanges commerciaux, la Suisse est depuis des décennies déjà plus intégrée économiquement à l'UE que de nombreux pays fondateurs. La Suisse devra donc se tourner davantage vers l'Union européenne. Lors de la prochaine votation sur les Bilatérales III, elle a l'occasion de poser les jalons pour l'avenir. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos des droits de douane Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Andreas Tobler est journaliste. Il a étudié à Berne et à Berlin. En 2021, il a été élu journaliste culturel suisse de l'année. Plus d'infos @tobler_andreas Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.