
Sous la canicule un bracelet révolutionnaire prévient les coups de chaud au travail
Sur le chantier, les températures ressenties peuvent dépasser les 40 degrés.
© J-P Guinnard
En bref:
Le thermomètre frise les 31 degrés. Une cinquantaine d'ouvriers fourmillent sur un chantier de Sierre, en Valais. On sillonne les lieux en agitant subrepticement notre t-shirt dans l'espoir de se ventiler. Une manœuvre presque indigne tant, aujourd'hui, «il fait bon», selon les travailleurs au teint brûlé par le soleil. En juin, ils ont connu le deuxième mois le plus chaud de l'histoire après la canicule de 2003.
Ce chantier est aussi un laboratoire pour le Canton qui reconduit son projet pilote lancé en 2024. Au total, un échantillon de 35 ouvriers porte un bracelet-alarme. Un dispositif qui mesure la chaleur corporelle et qui, une fois le seuil de 38 degrés atteint, vibre et déclenche un signal sonore. Le travailleur cesse alors ses activités pour s'hydrater et se reposer à l'ombre une quinzaine de minutes.
La veille de notre arrivée, le bracelet de Thomas, grutier, s'est activé par trois fois. «Ça sonne, je m'arrête», résume-t-il. Sans complexe ou réprobation hiérarchique. «Les chefs jouent le jeu.» Le contremaître du chantier, Samuel Ribeiro, nous le glissait avant la visite: «On préfère une pause qu'un homme à terre.» Un dispositif «rassurant» pour les ouvriers
À quelques mètres de là, Festim arbore lui aussi un bracelet-alarme au poignet. «C'est important, c'est une question de sécurité, relève l'ouvrier d'une trentaine d'années, d'abord sceptique face à la démarche. J'étais persuadé que ça ne servait à rien. Mais quand j'ai entendu le bracelet de mon collègue sonner à plusieurs reprises, j'ai compris son importance.»
D'autant que sur le chantier, le devoir prime parfois sur les besoins. «35 degrés ou non, on bosse. On ne se pose pas de questions», explique Festim. Le dispositif agit donc comme un rappel à l'ordre. La santé passe avant les délais. «C'est rassurant», ajoute celui qui estime que «tous les ouvriers de Suisse» devraient porter un tel bracelet.
Miguel Garcia, secrétaire syndical d' Unia présent sur le site, acquiesce. «Pour certains patrons, il n'y a que les résultats qui comptent et rien d'autre.» Son collègue François Taramarcaz, venu distribuer des bouteilles d'eau, ajoute: «Un jour, il y aura un mort. C'est le nez contre le mur que tu te rends compte qu'il y a un mur.»
En l'état, l'expérience se cantonne au Valais et à 200 travailleurs dans le gros œuvre, le goudronnage, la charpente, mais aussi la métallurgie et la chimie. Généraliser la pratique en Valais?
Sur le chantier sierrois, aucun des ouvriers croisés à la volée ne conteste le port du bracelet. Au contraire, «ça devrait être obligatoire, surtout pour les anciens, souligne Valentin, un machiniste de 30 ans. Par habitude, on ne se rend plus compte de la chaleur.»
Pour l'heure, l'État du Valais ne prévoit pas de généraliser l'usage des bracelets. Mais les données collectées – après celles de 2024 – pourraient nourrir une réflexion en ce sens. «Une évaluation complète sera effectuée d'ici au 31 décembre. Sur cette base, le Canton pourra réfléchir à l'extension ou à la généralisation de ce système, en collaboration avec les partenaires sociaux», commente Vanessa Duc, adjointe du chef du Service de protection des travailleurs et des relations du travail (SPT). Dix-sept alarmes «coup de chaleur» en 2024
Au lancement du projet pilote, à l'été 2024, une centaine de bracelets ont été distribués sur les chantiers. Nonante-neuf d'entre eux ont été analysés. Au total, 17 alarmes ont été recensées, pour douze ouvriers. «Aucun participant n'a présenté un risque thermique 4 (ndlr: le dispositif se déclenche au risque thermique 3, soit une température interne comprise entre 38 et 38,5 °C) », relève Sophie Rusca, médecin cheffe de service à l'hôpital du Valais.
Autrement dit, aucun ouvrier n'a présenté des «signes cliniques de coup de chaleur». Le bracelet a donc joué son rôle de rempart au malaise. Et dicté une certaine hygiène face au labeur. «La plupart des participants alertés n'ont plus présenté d'alarme par la suite, ce qui suggère qu'ils ont fait preuve d'une meilleure stratégie d'adaptation aux conditions de travail», observe la médecin. Quelques grammes au poignet peuvent être lourds de sens.
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Autres newsletters Dimitri Mathey est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2025. Correspondant en Valais, il décrypte les enjeux cantonaux pour la Romandie. Auparavant, il était responsable politique pour «Le Nouvelliste». Plus d'infos @DimitriMathey
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Derrière les murs de deux EMS genevois, des employés crient leur souffrance
Les témoignages recueillis font part de nombreux licenciements, d'une surcharge de travail et de fortes tensions au détriment des résidents, mais la direction conteste. Les syndicats demandent un audit de management. Publié aujourd'hui à 17h03 Les employés de deux EMS genevois dénoncent des conditions de travail préoccupantes. IMAGO/Fotostand En bref: «Je vais au travail avec la boule au ventre». Parmi les dizaines d'employés actuels ou anciens de deux EMS genevois, cette phrase revient sans cesse, dans chaque témoignage. Soutenus par les syndicats , ces collaborateurs ont décidé de dénoncer leurs conditions de travail et les licenciements successifs qui surviennent depuis plusieurs mois. Ces nettoyeurs, aides-soignants ou animateurs des EMS Fort-Barreau et Les Tilleuls, spécialisés dans les troubles cognitifs sévères, sont à bout. Dépression et insomnies sont légion. «Parfois, je finis à 21 h 30 et reprends à 7 h le lendemain, indique Marine*, au bord des larmes. 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Pourtant, c'est un secteur subventionné par l'État, où le partenariat social existe.» Les syndicats se disent prêts à interpeller le Canton si la situation aboutit à une impasse. Satisfaction et écoute Contactée, la Fondation a répondu par le biais de sa directrice. Elle conteste tout malaise. «Renseignements pris au sein des collaborateurs en poste, il ressort de manière générale une satisfaction de ceux-ci, lesquels se sentent écoutés et informés s'agissant notamment des enjeux et des décisions prises par la Fondation», indique Leïla Karbal-Durand. Qui poursuit: «Nos équipes bénéficient de dispositifs d'écoute et de soutien reconnus: une personne de confiance, un médiateur externe, tous les deux bien nommés et existants, ainsi que des procédures internes claires et des outils de transmission connus de tous.» La Fondation dit également avoir créé un canal d'expression anonyme (via QR code) dans les deux EMS, établissements pour les résidants, familles et collaborateurs. 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EMS à Genève Newsletter «La semaine genevoise» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton de Genève, chaque semaine dans votre boîte mail. Autres newsletters Chloé Dethurens est journaliste au sein de la rubrique genevoise depuis 2019. Elle écrit pour la Tribune de Genève depuis 2007. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


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Guy Parmelin supplie les Suisses de boire plus de vin
Accueil | Gastronomie | Les vins | Dans le cadre des déboires de la filière viticole, le gouvernement souhaite que les Suisses consomment plus de vin. Cela n'a pas échappé au journal «Le Monde». Publié aujourd'hui à 17h09 Guy Parmelin: «On ne peut pas forcer les gens à boire s'ils ne veulent pas boire, même si j'aimerais bien qu'ils boivent plus.» Tamedia En Suisse, la consommation de vin est en chute libre. Le conseiller fédéral Guy Parmelin a dit il y a quelques jours son inquiétude au parlement: «Je souhaiterais que les Suisses boivent davantage.» Cette phrase n'a pas échappé au quotidien français «Le Monde»: «Alors que le gouvernement promeut, comme il se doit, la santé publique, le ministre de l'Économie et de l'Agriculture s'émeut des déboires de la filière viticole.» Quand un ministre supplie ses concitoyens de lever le coude. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Dans son article publié lundi, le quotidien français relève que «la Suisse n'échappe pas à la tendance globale». La consommation mondiale de vin a diminué de 3,3% l'an passé, pour atteindre 214 millions d'hectolitres, son niveau le plus bas depuis 1961. Le vin suisse en recul Selon l'Office fédéral de l'agriculture à Berne, la consommation de vin en Suisse a reculé de 8% en 2024, et même de 16% pour les vins helvétiques. La part de marché du vin suisse a perdu près de 4 points en une seule année, passant de 38,9% à 35,5%. Et la tendance devrait se poursuivre: comme ailleurs en Europe, la consommation de vin s'effondre, particulièrement chez les jeunes. «De quoi cette chute de la consommation vient-elle? s'est interrogé Guy Parmelin devant le parlement. De changements d'habitude, de la crise et de l'inflation? Ce sont ces aspects-là qui doivent nous inquiéter: comment redynamiser la consommation, en priorité des vins suisses? C'est pour cela que le parlement a décidé – et le Conseil fédéral l'a finalement suivi – d'augmenter les moyens pour la promotion des vins. Reste à savoir si ces moyens ont jusqu'ici été correctement ciblés. On ne peut pas forcer les gens à boire s'ils ne veulent pas boire, même si j'aimerais bien qu'ils boivent plus.» «Ce n'est pas en favorisant la promotion de produits étrangers vendus entre 1 fr. 50 et 2 fr. la bouteille que l'on réglera les problèmes de santé publique», commente pour sa part Olivier Mark, président de l'Interprofession des vins vaudois après le récent accord de libre-échange de la Suisse avec le Mercosur. «Le Monde» note encore que le groupe Schenk, le plus grand encaveur de Suisse, a envoyé fin juin un courrier à ses fournisseurs vaudois et genevois, annonçant ne pas pouvoir s'engager sur la prise en charge complète de la récolte 2025 en AOC. «Nous nous réservons la possibilité d'en déclasser une partie en vin de pays et en vin de table et n'offrons aucune garantie sur sa valorisation», écrit le groupe basé à Rolle (VD). Conclusion du journal: «Bien que les stocks d'invendus s'accumulent, on ne parle pas encore en Suisse d'arrachage massif de ceps, comme c'est déjà le cas par exemple dans le Bordelais.» De la consommation de vin Newsletter «Gastronomie & Terroirs» «24 heures» suit depuis toujours l'actualité gastronomique et culinaire. Recevez, chaque vendredi, une sélection d'articles sur la restauration, la cuisine, les produits du terroir et le vin. Autres newsletters Claude Béda est journaliste à la rubrique vaudoise de 24 heures. Licencié en sciences sociales et politiques, passionné par les sujets de société et la vie des gens d'ici, il a couvert plusieurs régions du canton, avant de rejoindre la rédaction lausannoise. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


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Qui est ce pêcheur qui veut restaurer carpes et silures dans nos assiettes?
Julien Monney s'agace de la mauvaise réputation d'espèces boudées par les consommateurs. Rencontre avec un professionnel à contre-courant. Publié aujourd'hui à 11h59 À Versoix, à Port-Choiseul, le pêcheur Julien Monney montre sa carpe du jour. GEORGES CABRERA En bref: Julien Monney nous avertit à sa manière: «Je ne suis pas un «causard.» Chiche? Aux premières questions, le pêcheur, méfiant, ne mord pas à l'hameçon. On ne se décourage pas, car à 41 ans, ce père de deux enfants travaille dans deux pêcheries, une à Versoix, l'autre à Hermance, et sur son stand au marché de Rive, le samedi: il a donc forcément des choses à raconter sur un métier qui lui «mange» 80 heures par semaine. 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Ma mère, enseignante à l'école primaire, non plus.» Enfance au bord de l'eau douce Jusqu'à l'âge de 10 ans, la famille a vécu aux Eaux-Vives à Genève, à deux pas du Léman. «Je me revois avec mon cousin et mon voisin tenter de prendre des poissons avec un fil de chanvre et un hameçon.» Les choses sérieuses commencent lorsque les Monney déménagent à Hermance. «J'ai passé mon adolescence à remonter des brochets, des féras, des truites et des ombles. Le reste du temps, je l'occupais avec des amis en forêt et au bord de la rivière. On faisait tout le temps du bivouac et j'étais inscrit aux scouts. Bref, je comprends vite que j'ai besoin de ce lien avec la nature.» Et les vacances? «Deux fois au bord de la mer, à Sète, je crois. Ma grand-mère avait une maison en Ardèche. 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DR Nos articles sur le lac Léman Newsletter «La semaine genevoise» Découvrez l'essentiel de l'actualité du canton de Genève, chaque semaine dans votre boîte mail. Autres newsletters Fedele Mendicino est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2002. Il couvre en particulier les faits divers et l'actualité judiciaire. Plus d'infos @MendicinoF Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.