« Les joueurs pros qui ont suivi des études sont devenus si rares » : diplômé en chirurgie dentaire, Christian Lio-Willie va fêter sa première sélection avec les All Blacks à la France
Christian Lio-Willie est chirurgien-dentiste. Ce n'est pas une métaphore dont l'ovalie raffole pour évoquer sa férocité dans les rucks : ce joueur de 26 ans, qui connaîtra sa première sélection avec les All Blacks samedi (9h05, heure française) face au quinze de France, a vraiment décroché un « Bachelor of Dental Surgery » de l'Université d'Otago, en 2021. « Toute sa famille était présente lors de sa remise de diplôme, tant c'est une immense fierté pour ses parents polynésiens, décrypte Ryan Martin, son mentor. Imaginez un peu, il n'y a que sept dentistes d'origine samoane sur toute la Nouvelle-Zélande ! »
Lio-Willie étudiait à la Massey High School, un lycée de la banlieue ouest d'Auckland, quand il a été repéré par Ryan Martin à l'âge de 17 ans. Le coach entraînait alors le Kaikorai Demons Rugby Club où jouait naguère Byron Kelleher, l'ancien demi de mêlée all black (57 sélections entre 1999 et 2007). « Je prospectais à travers la Nouvelle-Zélande à la recherche d'avants. Un pote qui était le principal de Massey m'a fait l'éloge de Christian, qui ne semblait pas intéresser la province d'Auckland ni l'académie des Blues. J'ai pris l'avion pour le rencontrer à son lycée. »
Le troisième-ligne se tâtait pour des études de kiné sur Auckland, mais il a reçu une bourse de 20 000 dollars pour aller étudier à l'Université d'Otago. Banco. « J'ai été séduit par l'aspect pratique des études dentaires, raconte le joueur. C'est un peu comme un métier manuel, mais avec des personnes. » À Dunedin, dès son premier match avec le KDRC, il se déboîte une épaule. « Au final, ça a été bénéfique pour mes études : j'ai été hors-jeu toute la saison et j'ai pu potasser », raconte Lio-Willie, qui ajoute que le rugby a été pour lui un excellent dérivatif à la pression psychique liée à l'exigence de son cursus.
Un parcours rare pour ce troisième-ligne intelligent et tonique
Apprenant l'annonce de sa première sélection, jeudi, il a tenu à rendre hommage à Ryan Martin, qui a su accompagner sa progression, le motiver sans le brusquer. « C'était important qu'il réussisse ses études, justifie le technicien. Si Christian trouvait son équilibre personnel, je savais que ça suivrait naturellement en rugby. C'est énorme ce qu'il a accompli : dans le rugby d'aujourd'hui, les joueurs pros qui ont suivi des études sont devenus si rares... »
Lors des entraînements, le coach l'encourageait à jouer à plusieurs postes de la troisième ligne afin d'améliorer sa compréhension globale du jeu. « Le fait est que Lio-Willie est un joueur intelligent qui sait choisir ses opportunités », analyse Tony Johnson, légende de Sky TV qui commentait la finale du Super Rugby le 21 juin. Avec le numéro 8 des Crusaders dans le dos, le joueur fut un élément clé de la victoire face aux Chiefs (16-12). À la 63e minute, s'arrachant d'un ruck après 25 phases de jeu, Lio-Willie a même été à deux doigts d'inscrire un essai.
« Il est réputé pour ses percées offensives avec des courses rapides et puissantes, poursuit Johnson. Pas forcément longues, 7 mètres en moyenne, mais toujours décisives pour créer des brèches. Lio-Willie est moins balaise que Mickaël Guillard (1,89 m pour 111 kg contre 1m97 et 122 kg pour le Français, titulaire au même poste samedi), mais il déménage grâce à sa tonicité. Il a un gros volume de jeu et est à plus de 90 % de plaquages réussis cette saison, ce qui apporte une grande sécurité défensive à son équipe. »
« Il me fait penser à Richie McCaw par sa capacité à lire et comprendre ce que veut l'arbitre. Il s'adapte, maximise ses actions en fonction, preuve de son intelligence »
Ryan Martin, un de ses anciens entraîneurs
Lio-Willie a beaucoup travaillé l'aspect défensif de son rugby : « Outre ses plaquages de plus en plus dominants, il prend de meilleures décisions dans le jeu au sol, poursuit Martin. Son discernement l'aide à savoir quand contester ou se retirer. Cette saison, les arbitres ont été très stricts sur la zone des rucks et Christian fait partie des rares à ne pas avoir été pénalisés dans ces situations. Il me fait penser à Richie McCaw par sa capacité à lire et comprendre ce que veut l'arbitre. Il s'adapte, maximise ses actions en fonction, preuve de son intelligence. »
Le bizuth all black a le profil recherché par Scott Robertson et ses adjoints qui répètent vouloir des joueurs « décisifs des deux côtés du ballon ». « Christian est un porteur de balle puissant qui a aussi cette capacité à jouer au large comme un centre, poursuit le coach. Il excelle dans les passes après contact pour assurer la continuité des actions, sait aussi jouer dans des petits espaces, quand le trafic se resserre. Les Crusaders aiment le solliciter très vite après le demi de mêlée. »
Peut-on prévoir à Lio-Willie un grand avenir sous le maillot noir, alors qu'il n'est que le troisième choix au poste de numéro 8 et doit sa sélection à une série de blessures au sein de la sélection néo-zélandaise ? Wallace Sititi, révélation mondiale en 2024, a dû se faire opérer d'une cheville et Luke Jacobson se remet d'une commotion. « Si on considère son parcours, il a toujours su saisir les opportunités, estime Martin. Il était dans l'équipe de développement d'Otago et a eu une opportunité dans le XV de la province où il est devenu titulaire »
Boosté par la confiance et l'aura de Savea
Le flanker fut d'ailleurs désigné meilleur joueur de la province en 2023 avant de rejoindre les Crusaders, où il est engagé jusqu'en 2027. « Là aussi,il faisait partie des joueurs en développement, a eu une première titularisation et ensuite, il n'a plus quitté l'effectif jusqu'à disputer la finale. Je parie qu'il saura faire la même chose au sein des All Blacks. »
Cette semaine, à l'hôtel des Néo-Zélandais, on pouvait voir la « back row unit » - le groupe des troisième-lignes - réunie dans un coin cosy du lobby, en cercle sur des fauteuils, avec leurs iPads dans les mains, absorbés par la préparation du match face aux Bleus sous la houlette d'Ardie Savea, leader dont l'aura rejaillit sur les nouveaux venus.
« On a un groupe de troisièmes lignes très soudé, confirme Lio-Willie. On entretient une grande confiance entre nous, on s'entraide et ça me rassure en tant que nouveau. J'ai toujours admiré Ardie et sentir sa confiance, c'est précieux. Il m'aide à progresser. » À l'annonce de sa première sélection, le joueur confie que Savea lui a dit « Sois toi-même frérot » : « Ce genre de mots, ça veut dire beaucoup pour moi, avoue Lio-Willie. J'ai hâte d'être à samedi ! »
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