
Le doyen des pêcheurs amateurs pleure un ami disparu
Serge Schupfer revient sur sa vie passée entre amis au bord de l'eau.
LAURENT GUIRAUD
En bref:
«Je pense que je suis le plus ancien des pêcheurs amateurs du club à Genève, sourit Serge Schupfer, 80 ans cette année. Il y a en un qui est plus vieux que moi, mais il ne pêche plus, alors on peut m'appeler le doyen. Mais ici, tout le monde me connaît par mon surnom: Schoupy.»
Le Genevois, neuchâtelois par son père «mécano», fribourgeois du côté de sa mère «ouvrière à l'usine», possède un petit bateau amarré devant les palaces du quai Wilson aux Pâquis: «La semaine dernière, j'ai fait 100 perches en face de la Tour Carrée. Mais ce matin, je ne suis pas sorti au lac. Je fais tranquille après être allé chez le toubib hier.» Mort imminente à 3 ans
Le pêcheur, qui se touche la poitrine «pour résumer le problème», ne s'attarde pas plus sur son bulletin de santé. Très tôt, ce petit-fils de cultivateurs de primeurs a pourtant dû faire face à l'adversité peu après son arrivée à Genève à la rue des Maraîchers. «J'avais 3 ans quand un vélo, puis une voiture m'ont shooté non loin de chez nous, à Plainpalais. Je me souviens à l'hôpital avoir vu mon âme se détacher de mon corps.» Une expérience précoce de mort imminente: «Mais j'ai dû me dire qu'il me restait encore tant de choses à faire.»
À commencer par la pêche: «L'année suivant mon accident, on a déménagé aux Eaux-Vives. Dans le quartier, on passait des heures sur les pontons avec mon frère à guetter les poissons.» Quid de la première prise attirée par un simple asticot au bout d'un hameçon? Un gardon qui a fini avec quelques autres congénères en friture à la maison. «C'était une des premières fois qu'on mangeait du poisson.»
Le Genevois ne s'arrêtera pas en si bon chemin. «J'ai fait un apprentissage de peintre en lettres. Un savoir qui permettait d'écrire à la main des publicités, des motifs sur des voitures et des panneaux d'exposition divers. Par la suite, j'ai été engagé à la Migros où j'ai travaillé pendant quarante-deux ans.» C'est chez le géant orange que Serge Schupfer fera très vite la connaissance de son meilleur ami, le décorateur Roland Ducimetière, alias Dudu. Cinq minutes d'altercation
«Un ami m'avait initié à la pêche en rivière à la Versoix. Mais avec Dudu, on allait aussi sur la Drize et on a fait les 400 coups au bord de l'eau à Genève, en France voisine, mais aussi dans les Grisons.»
La pêche en rivière, dit-il, demande un grand sens de l'observation («les truites se cachent sous les rochers et les pierres» ) et une bonne mobilité («il faut beaucoup se déplacer sur les berges, parfois très pentues»). Les deux hommes tissent une solide amitié en passant des journées avec leur canne à pêche ou avec leur cadre en bois entouré de fil: «Nous parlions de poissons mais aussi de nous. On ne s'engueulait jamais.»
Il ferme un œil pour capturer un souvenir lointain: «Ah si! Une seule fois. On s'est pris de bec pour une histoire de stand qu'on avait installé au Salon des arts ménagers.» Cinq minutes de tensions vite effacées par d'inoubliables moments passés au bord de l'eau. «Dudu est mort en 2015. Parfois, je me recueille sur sa petite case au jardin du souvenir à Saint-Georges.» Perches grasses et rances
Dans ces moments, Serge se remémore les prises exceptionnelles avec son copain: «La truite fario de 35 centimètres dans la Vals, celle de 600 grammes dans une gravière grisonne ou ces 70 kilos de perches capturées au large de Corsier Port. Elles étaient tellement grosses et grasses qu'elles avaient un goût rance.»
Serge Schupfer lève des filets de perche: «Je dois m'y reprendre à deux fois. Ce que j'aime vraiment c'est pêcher.»
LAURENT GUIRAUD
Il y a une vingtaine d'années, ce célibataire alors endurci par les déceptions amoureuses fait la connaissance de sa future femme: «Je voyageais pas mal quand j'étais jeune et un ami voulait aller en Inde avec moi. Il n'y avait plus de place à l'agence pour la destination prévue et on s'est retrouvé en Thaïlande.»
À Chang-Maï, Serge y rencontre une femme, 23 ans plus jeune que lui, qui n'est d'abord qu'une amie. «Je l'ai invitée quelque temps en Suisse. Ma maman l'aimait beaucoup. Puis elle est rentrée au pays. J'ai senti soudain un vide et une étincelle.»
Tout se précipite: «Quand on s'est retrouvé en Thaïlande, son père avait préparé, sans rien nous demander, une cérémonie de mariage.» Serge en rigole et nous livre son happy end: «On a fait le vrai mariage à Genève. Je vis depuis avec cette femme que j'aime.» Tuer un animal
Travaillant dans un restaurant thaï en ville, cette adepte du bouddhisme s'est essayée à la pêche sous la houlette de son mari: «Mais elle s'est vite arrêtée, car ses préceptes lui interdisent de tuer un animal.» Mais pas de le cuisiner: «Elle prépare des perches entières avec une sauce pimentée. C'est très bon.»
Elle poêle aussi, comme il se doit, les filets de perche au beurre. «Et là, je fais la sauce: du bouillon, du beurre, de l'ail haché, un peu d'eau, du citron et de la maïzena. C'est une recette de la femme de Dudu.»
«Avec le temps», Serge Schupfer se dit aujourd'hui plus écolo que les Verts: «J'ai vu comme le plastique pollue le lac ou la mer en Thaïlande. C'est partout pareil. Les lieux de fraie diminuent à cause de l'homme. Le climat change et personne ne dit rien. Le monde se fout en l'air, mais quand les gens tomberont comme des mouches, ce sera trop tard.» Il soupire en ajustant son t-shirt décoré de palmiers: «Quand je vais à la pêche, j'oublie un peu tout ça.»
Il y a deux mois, le retraité a tenté de taquiner la truite sur les flancs de la Versoix . Bilan? «Que dalle, rien. Comme l'année précédente. C'est comme ça. Ce n'est pas grave, ma passion c'est un peu comme de la méditation.» Les derniers mots d'un ami
Une phrase de son ami Dudu lui revient comme un mantra: «La dernière fois que je l'ai vu vivant, il sortait d'une opération en raison d'un cancer. Je suis parti en vacances peu après et il m'a dit en me regardant au fond des yeux: profite bien. Je sentais que ce n'était pas des mots en l'air.» Il lève les yeux au ciel: «Peut-être qu'en ce moment, il pêche là-haut.»
Un autre souvenir remonte soudain à la surface: «Quand mon père est décédé, on a mis dans son cercueil un marteau, un tournevis et une pince pour qu'il continue à bricoler ailleurs.» Serge Schupfer suggère-t-il qu'on fasse pareil avec lui en glissant une canne à pêche dans sa dernière demeure terrestre? «Non, non, je trouverai tout le matériel là-bas, avec Dudu.» Au même moment, un héron cendré fend l'air surchauffé sous un ciel sans nuage.
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