
Circo, de Lamia Chraibi
« Je me vois faire de l'anneau. Le cirque est plein. Plein de gens, plein d'amis. Beaucoup d'applaudissements et de cris. Je me vois faire de l'acrobatie aussi. Les gens deviennent fous, crient mon nom. À ce moment précis, si je le permets, un esprit descendra de mon corps. C'est sûr. »
Avec Circo, la réalisatrice Lamia Chraibi visite ce que son sujet voit quand il ferme les yeux. Tourné sur sept ans dans une favela de Rio de Janeiro, son documentaire suit Richard Gomes Estrela – maintenant Ashilla Gomes Estrela –, jeune artiste de 20 ans au passé marqué par les traumatismes, alors qu'il est mis à la porte par sa mère adoptive et livré à lui-même.
Richard trouve un havre dans un cirque social, où il s'adonne rigoureusement à la pratique du trapèze. La caméra capte avec justesse les mouvements de son corps suspendu, dans des images hypnotisantes. « Ne te laisse pas distraire par le doute, l'incertitude, l'étonnement, la peur. Maintenant, le mot clé est fluidité. Le mot clé est eau, comme l'eau qui coule », lui dit son coach pendant un entraînement. Ses quêtes se répondent, comme les deux partenaires d'une danse captivante.
La transition du protagoniste n'était pas anticipée par la cinéaste au départ. C'est avec une grande délicatesse que Chraibi a filmé ce processus, sans jamais rien forcer, sans intervenir. Son cinéma est direct, sans voix hors champ ni mise en scène artificielle, mais il est toujours esthétiquement intéressant. Elle entre dans l'intimité de son sujet, témoin de ses moments de doute, de détresse, mais aussi de joie. Le film devient alors un espace d'autoréflexion, incarnant ce qu'il y a de plus touchant dans le cinéma queer.
Les scènes de performances de cirque et de drag ou les moments d'euphorie de genre viennent ponctuer le réel de fulgurances flamboyantes. Elles offrent un contrepoint onirique et exaltant aux difficultés vécues. Dans une scène visuellement saisissante, filmée en légère contre-plongée, Richard marche dans la rue vêtu d'une robe étincelante, d'une perruque de jais et de bijoux argentés – une apparition, une déclaration d'existence.
Mais Circo ne fait pas l'économie de la douleur. Une scène glaçante donne la parole à la mère adoptive, qui explique pourquoi et comment elle a recueilli (puis rejeté) Richard. Le récit, tragique, éclaire en creux les fractures sociales et affectives dont souffrent tant de personnes.
Circo est un documentaire profondément humain, qui balance entre cris et silences, entre confessions bouleversantes et rituels exaltants. Il a la grande qualité d'émouvoir au point de ne penser à rien d'autre le temps du visionnement.
En salle au Cinéma Beaubien, à la Cinémathèque québécoise et au Cinéma Public.
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2 days ago
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Ozzy Osbourne est mort d'une crise cardiaque
(Londres) Ozzy Osbourne est décédé d'une crise cardiaque et était atteint d'une maladie coronarienne et de la maladie de Parkinson, selon son certificat de décès. Associated Press Le chanteur de heavy métal souffrait d'une maladie coronarienne, en plus de la maladie de Parkinson depuis des années, selon le certificat déposé auprès d'un bureau d'état civil à Londres et obtenu par le New York Times mardi. « Le prince des ténèbres » est mort le 22 juillet à l'âge de 76 ans. Un courriel de la part de l'Associated Press (AP) demandant une confirmation au bureau d'état civil du conseil municipal de Hillingdon, dans le nord-ouest de Londres, qui couvre le district où le chanteur de Black Sabbath aurait été officiellement déclaré mort, n'a pas reçu de réponse au moment d'écrire ces lignes. Les représentants d'Osbourne n'ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires envoyées par courriel par l'AP. Le document a été soumis par la fille d'Osbourne, Aimée Osbourne, selon le New York Times. Le chanteur est décédé des suites de « (a) un arrêt cardiaque extrahospitalier ; (b) un infarctus aigu du myocarde ; (c) une maladie coronarienne et une maladie de Parkinson avec dysfonctionnement autonome (causes conjointes) », précise le certificat. La légende du métal, qui était également une vedette de téléréalité quelque peu inattendue, a dévoilé en 2020 être atteinte de la maladie de Parkinson après une chute. Lors de l'annonce de son décès, sa famille a demandé le respect de son intimité et a précisé qu'il était auprès de ses proches au moment de sa mort. Des admirateurs sont venus en masse de tout le pays pour pleurer sa disparition dans sa ville natale de Birmingham la semaine dernière. Osbourne y a donné son dernier concert quelques semaines avant sa mort, tandis que les spectateurs regardaient l'icône du métal se produire assis sur un trône noir. « Je ne sais pas quoi dire, je suis alité depuis six ans. Vous n'avez aucune idée de ce que je ressens – merci du fond du cœur », avait déclaré « Le prince des ténèbres » pendant son concert.


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4 days ago
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Le bonheur du nid vide
Ce ne sont pas tous les parents qui s'écroulent et pleurent le départ de la maison de leurs enfants devenus grands. Certains d'entre eux applaudissent et célèbrent ce nouveau chapitre. Le nid vide n'est alors pas triste : il est joyeux, et parfois même libérateur. « Je n'ai pas vécu de deuil quand mes filles ont quitté la maison. J'ai eu le cœur gros quelques jours, mais j'étais heureuse de retrouver quelque chose d'important et mis un peu de côté à travers la maternité : moi ! » Isabelle Fortin brise un tabou en s'exprimant librement sur sa joie de voir ses deux filles de 17 et 19 ans prendre leur envol. Non, elle n'est pas une mère ingrate ni indigne – au contraire. PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE Isabelle Fortin « J'ai tout donné à mes filles et à ma vie de famille, confie-t-elle. J'ai abandonné ma carrière, je me suis investie à cent milles à l'heure et j'ai tout aimé. » Mais là, je suis rendue ailleurs. J'ai repris le contrôle de ma vie, de mes horaires. J'ai plus de liberté… et j'aime ça ! Isabelle Fortin La cadette de Mme Fortin fréquente un collège où elle est pensionnaire et l'aînée poursuit des études universitaires à Toronto. Dans les deux cas, la maman se sent toujours « très proche ». « Le lien est fort et ce n'est pas la distance qui change cela, indique-t-elle. On se fait régulièrement des FaceTime, mais on ne se parle pas tous les jours. Et c'est bien correct. » Charge mentale et financière Autrice du livre Après les enfants qui traite du syndrome du nid vide, Karine Glorieux1 souligne qu'un sentiment de libération, presque euphorique, survient chez certains parents – et c'est normal. « Pour plusieurs, c'est une période heureuse qui commence, dit celle qui a trois enfants de 16, 20 et 22 ans. Un tiers des parents ressentirait un grand vide, une tristesse, une sorte de déprime lorsque les enfants quittent le nid. Cela dit, les études démontrent que les gens les plus heureux ont entre 50 et 70 ans. » Les facteurs de ce bonheur ? Une baisse de stress et de pression, une diminution de la charge mentale et financière, et un profond sentiment de satisfaction. « Il y a une sorte de sérénité qui vient avec une impression de devoir accompli », ajoute Mme Glorieux. Des jugements Dire tout haut qu'on embrasse le départ de ses enfants, ça demeure délicat. Les attentes sociales y sont pour quelque chose, avance l'autrice Karine Glorieux. « On attend encore des mères que leurs enfants soient tout pour elles. Déclarer être heureuse que les enfants quittent le nid, ça vient presque systématiquement avec une sensation d'être ingrate… » C'est mal vu, jugé. Je remarque cependant que de plus en plus de parents acceptent d'en parler. Karine Glorieux, autrice d'Après les enfants Le tabou d'éprouver de la joie en voyant le nid se vider vient aussi de notre ère de superproductivité et de superperformance, croit la psychologue Nadia Gagnier. « Aujourd'hui, il est de bon augure de dire qu'on est très occupé, qu'on est débordé, note-t-elle. Dire qu'on est plutôt tranquille, relaxe, ce n'est pas valorisé. Il y a une question d'image. » Suzie, elle, n'ose pas dire tout haut ce qu'elle pense tout bas : elle a accepté de parler de sa situation familiale sous le couvert de l'anonymat, de peur d'être reconnue par sa famille et ses proches. À 49 ans, elle le dit sans ambages : elle a hâte que ses enfants partent « vivre leur vie ». « J'ai hâte que mon mari et moi, on ait juste nous deux à s'occuper, à gâter, dit la mère de deux jeunes adultes début vingtaine. La cohabitation, à quatre adultes, c'est difficile. On s'entend que j'aime mes enfants, mais parfois, je me demande : on profite de la vie quand finalement ? » Se préparer Si Suzie se prépare déjà à cette transition, qu'elle attend avec impatience, plusieurs parents de jeunes adultes tombent de haut parce qu'ils ne sont pas prêts. Il existe quelques pistes pour se préparer en amont, souligne Nadia Gagnier. « Il faut accepter que la relation parent-enfant se transforme, explique-t-elle. Plus l'enfant grandit, plus le rôle change, on devient des amis. Quand ils sont bébés, on contrôle tout, mais lorsqu'ils quittent la maison, c'est le summum de la perte de contrôle. Mais au fond, c'est ça, le but : voir son enfant évoluer, s'épanouir, être indépendant et autonome. » Pour Karine Glorieux, la façon d'approcher cette étape est cruciale : « Ce n'est pas une rupture, il faut se défaire de cette idée. Le lien se poursuit. » PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE Karine Glorieux Notre vie de parent continue de prendre de l'expansion, car on va vivre de nouvelles choses à travers eux. Il faut être fier ! Karine Glorieux, autrice d'Après les enfants Retrouver son couple, récupérer du temps pour réinvestir différentes sphères de sa vie, explorer de nouveaux passe-temps, renouer avec la solitude, avoir du répit… Ce sont toutes des facettes heureuses du nid vide. Isabelle Fortin suit des cours de photographie et s'est mise au Pilates. Elle sort régulièrement marcher et prend plaisir à organiser de petites escapades avec son conjoint. « À 52 ans, je retrouve la Isa d'avant les enfants et ça me fait plaisir. Ça me fait du bien. » 1. Lisez l'article « Survivre au nid qui se vide »


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5 days ago
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Pays sans chapeau
Cette chronique a été publiée publiée à la suite du tremblement de terre en Haïti, le jeudi 14 janvier 2010, en page A14. Nous la republions sans altérer les mots que l'auteur a utilisés à l'époque. Je ne suis jamais allé à Port-au-Prince. Sauf en lisant Dany Laferrière. Je ne suis jamais allé à Port-au-Prince, mais je suis allé plusieurs fois au Pays sans chapeau. L'autre jour, quand Laferrière a gagné le prix Médicis avec L'énigme du retour, j'ai dit que c'était un très beau livre mais que son plus beau était ce Pays sans chapeau. « C'est ainsi qu'on appelle l'au-delà en Haïti parce que personne n'a jamais été enterré avec son chapeau. » On se demande parfois à quoi sert la littérature. Moi, elle me sert à affronter la réalité. Quand Katrina a fait flotter tous ces cadavres dans les rues de La Nouvelle-Orléans, je suis retourné à Capote et à Tennessee Williams, les enfants du pays. Au moment où Port-au-Prince commence à compter ses morts et à déblayer ses ruines, je me tourne vers Laferrière, vers la littérature, vers la fiction. Pas pour qu'elle me cache la réalité, au contraire. Pour qu'elle me la rende dans son essence. Vous allez me trouver obscène : pour qu'elle me la rende dans sa poésie. Cinquante mille morts ? Cent mille morts ? La poésie ne s'enfuit pas, elle est là, intimement mêlée à l'horreur, elle est là avec l'aube qui se lève… La couleur un peu violette de l'aube donne une teinte assez étrange aux choses, mais c'est tout. Les mêmes crevasses vous obligent à faire attention en marchant pour ne pas tomber dans un trou d'eau verte. Le même chien jaune doit s'appuyer contre un mur pour japper à cause de son extrême maigreur. La même petite fille est en train de balayer la galerie de l'épicerie du coin. Le soleil va taper dur, tout à l'heure, vous verrez. A-t-on idée d'une pareille concentration de malheur ? Act of God ? Si j'étais chrétien, je m'emploierais à faire mettre cette expression à l'index. Aucun dieu n'oserait s'acharner ainsi… A-t-on idée d'un pays toujours entre espoir et damnation, a-t-on idée d'un pays si assoiffé de bonheur ? Bon Dieu tellement connin ça li connin, li bail chien malingue deyè tête li pou li pas capab niché'l. (Dieu est tellement fin qu'il peut placer une blessure derrière la tête du chien s'il ne veut pas qu'il la lèche). Ce n'est qu'un proverbe, Dany, tu sais bien. Dieu pas si fin, finalement. En tout cas bien impuissant, comme nous, à empêcher les séismes, ce qui nous le rend presque sympathique. Bien sûr, Pétionville a ses pauvres, ses bidonvilles rugissants, ses marchés en plein air, mais c'est quand même là que se sont réfugiés tous les riches de ce pays. Dans certains quartiers on se dirait dans n'importe quelle banlieue cossue nord-américaine. […] La pluie s'est arrêtée juste à l'entrée de Pétionville, devant le magasin de meubles en acajou. La pluie reconnaît les frontières. La pluie, peut-être. Apparemment pas les tremblements de terre. Pétionville a été durement touchée. L'armée des zombis, finit par murmurer ma mère. Ils sont des dizaines de milliers. Les prêtres vaudou ont réveillé tous les morts qui dormaient du sommeil du juste. Partout… Au Borgne, à Port-Margot, Dondon, Jérémie, Cayes, Limonade, Petit-Trou, Baradères, Jean Rabel, Petit-Goâve, oui, Petit-Goâve aussi… Une mangue tombe, presque aux pieds de ma mère. Elle ne cille même pas. Complètement ailleurs. Les gens sont morts, conclut-elle et on refuse de les laisser reposer en paix. Comme si les tremblements de terre venaient seuls. Comme s'ils ne faisaient pas se fissurer aussi, en même temps que les murs de la ville, le mince vernis de civilisation qui recouvre le désespoir des laissés-pour-compte. Comme si la violence des secousses n'allait pas engendrer la violence de ceux-là qui avaient déjà tout perdu depuis longtemps, nus… Qu'est-ce que le ciel pouvait bien leur prendre de plus ? Il leur a pris leurs enfants, leurs parents, leurs amis, leur bout de toit de tôle. J'étais allé le voir dans ce petit appartement de Brooklyn. J'ai frappé à la porte. – Qui est là ? – Ton fils, dis-je. – Je n'ai pas d'enfants, tous mes enfants sont morts. – C'est moi, papa, je suis venu te voir. – Retourne d'où tu viens, tous mes enfants sont morts en Haïti. – Mais je suis vivant papa. – Non, il n'y a que des morts en Haïti, des morts ou des zombis. Et maintenant quoi ? La compassion. La bonté des gens. La solidarité. Aussi merveilleuse et noble soit-elle, la charité suffit-elle ? Mettra-t-on autant de diligence, d'enthousiasme et de centaines de milliards à reconstruire Port-au-Prince qu'on en a mis à sauver les banques, l'industrie automobile ? Elle a toujours considéré son fils comme un prince. C'est ce qui m'a permis de survivre au début de mon séjour à Montréal, quand les autres ne voyaient en moi qu'un Nègre de plus. Quelqu'un dans une petite maison à Port-au-Prince a toujours pensé que j'étais un prince. Combien sont-ils à Montréal en ce moment à se demander ce qu'il reste de cette petite maison où ils étaient un prince ? Il n'y a pas d'arbre dans ce pays, et il n'y a pas d'eau non plus. C'est un caillou au soleil. Nous sommes à la merci du soleil. Regarde le ciel, dit-il. Des fois je passe la nuit à le regarder. On dirait un grand vide qui veut m'aspirer… Les textes en italique sont tirés de Pays sans chapeau, de Dany Laferrière, publié chez Lanctôt Éditeur, 1996.