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Reprendre racine

Reprendre racine

La Presse22-07-2025
Simon Beaudry, ex-membre du groupe trad Le vent du nord, est le nouveau directeur artistique du festival Mémoire et racines.
Un an après avoir quitté Le Vent du Nord, Simon Beaudry a retrouvé le chemin vers la musique. Après avoir chanté sur les scènes d'Amérique du Nord et d'Europe pendant 20 ans, le voilà directeur artistique de Mémoire et racines, le grand festival trad de Lanaudière. La Presse est allée à sa rencontre à Saint-Côme, là où il vit entouré de « son monde » et où il a retrouvé une paix d'esprit à coup de hache.
En quittant Le Vent du Nord après de longues années de service, Simon Beaudry avait assuré que la séparation se faisait à l'amiable. Ses camarades disaient eux aussi que leur amitié demeurait intacte. Tout ça est encore vrai. Or, le chanteur et guitariste ne mesurait pas encore, à la fin de 2023, à quel point il était saturé de sa vie de musicien professionnel.
Lisez « Cinq spectacles à voir à Mémoire et racines »
« Je n'ai pratiquement pas joué de musique pendant environ un an », dit-il, installé dans le studio qu'il partage avec son frère Éric (La bottine souriante, De temps antan, etc.). « J'associais la musique au travail. Le Vent du Nord, c'était intense, on n'arrêtait jamais. J'ai eu besoin de mettre ça de côté. »
Le studio des frères Beaudry se trouve près de leur village, Saint-Côme. Il est installé à l'étage d'un hangar, derrière la maison où ils ont grandi et où leur père, Denis, a grandi lui aussi. Les racines, c'est important chez les Beaudry. « Je suis quelqu'un de très famille », confirme Simon.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
Simon Beaudry (à droite) avec son père Denis Beaudry
La famille, c'est aussi la principale raison pour laquelle il a quitté Le Vent du Nord. « Toute sa vie, il a rêvé d'avoir des enfants, dit son père, croisé par hasard au moment de l'entrevue. Là, il en a un et il sait qu'à son âge [Simon a 47 ans], il n'en aura pas des tonnes. Une bonne partie de sa vie est consacrée à son enfant. »
Et le jeune père s'est remis en forme en bûchant du bois.
Il n'est pas devenu entrepreneur forestier comme son père l'a été, mais il fait le vide en fendant des bûches.
Ce n'est pas passionnant, mais c'est satisfaisant quand ça fend. Et tu peux réfléchir à plein d'affaires.
Simon Beaudry
On comprend que c'est une hache dans les mains qu'il a décanté ses années de tournées, jusqu'à avoir envie de renouer avec la musique, mais différemment.
L'ancrage local
Simon Beaudry a été nommé directeur artistique de Mémoire et racines, le plus important festival de musique traditionnelle au Québec, à l'automne 2024. « Je me suis fait solliciter par des gens qui me voyaient là, dit-il sans aucune vantardise. Puis, rapidement, je me suis vu là moi aussi. Il y a quand même une suite logique à ma vie de musicien. »
Son arrivée à la tête de ce festival est d'autant plus logique qu'au sein du Vent du Nord, les musiciens sont très impliqués dans les affaires du groupe et que le travail d'équipe y est valorisé. « On est toujours plus fort en équipe qu'individuellement, estime le nouveau directeur artistique. C'est le fun que nos idées soient confrontées, pour mener à autre chose. »
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
Simon Beaudry
Il n'arrive pas à Mémoire et racines avec l'envie de faire une révolution. Il a toutefois une vision, ancrée dans la région et les gens de Lanaudière. Les environs de Joliette regorgent de groupes amateurs qui ont beaucoup de succès localement, citant notamment Les campagnards, qui peuvent faire « 25 spectacles par an en attirant 500 à 1000 personnes chaque fois ». Il veut leur accorder de l'attention.
« Tu ne peux pas ne pas prendre en considération ces groupes-là », juge-t-il. Pas seulement parce qu'ils attirent des gens. « Ils ont le droit d'être là, pense Simon Beaudry. Le public de Mémoire et racines, c'est en bonne partie des gens qui consomment de la musique traditionnelle locale. »
La considération que Simon Beaudry a pour sa région et ceux qui l'habitent va plus loin : au début de juillet, il a annoncé briguer le poste de maire de sa municipalité, Saint-Côme. Une fois de plus, l'idée n'est pas de lui.
Il a été sollicité et si, au départ, l'idée lui a semblé « farfelue » en raison de son inexpérience en politique, il s'est laissé convaincre. Dans son annonce faite sur Facebook, il dit être guidé par une vision « rassembleuse » pour sa communauté et vouloir faire le pont entre les natifs de Saint-Côme et ceux qui ont choisi de s'y installer récemment.
Une affaire de familles
Sans être un festival de niche, Mémoire et racines a une personnalité à respecter : c'est un évènement axé sur la musique traditionnelle, et il le restera. Ce qui ne veut pas dire que Simon Beaudry ne va pas étirer l'élastique.
Édith Butler se produit en tête d'affiche cet été. Il vise Salebarbes l'an prochain. Il a donc l'œil sur des groupes ancrés dans la tradition, mais capables d'attirer un public vaste, pas nécessairement versé dans la trad.
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE
Éric Beaudry, en 2024, dans le studio qu'il partage avec son frère Simon. Il sera au festival Mémoire et racines cet été avec Ni sarpe ni branche.
Aussi, il veut ramener l'aspect familial. Pas dans l'esprit du festival, qui l'est déjà, mais sur scène. Cet été, il présente la Famille LeBlanc, du Nouveau-Brunswick.
« J'ai aussi les trois sœurs Bordeleau, de Saint-Côme, qui ne sont pas des professionnelles, mais qui sont de super chanteuses. Ces gens-là chantent dans leur cuisine. Je veux ramener ça à Mémoire et racines parce que ce sont des gens comme ça qui font que la tradition reste vivante. »
Il fera un peu ça, lui aussi, d'ailleurs. Son frère Éric et lui veulent se produire en duo et développer un projet musical commun. « Il y a quelque chose qui se passe quand je joue avec lui que je ne retrouve avec personne d'autre. On ne veut pas faire 80 spectacles par année, juste une vingtaine peut-être, dit-il. J'ai envie de jouer plus au Québec, de parler et de chanter en français. Pour mon monde. »
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