
Funérailles des six journalistes palestiniens tués par une frappe israélienne
(Gaza) L'ONU a condamné lundi le « meurtre » de six journalistes palestiniens, tués par une frappe israélienne délibérée dans la bande de Gaza, parmi lesquels un correspondant célèbre d'Al Jazeera accusé par l'armée d'être un combattant du Hamas.
par l'équipe de l'AFP à Gaza, avec Hervé BAR à Jérusalem
Agence France-Presse
Ce qu'il faut savoir La chaîne d'information qatarie Al Jazeera a fait état de la mort de cinq de ses employés dans « une attaque ciblée israélienne ». Leurs funérailles ont eu lieu lundi ;
L'armée israélienne a dit avoir pris l'un des journalistes pour cible, le qualifiant de « terroriste » qui « se faisait passer pour un journaliste » ;
Benyamin Nétanyahou a affirmé dimanche avoir donné l'ordre à l'armée d'autoriser un plus grand nombre de médias internationaux à travailler sous son contrôle dans Gaza ;
Le cabinet de sécurité israélien a approuvé vendredi un plan pour « prendre le contrôle » de la ville de Gaza.
Au moment où le gouvernement israélien se montre déterminé à mettre en œuvre son nouveau plan d'opération dans le territoire palestinien assiégé, six journalistes, dont cinq employés de la chaîne qatarie parmi lesquels l'un de ses principaux correspondants sur place, ont été tués pendant la nuit dans une frappe israélienne sur une tente où ils étaient installés dans la ville de Gaza, devant l'hôpital al-Chifa.
Les cinq hommes sont les correspondants Anas al-Sharif et Mohammed Qreiqeh, ainsi que deux cameramen Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et un assistant, Moamen Aliwa, a précisé Al Jazeera.
Un journaliste pigiste, Mohammed Al-Khaldi, qui collaborait occasionnellement avec des médias locaux, est mort de ses blessures, selon le directeur de l'hôpital.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a condamné « le meurtre par l'armée israélienne de six journalistes palestiniens », qu'il a qualifié de « grave violation du droit humanitaire international ».
Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé « avec force et colère » un « assassinat revendiqué ». « Anas al-Sharif, l'un des journalistes les plus célèbres de la bande de Gaza, était la voix de la souffrance imposée par Israël aux Palestiniens de Gaza ».
PHOTO AL JAZEERA, FOURNIE PAR L'ASSOCIATED PRESS
Le journaliste Anas al-Sharif
« Faire taire »
L'armée israélienne a annoncé l'avoir pris pour cible, le qualifiant de « terroriste » du Hamas qui « se faisait passer pour un journaliste ».
Les funérailles ont eu lieu lundi matin dans la ville de Gaza. Des dizaines d'hommes, certains en pleurs et s'épaulant par moment, ont porté en terre les corps des six hommes au cimetière Cheikh Redouane.
Sur le site de l'attaque, un mur blanc criblé d'éclats, des matelas souillés ou encore des ventilateurs tordus par les flammes témoignaient de la frappe sur la tente de plastique bleu, dont il ne restait plus rien ou presque à l'exception de sa structure en métal.
Al Jazeera a condamné « une tentative désespérée de faire taire les voix qui dénoncent l'occupation » israélienne. Selon la chaîne, 10 de ses correspondants ont été tués par l'armée israélienne à Gaza depuis le début de son offensive déclenchée en représailles à l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
Le chef de l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, s'est dit « horrifié ». « L'armée israélienne continue de réduire au silence les voix qui rapportent les atrocités commises à Gaza ». Alors qu'au contraire « les journalistes doivent être protégés et les médias internationaux doivent pouvoir entrer à Gaza ».
Selon RSF, près de 200 journalistes ont été tués depuis le début de la guerre.
Les journalistes « ne doivent jamais être ciblés en temps de guerre », a estimé le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Les « journalistes sont des civils », a déclaré à l'AFP Jodie Ginsberg, la directrice de cette ONG.
L'armée israélienne affirme qu'Al-Sharif « était le chef d'une cellule terroriste au sein de l'organisation terroriste Hamas et était responsable de la préparation d'attaques de roquettes contre des civils israéliens » et des soldats.
Elle a publié sur ses réseaux sociaux un égoportrait d'Anas al-Sharif, posant avec les chefs du Hamas, ainsi qu'un tableau montrant supposément des noms de membres du mouvement islamiste palestinien, où le nom du journaliste apparaît avec un salaire correspondant pour les années 2013 et 2017.
« Ceci est mon testament »
L'armée s'en était déjà pris à lui en juillet, l'accusant d'être un combattant actif du Hamas, et a porté à plusieurs reprises des accusations similaires contre d'autres journalistes palestiniens à Gaza.
Selon des journalistes locaux qui le connaissaient, Anas al-Sharif avait travaillé au début de sa carrière avec un bureau de communication du Hamas, où son rôle était de promouvoir les évènements organisés par le mouvement, qui dirige Gaza depuis 2007.
« Le droit international est clair », a cependant souligné Mme Ginsberg : « Seuls les combattants actifs sont des cibles légitimes dans un contexte de guerre ».
Un texte écrit en avril a été publié lundi sur le compte X d'Al-Sharif, où il appelle à « ne pas oublier Gaza ». « Ceci est mon testament et mon dernier message. Si ces mots vous parviennent, sachez qu'Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma voix ».
La diffusion d'Al Jazeera a été interdite en Israël et ses bureaux locaux fermés en mai 2024.
Les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre. Les médias internationaux s'appuient sur des journalistes locaux, qui ont payé un lourd tribut au conflit.
L'attaque du 7 octobre 2023 a entraîné côté israélien la mort de 1219 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP établi à partir de données officielles.
Les représailles israéliennes à Gaza ont déjà fait 61 499 morts, majoritairement des civils, selon les données du ministère de la Santé du Hamas, jugées fiables par l'ONU.

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
3 hours ago
- La Presse
Des ONG dénoncent une législation israélienne les empêchant d'intervenir
Des Palestiniens déplacés se rassemblent pour collecter de l'eau à partir d'un camion pendant une vague de chaleur dans un campement de fortune à Khan Younis, dans la bande de Gaza, le 13 août 2025. (Jérusalem) Une législation israélienne réglementant les ONG étrangères a été de plus en plus utilisée pour refuser leurs demandes d'apporter de l'aide dans la bande de Gaza, selon une lettre signée par plus de cent ONG publiée jeudi. Hervé BAR Agence France-Presse Les relations entre les ONG soutenues par l'étranger et le gouvernement israélien ont longtemps été marquées par des tensions, les autorités accusant souvent ces ONG de partialité. Ces rapports difficiles se sont encore tendus après l'attaque sans précédent du Hamas contre Israël qui a déclenché la guerre en octobre 2023. « Les autorités israéliennes ont rejeté les demandes de dizaines d'ONG pour apporter des biens de première nécessité [à Gaza], affirmant que ces organisations 'ne sont pas autorisées à fournir de l'aide' », indique la déclaration. Selon la lettre, dont les signataires incluent Oxfam et Médecins Sans Frontières (MSF), au moins 60 demandes d'aide pour le territoire palestinien assiégé ont été rejetées rien qu'en juillet. Elle cite l'exemple de l'ONG Anera qui « dispose de plus de 7 millions de dollars de fournitures vitales prêtes à entrer à Gaza, y compris 744 tonnes de riz, suffisantes pour six millions de repas, bloquées à Ashdod [Israël] à seulement quelques kilomètres » de Gaza. Idem pour Care et Oxfam, dans l'impossibilité de livrer à Gaza respectivement pour 1,5 milion de dollars et 2,5 millions de dollars diverses fournitures. PHOTO OMAR AL-QATTAA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir des repas préparés dans un centre de distribution alimentaire à Gaza, le 13 août 2025. Le gouvernement israélien a approuvé en mars un nouvel ensemble de règles encadrant les ONG étrangères qui travaillent avec les Palestiniens. Leur enregistrement peut être refusé si les autorités estiment qu'un groupe nie le caractère démocratique d'Israël ou « promeut des campagnes de délégitimation » contre le pays. « Malheureusement, de nombreuses organisations d'aide servent de couverture pour des activités hostiles et parfois violentes », a déclaré à l'AFP le ministre de la Diaspora Amichai Chikli, dont le ministère a été chargé de l'enregistrement des ONG. Les organisations « n'ayant aucun lien avec des activités hostiles ou violentes et aucune connexion avec le mouvement de boycottage se verront accorder l'autorisation d'opérer », a-t-il ajouté. Distributions meurtrières Les ONG affirment que ces nouvelles règles laissent les Palestiniens à Gaza sans aide. « Notre mandat est de sauver des vies, mais en raison des restrictions liées à l'enregistrement, les civils se retrouvent sans la nourriture, ni les médicaments et la protection dont ils ont un besoin urgent », a déclaré Jolien Veldwijk, directeur de l'ONG Care dans les territoires palestiniens. « Aujourd'hui, les craintes des ONG internationales se sont avérées vraies : le système d'enregistrement est désormais utilisé pour bloquer davantage l'aide et refuser nourriture et médicaments au milieu du pire scénario possible de famine », accuse la lettre. Israël accuse le Hamas de détourner l'aide entrant à Gaza, et depuis mai, le gouvernement s'appuie sur la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) soutenue par les États-Unis pour gérer les centres de distribution alimentaire Alors que des milliers de Gazaouis se pressent chaque jour vers ses centres, ces opérations se déroulent souvent dans le plus grand désordre, voire le chaos, et sous les tirs israéliens pour tenter d'y contrôler les foules. Au moins 1373 Palestiniens ont été tués à Gaza depuis le 27 mai, la plupart par des tirs israéliens, « alors qu'ils cherchaient de la nourriture », avait rapporté fin juillet l'ONU. Des ONG étrangères et l'ONU ont refusé de coopérer avec la GHF, qu'elles accusent de servir les besoins militaires d'Israël, notamment en poussant des habitants de Gaza à se rapprocher des centres de distribution. Surtout, ces ONG redoutent d'être interdites d'activité en Israël et dans les Territoires palestiniens si elles ne transmettent pas au gouvernement israélien des informations sensibles sur leur personnel palestinien. La date limite pour soumettre ces données est fixée à septembre, après quoi « nombre d'entre elles pourraient être contraintes de cesser leurs opérations à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et de retirer tout leur personnel international sous 60 jours ».


La Presse
4 hours ago
- La Presse
La lettre aux extrémistes israéliens
Des camions transportant de l'aide humanitaire attendent en Égypte pour entrer à Gaza, près du poste-frontière de Rafah. On ne pourra pas dire que ce critique des exactions israéliennes à Gaza est antisémite. Le Montréalais Irwin Cotler, ex-président du Congrès juif canadien, pourfendeur de l'antisémitisme sous toutes ses formes et ex-ministre de la Justice du Canada1, dénonce l'étranglement des Gazaouis par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Avec plus de 5000 autres Juifs du monde entier qui se décrivent comme « soutenant passionnément l'État d'Israël en tant que foyer national du peuple juif », Irwin Cotler a signé une lettre de l'organisation juive The London Initiative appelant le gouvernement israélien à cesser de bloquer l'aide humanitaire à Gaza et à mettre un terme à la guerre à Gaza2,3. PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Irwin Cotler en 2015 Extraits de cette lettre adressée au premier ministre Benyamin Nétanyahou, par ailleurs signée par 13 autres Montréalais, dont la professeure de l'UQAM Yolande Cohen et l'homme d'affaires Charles Bronfman, ex-propriétaire des Expos : « Notre solidarité est toujours avec Israël et avec les citoyens israéliens, particulièrement depuis l'attaque barbare du Hamas le 7 octobre 2023. Nous n'avons aucune illusion quant aux actions et aux intentions du Hamas et des États qui le soutiennent, et nous reconnaissons les dilemmes douloureux de tout gouvernement israélien face à ces menaces. » « [Nous vous demandons] de rétablir de façon permanente l'entrée de nourriture et d'aide humanitaire destinées à la population de Gaza. Entraver cette aide quand vous avez décidé la reprise des combats en mars fut un désastre moral et stratégique. Ce n'est pas le fait de protester contre cette politique et ses résultats qui donne une victoire de propagande au Hamas, mais la politique elle-même. » « Mettez un terme à la guerre. Rapatriez les otages […] Le processus de négociation avec une organisation terroriste dépravée est bien sûr complexe et risqué. Mais toute occasion de libérer les otages doit être saisie, et c'est ce qui doit être priorisé plutôt que l'apaisement des extrémistes qui font partie de votre coalition. » Donnez des garanties qu'Israël ne va pas recoloniser Gaza ni poursuivre ou défendre toute politique d'expulsion des Palestiniens de Gaza, quelle qu'en soit la forme. Extrait de la lettre de l'organisation juive The London Initiative « Faites respecter la loi en Cisjordanie, où la fréquence et l'intensité de la violence meurtrière des extrémistes juifs sont sans précédent. Si l'armée israélienne peut – sur un ordre audacieux de votre part – envoyer un missile à travers la fenêtre d'un appartement de Téhéran pour tuer un général iranien, cette même armée peut maintenir l'ordre en Cisjordanie. » « Promettez qu'aucun membre de votre gouvernement ne prônera plus jamais des politiques de famine ou d'expulsion comme armes de guerre. Des membres de votre gouvernement ont utilisé le langage du racisme et de la haine en toute impunité. Par exemple, votre ministre du Patrimoine s'est récemment vanté que 'le gouvernement est en train de rayer Gaza de la carte… Dieu merci nous effaçons ce mal… Tout Gaza sera juif'. De telles déclarations sont des abominations morales et un hilloul hashem – une profanation des valeurs juives et des principes fondateurs de l'État d'Israël. » C'est une lettre importante parce qu'elle vient de gens qui ont à cœur l'existence d'Israël et qui aiment assez ce pays pour dire à ses dirigeants qu'ils commettent et tolèrent des abominations morales. Et, aussi, que les actions du premier ministre Nétanyahou contribuent à alimenter la haine des Juifs. C'est une lettre4 qui rappelle que dans la communauté juive, comme en Israël, il existe une diversité de vues sur la façon de faire la guerre au Hamas. C'est aussi une lettre d'une clarté morale implacable. Je reviens sur un passage en particulier, à propos du blocus de Gaza qui affame les Palestiniens : Ce n'est pas le fait de protester contre cette politique et ses résultats qui donne une victoire de propagande au Hamas, mais la politique elle-même… Ce passage fait référence à la redoutable constellation de supporters sans nuances du gouvernement israélien pour qui toute critique des actions d'Israël à Gaza revient à enfiler le costume d'idiot utile du Hamas. Car en marge de la guerre à Gaza, il y a une guerre de l'information où, du côté israélien, toute critique d'Israël est assimilée à la haine de l'État hébreu, à l'antisémitisme. Pour ces relais, si les Palestiniens souffrent, c'est uniquement la faute du Hamas, toutes les photos montrant des enfants morts ou souffrant sont des mises en scène et chaque missile qui tombe sur une tente visait un terroriste, ce qui justifie forcément le massacre de dizaines de civils… La haine d'Israël existe, l'antisémitisme aussi. Il faut le rappeler. Israël est entouré d'entités qui travaillent activement à sa destruction, comme les houthis, le Hezbollah et le Hamas… Dénominateur commun ? L'Iran. L'Égypte et la Jordanie ont signé des traités de paix avec Israël après des guerres destructrices. La République islamique d'Iran, elle, travaille depuis 1979 à la destruction d'Israël, finançant par exemple les extrémistes palestiniens qui ont contribué – avec l'extrême droite israélienne – à faire échouer le processus de paix de 1994. Il faut le dire, il faut le rappeler : Israël est entouré d'entités qui veulent sa destruction. Les signataires de la lettre de la London Initiative le rappellent en évoquant les « dilemmes douloureux » de tout gouvernement israélien face à ces menaces. Mais ce que rappellent Irwin Cotler et les plus de 5000 autres signataires juifs de cette lettre percutante envers les extrémistes israéliens, c'est qu'au-delà de la propagande qui vise à étouffer toute critique d'Israël, une des vérités de notre époque est que le gouvernement israélien massacre actuellement des civils pour détruire un monstre, le Hamas. Bien sûr, les derniers mots que je viens d'écrire rappellent la citation cliché de Nietzsche : « Celui qui lutte contre des monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même… » Mais les clichés sont parfois fondés et ce que fait le gouvernement israélien aux Palestiniens est monstrueux. Ce qui ne veut pas dire que le Hamas n'est pas monstrueux. Il l'est. Et les monstres des deux bords dansent un slow invisible : chacun se nourrit de l'autre. Dernière citation de la lettre signée par Irwin Cotler, à propos des politiques et de la rhétorique du gouvernement israélien : « Cela cause des dommages durables à Israël, à sa réputation dans le monde et à la perspective d'une paix sûre pour tous les Israéliens et Palestiniens. Cela a de graves conséquences pour Israël et aussi pour le bien-être, la sécurité et l'unité des communautés juives à travers le monde. » 1. Lisez une biographie d'Irwin Cotler sur le site du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne 2. Lisez « Gaza : Irwin Cotler et des personnalités juives demandent à Israël de mettre fin à la guerre » 3. Lisez la lettre complète (en anglais) 4. Consultez la liste des signataires de la lettre en date du 7 août


La Presse
9 hours ago
- La Presse
Que nous réserve ce face-à-face inhabituel ?
Une femme passe devant un immeuble résidentiel fortement endommagé à la suite d'une frappe russe dans la ville de Bilozerske, dans la région de Donetsk, mardi. Les présidents des États-Unis et de la Russie se rencontrent vendredi. Même si la Maison-Blanche dépeint le sommet comme un exercice d'« écoute », Trump pourrait-il se laisser séduire par l'attrait d'un règlement rapide, au détriment de l'Ukraine ? C'est ce que craignent le président ukrainien et ses alliés européens avec ce face-à-face inhabituel. Pourquoi ce sommet Trump-Poutine ? « Poutine n'est pas intéressé par un accord de paix ou un cessez-le-feu en Ukraine, mais il ne veut pas non plus de sanctions secondaires », explique Alexander Motyl, de l'Université Rutgers–Newark. Alors, que faire pour gagner du temps ? « La réponse est simple : vous suggérez à Trump, un narcissique notoire, une rencontre où vous allez vous asseoir avec lui et discuter », dit-il. La rencontre a été demandée par le président russe, Vladimir Poutine, après son entretien à Moscou avec l'émissaire américain Steve Witkoff la semaine dernière. Donald Trump s'impatientait de l'impasse des derniers mois, lui qui s'était targué de pouvoir régler la guerre en Ukraine rapidement. Le président américain avait donc lancé un ultimatum à la Russie en juillet : si aucun accord pour mettre fin à la guerre en Ukraine n'était conclu avant le 8 août, de nouvelles sanctions seraient imposées. Et la participation ukrainienne ? Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'est pas invité au sommet, qui aura lieu à Anchorage, en Alaska. Trump a assuré mercredi qu'une rencontre tripartite serait organisée rapidement par la suite. « C'est une occasion ratée de ne pas avoir insisté pour que la rencontre inclue Zelensky », estime Liana Fix, chercheuse du Council for Foreign Relations spécialisée dans les questions européennes. Poutine a décliné les rencontres avec Zelensky dans le passé. Comment réagissent les leaders ukrainien et européens ? Zelensky s'est rendu à Berlin mercredi. Il a participé à un appel au côté du chancelier allemand, Friedrich Merz, avec d'autres dirigeants européens. Trump et son vice-président J.D. Vance se sont ensuite joints à la conversation. La discussion a été « constructive », a dit Zelensky. « Nous espérons que le thème central de la réunion sera un cessez-le-feu, a-t-il déclaré. Un cessez-le-feu immédiat. » PHOTO RALF HIRSCHBERGER, AGENCE FRANCE-PRESSE Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (à gauche) et le chancelier allemand Friedrich Merz, lors d'une conférence de presse conjointe, à Berlin, mercredi Certaines lignes directrices ont été évoquées par le groupe européen, dans l'espoir notamment que Trump n'ouvre pas la porte à une concession territoriale – ce qu'il a fait dans le passé, se montrant contrarié par le refus ukrainien d'un « échange » de territoires. Pour mettre fin à la guerre, Poutine demande que l'Ukraine cède quatre régions partiellement occupées, en plus de la Crimée, annexée en 2014. La Russie occupe actuellement 20 % du territoire de l'Ukraine. « La Russie pourrait adoucir le ton, mais je ne vois pas comment elle pourrait redonner des territoires qu'elle occupe actuellement », souligne Sarah Ann Oates, de l'Université du Maryland. L'invasion russe à grande échelle a commencé en 2022, mais depuis 2014, les Ukrainiens défendent les régions illégalement annexées par leur voisin. « Je ne sais pas ce qui serait acceptable pour les Ukrainiens, dit Mme Oates. Il y a un épuisement physique et moral, mais aussi une colère qui renforce la détermination, après avoir perdu tant de gens dans la guerre. Donc je ne pense pas qu'ils seraient prêts à capituler. Mais je ne suis pas sûre que Trump comprenne le nationalisme ukrainien. » Le premier ministre du Canada, Mark Carney, a aussi participé à une discussion mercredi avec d'autres dirigeants de la « Coalition des volontaires », les alliés de l'Ukraine, en prévision du sommet. À quoi faut-il s'attendre ? Le président américain sera là pour « écouter », a précisé la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt. « Il ne faudrait pas s'attendre à de réels progrès vers une résolution du conflit, mais avec un peu de chance, il n'y aura pas trop de dégâts pour compromettre l'Ukraine », dit Mme Fix. PHOTO NANNA HEITMANN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES Le président russe, Vladimir Poutine Il y aura de « très sévères conséquences » si Poutine n'accepte pas de mettre fin à la guerre après la rencontre de vendredi, a menacé Trump mercredi. « Nous sommes dans un territoire diplomatique inusité, et il est très difficile de prévoir ce que Trump pourrait faire », souligne Mme Oates, rappelant sa rencontre houleuse avec Zelensky, à la Maison-Blanche, en février. Qu'est-ce que le sommet a d'inhabituel ? « Habituellement, ça prendrait plusieurs semaines pour organiser un tel sommet », dit Diddy Hitchins, professeure émérite de l'Université d'Alaska à Anchorage. Les diplomates étudieraient tous les scénarios possibles et les réponses à donner, particulièrement dans le cas d'une résolution à une guerre, explique la spécialiste de la diplomatie et de la Russie. Mais Trump est connu pour sa spontanéité, sa méfiance des experts et sa confiance en ses propres capacités de négociateur. « C'est vu avec beaucoup d'appréhension par les Européens parce que c'est perçu comme une victoire en soi [pour la Russie], que Vladimir Poutine soit invité aux États-Unis pour un sommet bilatéral de haut niveau, avec le président américain, souligne Mme Fix. Le simple fait que ce sommet soit organisé sans concession sérieuse préalable de la Russie est déjà vu comme un gain pour elle. » Les forces russes ont accéléré leur offensive en Ukraine cette semaine, annonçant avoir conquis plus de 110 km2 – une première depuis 2024, selon l'Agence France-Presse Pourquoi l'Alaska ? Poutine fait l'objet de mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale. Les États-Unis n'en sont pas membres et n'ont donc pas l'obligation de les faire appliquer, comme c'est le cas au Canada, par exemple. « L'Alaska est l'endroit le plus proche et le plus facile d'accès pour Poutine sans passer par l'espace aérien international, note Mme Hitchins. Donc, s'il y avait un problème qui demande un atterrissage d'urgence, l'avion se trouverait dans l'espace aérien américain ou russe. » Le lieu a aussi valeur de symbole. La Russie a vendu le territoire aux États-Unis en 1867. C'est un endroit éloigné des grands centres, et qui n'a pas le statut officiel de Washington. Avec l'Agence France-Presse et La Presse Canadienne