
Est-il trop tôt ?
Je n'avais aucune envie de me replonger dans cette époque sombre. Mais voilà : Eddington, le quatrième long métrage d'Ari Aster, qui prend l'affiche ce vendredi après avoir ouvert le 29e Festival Fantasia, n'est pas une œuvre déprimante sur la pandémie de coronavirus. C'est une satire décapante de notre époque, à travers des évènements qui peuvent nous sembler à la fois trop récents et étrangement lointains. Peut-être parce qu'on préfère les enfouir dans notre mémoire collective.
Campé en mai 2020 dans une petite ville fictive du Nouveau-Mexique (où a grandi Ari Aster), Eddington met en scène Joaquin Phoenix dans le rôle du shérif Joe, un peu désaxé, mais qui a le cœur à la bonne place, selon les citoyens qui ne sont pas chauds à l'idée de porter le couvre-visage et de pratiquer la distanciation sociale. Joe lui-même, qui est asthmatique, ne porte pas de masque lorsqu'il fait ses courses.
Son épouse Louise (Emma Stone) se remet péniblement d'une dépression sous la surveillance étroite de sa belle-mère, une conspirationniste qui vit avec eux depuis le début de la pandémie. Dawn « fait ses propres recherches » et encourage sa fille et son gendre à faire de même. Elle embrasse les théories du complot les plus farfelues, de QAnon à 4Chan, en passant par les chemtrails et le Pizzagate, exacerbées par la paranoïa ambiante suscitée par la pandémie. C'est la même rengaine antivax, xénophobe et climatosceptique, répétée comme une litanie depuis mars 2020 par les disciples du conspirationnisme, au Québec comme ailleurs.
PHOTO A24, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS
Emma Stone et Deirdre O'Connell
Joe, qui n'est pas imperméable à la désinformation, décide de s'opposer au maire Ted (Pedro Pascal), très à cheval sur le protocole sanitaire dans sa petite ville qui n'a pas été touchée par la COVID. Les deux hommes s'affrontent dans une rue déserte – à plus ou moins deux mètres de distance –, évoquant un duel de western contemporain, incarnation de la mythologie américaine. Puis le shérif annonce spontanément sa candidature sur les réseaux sociaux, en direct de sa voiture (bien entendu), sans en avoir averti au préalable Louise. Son auto de patrouille devient un panneau publicitaire ambulant pour sa campagne électorale, avec des slogans simplistes contenant des fautes grossières (Your being manipulated).
Ce qui m'a semblé peut-être le plus intéressant dans la proposition caustique d'Ari Aster, c'est qu'il ne se contente pas de se moquer de manière bête et méchante des anxieux crédules qui ont sombré dans le marasme du complotisme pour ne plus en émerger.
Il n'est pas tendre avec Joe, qu'il présente comme un simple d'esprit, ni avec sa famille. Louise, emmurée dans sa dépression, trouve de l'espoir dans les paroles mielleuses d'un charlatan charismatique (Austin Butler), dirigeant de secte fêlé qui table sur la popularité des théories du complot liées à la pédophilie dans les cercles du pouvoir.
PHOTO A24, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS
Ari Aster et Pedro Pascal lors du tournage du film Eddington
Aster tourne aussi en dérision l'excès de zèle et du manque de nuances des jeunes d'Eddington, une petite ville sans histoires (pour l'instant…) ni conflits raciaux, ayant décidé de bloquer la rue principale pour dénoncer le meurtre de George Floyd, qui a cristallisé en mai 2020 à Minneapolis le mouvement Black Lives Matter. L'auteur-cinéaste met en scène un jeune blanc-bec sans réelles convictions qui s'improvise Social Justice Warrior afin de séduire une adolescente souffrant du syndrome du sauveur blanc. C'est très comique, d'un humour noir autrement percutant que les caricatures convenues du wokisme qu'on a pu voir récemment.
S'éloignant des films d'horreur plus classiques qui ont fait sa renommée (Hereditary, Midsommar), Ari Aster propose en quelque sorte un film d'horreur politique, peut-être plus effrayant encore parce qu'ancré dans la réalité.
Il multiplie les clins d'œil à l'actualité, avec des images de l'acteur pro-Trump James Wood, de l'élue ultraconservatrice Marjorie Taylor Greene ou encore de l'ex-animateur de Fox News Tucker Carlson. Eddington, qui a de vagues airs de No Country for Old Men, fait aussi allusion au parcours de Kyle Rittenhouse, cet adolescent qui a abattu deux manifestants du mouvement Black Lives Matter en août 2020, avant d'être déclaré non coupable d'homicide et de devenir une figure du mouvement MAGA.
Œuvre dense et ambitieuse, burlesque et complaisante dans son illustration de la violence, Eddington embrasse trop large et traîne en longueur en raison de ses multiples rebondissements. Mais c'est un regard implacable sur les États-Unis, ses fondements philosophiques, son obsession des armes à feu, l'idiocratie de son président incompétent et le culte qu'il a créé autour de lui.
Loin des discours manichéens sur la gauche et la droite (les bons et les méchants, ou vice versa), c'est une critique acerbe qui fait flèche de tout bois, sans verser pour autant dans une des manies de l'époque, celle de mettre sur un pied d'égalité ce qui s'oppose – le racisme et l'ouverture d'esprit, la violence et le pacifisme, la science et le ressenti – en trouvant à tout point de vue, même le plus indécent et le plus nauséabond, des vertus et des qualités.
Ari Aster noue habilement les ficelles, pour une finale d'un cynisme absolu. Eddington serait-il le film d'un misanthrope ? Celui, plutôt, d'un ultra-lucide qui s'intéresse à l'effritement de la démocratie aux États-Unis. Un film anxiogène, à propos d'une période anxiogène, qui prend l'affiche à un moment qui n'est pas moins anxiogène. Une époque postpandémique de post-vérité, où les faits n'ont plus de prise dans les débats de société, où les faits alternatifs sont désormais acceptables, et dont on n'a pas fini de ressentir les effets délétères.
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