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«Alger utilise des charges fantasques pour faire taire ses opposants»

«Alger utilise des charges fantasques pour faire taire ses opposants»

Le Figaro7 days ago
FIGAROVOX/TRIBUNE - Les condamnations de Boualem Sansal et du journaliste français Christophe Gleizes ont mis en lumière la façon dont le régime algérien se sert de «l'atteinte à l'unité nationale» et de «l'apologie du terrorisme» pour empêcher toute voix dissonante, analyse la juriste Noëlle Lenoir.
Noëlle Lenoir est avocate, ancienne ministre et présidente du Comité de soutien international à Boualem Sansal.
À découvrir PODCAST - Écoutez le club Le Club Le Figaro Idées avec Eugénie Bastié
Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, reste en prison. La Cour d'appel d'Alger a confirmé le 1er juillet sa condamnation en première instance par le tribunal correctionnel de Dar El-Beïda. Incarcéré depuis le 16 novembre 2024, il écope d'une amende de 500 000 dinars et de cinq ans de prison. Autant dire la mort à petit feu pour un homme de plus de 80 ans, gravement malade et qui peine à affronter la canicule à Koléa, prison où les conditions de vie sont extrêmement dures. Les charges fantasmatiques retenues contre lui font immanquablement penser aux procès les plus spectaculaires de l'ère stalinienne : «atteinte à l'unité nationale», «outrage à corps constitué», «pratiques de nature à nuire à l'économie nationale» et «détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays» pour un échange de SMS humoristiques sur WhatsApp avec un ancien ambassadeur de France !
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Comme pour les quelque 250 prisonniers politiques et d'opinions ayant eu l'impudence et l'imprudence de ne pas s'attacher à glorifier Abdelmadjid Tebboune, président de la République algérienne «démocratique et populaire» et le régime algérien, il a été poursuivi principalement sur la base de l'article 87 bis du Code pénal pour atteinte à l'unité nationale. Cet article, qui énumère les «crimes qualifiés d'actes terroristes et subversifs» punit notamment de la peine de mort «tout acte visant la sûreté de l'État, l'intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de semer l'effroi au sein de la population et créer un climat d'insécurité, en portant atteinte moralement ou physiquement aux personnes ou en mettant en danger leur vie, leur liberté ou leur sécurité, ou en portant atteinte à leurs biens». En l'absence de publication de l'arrêt de condamnation, ce qui est déjà en soi un scandale, on sait que l'affaire a été correctionnalisée non pas dans un accès de clémence, mais parce que seuls les auteurs de délits (et non de crimes) en Algérie peuvent être jugées sans l'assistance d'un avocat. Or Boualem Sansal a renoncé à ses avocats algériens commis d'office quand il lui a été demandé de déconstituer son avocat français objet d'une campagne de haine immonde dans la presse algérienne parce que … juif. L'avocat français qui lui a été substitué n'a pu qu'assister à la lecture de l'arrêt de la Cour d'appel le 1er juillet, mais pas au procès lui-même le 24 juin.
Quand la littérature devient ainsi « acte terroriste », c'est bien la liberté d'expression, « le bien le plus précieux de l'homme » suivant l'article 11 de la Déclaration de 1789, qui est réduite à néant Noëlle Lenoir
Si l'audience de première instance s'est déroulée à huis clos, hormis la présence d'une journaliste d'Echorouk, un quotidien à très fort tirage que l'on dit proche des islamistes, l'audience de la Cour d'appel a été ouverte à un public plus large. Le compte rendu des débats qui, réquisitions du parquet comprises, ont duré dix minutes, est lunaire. On croirait lire Le Procès de Kafka ou 2084, la fin du monde, l'ouvrage qui a valu à Boualem Sansal le Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015. D'abord, celui-ci a demandé à Naïma Dahmani, présidente de la Cour, de pouvoir s'exprimer en français, ce qu'elle lui a accordé sous réserve de le questionner en arabe, l'un des combats de l'Algérie contre la France étant de faire en effet disparaître la langue française. Puis, si besoin était de démontrer l'inanité des reproches adressés à l'écrivain, elle a renvoyé par ses questions l'image d'un pouvoir aux abois n'ayant comme moyen de se pérenniser que d'embastiller la pensée. À la question de savoir pourquoi il était défavorable au pouvoir algérien, Boualem Sansal a répondu : «Je suis un homme libre, je suis Français et toutes mes déclarations ont été faites en français». À propos d'une interview au média Frontières sur le tracé de la frontière algéro-marocaine au début du XIXe siècle lors de la colonisation, il a fait observer que les frontières de l'État étaient aujourd'hui intangibles. Enfin, la présidente s'est elle-même donné le coup de grâce en lui demandant pourquoi il ne se limitait pas à «écrire sur la littérature et la culture au lieu de parler de politique» (sic !) ; et de répondre dans une phrase qui restera gravée comme l'une des plus belles prononcées par un écrivain en butte à une justice politique : «Madame, vous faites le procès de la littérature ! ».
Quand la littérature devient ainsi «acte terroriste», c'est bien la liberté d'expression, «le bien le plus précieux de l'homme» suivant l'article 11 de la Déclaration de 1789, qui est réduite à néant. Certes, le code de procédure pénale algérien ne mentionne pas le principe au fondement de toute justice digne de ce nom, à savoir l'impartialité et l'indépendance des juges. Il ne dit rien non plus du «procès équitable». Pour autant, l'Algérie se targue d'être aux avant-postes du droit international public qu'elle accuse rituellement Israël de méconnaître en incluant tous ceux qui appuient la seule démocratie au Moyen-Orient. La présidente de la Cour d'appel est allée jusqu'à reprocher à Boualem Sansal son voyage en Israël en 2012 pour se faire remettre un prix au Festival du Livre de Jérusalem !
À lire aussi Jean-François Colosimo : «L'affaire Boualem Sansal a scellé l'évidence qu'Alger ne veut pas d'une réconciliation»
Quelle contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 à laquelle renvoie le préambule de la Constitution algérienne et avec le pacte des Nations Unies de 1966 sur les droits civils et politiques ratifié par l'Algérie qui indiquent que «tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions…», que «nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu» et que chacun a droit à «toutes les garanties nécessaires à sa défense» ! Quelle contradiction avec le droit de ne pas être «soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants», reconnu par la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, également ratifiée par l'Algérie !
Maintenant, où en sommes-nous ? Après avoir stigmatisé dans un rapport d'un rapporteur spécial du 17 mai 2024 l'utilisation de l'article 87 bis du Code pénal algérien pour réprimer opposants et intellectuels, on attendrait de l'ONU qu'elle exige la libération de Boualem Sansal et du journaliste français Christophe Gleizes, condamné pour rien à 7 ans de prison, sans oublier d'autres franco-algériens arbitrairement détenus.
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Alors que Madame Kallas, Haute représentante des Affaires étrangères et de la politique de sécurité de l'UE, se montre d'une désinvolture sans nom vis-à-vis du Parlement européen qui lui demande de veiller au respect des droits fondamentaux par l'Algérie, condition de l'application de l'accord d'association avec l'UE et de l'attribution d'aides financières de l'UE, on peut espérer que la médiatrice européenne, saisie d'une plainte de notre Comité de soutien, lui adresse une remontrance publique. Quant au gouvernement français, il devrait comprendre que les espoirs d'une grâce du président Tebboune risquent encore d'être un leurre et qu'il faut passer à l'action !
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