
Qui veut renouer avec la lecture ?
Du plus loin que je me souvienne, les discours sur la lecture ont toujours été alarmistes. Les gens ne lisent pas, ne lisent plus – les jeunes surtout, sur qui reposent sans cesse nos espoirs de rédemption ou la menace d'un effondrement de la civilisation. Cela ne m'a jamais inquiétée, peut-être parce que je viens d'un milieu où il y avait plus de téléviseurs que de livres dans mon entourage, une réalité que je trouvais normale, et c'est pourquoi la bibliothèque de mon quartier était si importante.
J'ai compris très tôt dans la vie que les « grands lecteurs », ces adeptes de la lecture « profonde » qui lisent au moins 12 livres par année, ont toujours été minoritaires. Personne ne me fera croire qu'il y a 100 ans, nos ancêtres passaient leur temps le nez dans un livre.
Il faut des conditions et un penchant pour ça. D'abord être alphabétisé, contrairement au sport ou à la musique qui viennent à nous sans avoir un code à maîtriser.
D'où peut-être aussi notre propension à offrir des funérailles nationales aux sportifs et aux chanteurs, plutôt qu'aux écrivains. Je sais que ceux qui ont vraiment lu les briques de Victor-Lévy Beaulieu et les romans sans point de Marie-Claire Blais forment une secte trop petite pour être intéressante sur le plan politique.
Par contre, et cela me fait plaisir, je suis persuadée que la population en général n'a probablement jamais autant lu qu'à notre époque. Pas forcément des livres, mais des articles, des statuts Facebook ou Instagram, des textos, n'importe quoi qui passe par l'écrit.
Nous lisons probablement plus, sauf que la nature de la lecture a changé. Dans un article très intéressant du New Yorker publié en juin, le journaliste Joshua Rothman pose la question : What's Happening to Reading ? (Qu'est-ce qui est en train d'arriver à la lecture ?). Il explique qu'aujourd'hui, on peut commencer un livre sur une tablette, le poursuivre dans le métro sur son iPhone et embarquer dans la version audio en conduisant sa voiture, mais que lire un bon vieux bouquin, avec des pages en papier, est sur le point de devenir un anachronisme. « Il y a quelque chose à la fois de diffus et de concentré à propos de la lecture maintenant ; cela implique un flot de mots aléatoires qui défilent sur un écran, tandis que la présence sournoise de YouTube, Fortnite, Netflix et autres fait en sorte que, dès que nous avons commencé à lire, nous devons continuellement choisir de ne pas arrêter. »
Lisez l'article du New Yorker « What's Happening to Reading ? » (en anglais)
C'est vrai. Je ne peux pas plonger sérieusement dans une lecture, surtout sur ma tablette, si les notifications de mes applications sont actives, car je ne peux résister à l'envie d'aller vérifier qui a liké la superbe photo de mon chat.
Ces notifications qui m'interpellent ne peuvent cohabiter avec la lecture de Proust, qui demande une concentration de tous les instants. D'ailleurs, je n'ai toujours pas fini À la recherche du temps perdu.
Comme il me semble loin le temps où, au contraire, je devais résister à la tentation de lire un autre chapitre, en cachette de mes parents, sous la couverture avec une lampe de poche à 2 h du matin.
Rappelons que je ne suis en aucun cas une référence pour évaluer le temps de lecture de la population. C'est mon travail, je reçois les livres gratuitement, il est évident que je lis plus que la moyenne des ours. Et même dans ces circonstances idéales, ma concentration de lectrice a diminué, je suis obligée de le reconnaître. Je pensais que je pouvais maintenir mon rythme de « lecture traditionnelle » tout en scrutant les réseaux sociaux et en m'informant sans arrêt. Ce n'est pas possible, et il n'est pas étonnant que je fasse des migraines ophtalmiques, non plus.
Dans son article, Joshua Rothman pose d'excellentes questions : « Si nous dévorons Stranger Things plutôt que de lire Stephen King, ou écoutons des balados de croissance personnelle plutôt que d'acheter des livres de croissance personnelle, est-ce la fin de la civilisation ? À un certain niveau, le déclin de la lecture traditionnelle est connecté à l'efflorescence de l'information à l'âge du numérique. Voulons-nous vraiment retourner à une époque où il y avait moins à lire, à regarder, à écouter et à apprendre ? »
Non, bien sûr. Cependant, je crois que le lectorat « traditionnel » demeurera ce qu'il a toujours été : un noyau dur, pas une norme.
Paradoxalement, l'industrie du livre est celle qui s'en tire le mieux au Québec depuis la pandémie, comparativement aux autres secteurs culturels comme les arts vivants. Qui sait si, pendant les heures sombres du confinement, des gens exaspérés de regarder Netflix n'ont pas donné une chance à un bouquin qui traînait depuis longtemps ? Je fantasme, sans aucun doute. Les ventes de livres se maintiennent, soit, mais est-ce que les acheteurs les lisent ? Nous sommes nombreux à avoir sur nos tables de chevet des piles qui penchent comme la tour de Pise, en sachant très bien qu'il n'y aura que quelques élus dans le lot.
Malgré ceux qui déplorent qu'on publie trop, je persiste à croire que chaque être humain sur cette planète devrait avoir droit au miracle de la rencontre avec un livre qui changera sa vie. Les bouquins ne seront donc jamais assez nombreux face au vortex infini du numérique.
À moins qu'on ne finisse par déléguer la tâche de lire des romans complexes à l'intelligence artificielle, qui nous fera des résumés assez riches pour briller dans les soirées mondaines ou performer sans trop se forcer lors des examens de fin d'année.
Au moment où vous lisez ces lignes, je suis en vacances, mais pour un projet à l'automne, je suis à la recherche de personnes qui lisent moins de livres qu'elles en lisaient autrefois, et qui ont envie de renouer avec cette habitude. Racontez-moi comment cela vous est arrivé, si cela vous manque ou pas, et par quoi ce temps que vous consacriez avant à la lecture a été remplacé. J'aimerais vous lire là-dessus.
En vous souhaitant un bel été, avec ou sans livres.
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