
Gardien de but, chef de clan
Lorsque Thomas Gillier a fait le premier arrêt de sa carrière avec le CF Montréal, mardi soir, il s'est spontanément tourné vers les partisans derrière son filet pour célébrer, les poings brandis, la passion se lisant dans son visage.
Ce moment, c'était d'un côté le symbole d'un nouveau chapitre pour le Franco-Chilien. Mais il représentait également l'aboutissement d'un autre, marqué de drames successifs et, par le fait même, d'une maturité acquise précocement.
Thomas Gillier, aujourd'hui âgé de 21 ans, en avait 19 lorsqu'il a perdu ses deux parents en l'espace de quelques mois. Son père, d'origine française, est mort après un infarctus au printemps 2023. Au début de l'année 2024, sa mère, l'artiste chilienne Claudia Correa Bilbao, s'est éteinte après une bataille de trois ans contre un cancer.
« Ça a été très dur », s'est-il rappelé devant La Presse, mercredi après-midi, au Centre Nutrilait. Notre entrevue, qui s'est déroulée en français du début à la fin, a eu lieu le lendemain de son premier match à Montréal, contre Puebla, au stade Saputo.
« Mais tu sais, je suis très fier de ma famille, et surtout de mes frères et de ma sœur. On est faits forts. »
Ils sont quatre. Thomas et son grand frère Matheo, qui avait alors 23 ans, ont « pris toute la responsabilité » de la famille, qui est restée dans la maison familiale de Santiago, au Chili, malgré tout.
« Normalement, quand ce type de choses arrive, peut-être que l'un va chez sa grand-mère, l'autre part chez ses oncles, ses tantes. On a dit : 'Écoutez, on va le faire tout seuls.' On pensait qu'on avait la maturité pour le faire. On l'a fait. On a vécu pendant deux années ensemble. »
Thomas et Matheo sont devenus comme les deux parents de leur frère Simon et de leur sœur Mathilde, qui avaient respectivement 17 et 14 ans à ce moment. Ces derniers ont poursuivi leurs études avec sérieux pendant cette période. Le gardien du CF Montréal, par exemple, s'est occupé de certaines tâches du quotidien comme la cuisine, et prenait la voiture de sa mère pour les conduire à l'école avant ses entraînements.
L'un des « défis » a été la gestion du budget familial, raconte Thomas Gillier. « Par exemple, Simon voulait aller étudier en France, dit-il. Il fallait être intelligent, parce qu'une famille, ça fonctionne un peu comme une entreprise. Il y a de l'argent qui rentre, il faut faire des budgets. »
Et surtout, comme le souhaitaient leurs parents, les quatre enfants devaient pouvoir réaliser leurs rêves. Aujourd'hui, Matheo est parti étudier la littérature à Madrid. Simon est à Paris pour tenter de devenir économiste. Pour l'instant, Mathilde est restée au Chili, chez leur tante.
Thomas, par l'intermédiaire de Bologne, se retrouve en prêt à Montréal, en tant que footballeur professionnel. Et tous les quatre restent en contact, évidemment.
« On a tout le temps eu une super bonne relation, dit Gillier. Mais maintenant, il y a quelque chose de plus grand [entre nous]. »
PHOTO PETER MCCABE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Thomas Gillier plonge vers le ballon devant Efraín Orona (4), de Club Puebla.
« Le normal, c'est de gagner »
À travers tout ça, Thomas Gillier, imaginez-vous, était en train de faire ses premiers pas dans le soccer professionnel au Chili. Le produit du CD Universidad Católica, club de première division dans lequel il a grandi depuis ses 11 ans, a joué pas moins de 25 matchs avec la première équipe pendant cette année 2024 compliquée sur le plan personnel.
« Je suis passé par toutes les phases de la formation là-bas, et j'ai pu jouer très jeune [avec la première équipe], à 19 ans. Pour un gardien au Chili, ce n'est pas commun du tout. »
Universidad Católica, l'un des grands clubs du pays, a remporté 16 titres de première division, dont son plus récent en 2021. Il entretient une grande rivalité avec les deux autres clubs de Santiago, la capitale, soit Colo-Colo et Universidad de Chile.
« J'ai grandi dans un club où si tu n'es pas premier, tu es vraiment critiqué, explique Gillier. Vivre toute la semaine avec cette intensité et cette responsabilité, être conscient qu'il faut plus gagner que perdre, c'est ce que j'ai essayé de transmettre ici aussi. »
Il parle bien de Montréal, « ici ». Parce que selon lui, « ce n'est pas normal de perdre ». « Le normal, c'est de gagner. »
Pour un gardien parachuté dans une équipe abonnée aux défaites et qui gît actuellement dans les bas-fonds du classement de la MLS, ces paroles surprennent.
« Il y a un groupe très réceptif ici, assure-t-il. J'ai une bonne sensation de ce groupe. Je pense qu'on a beaucoup à améliorer, et on peut vraiment faire de très, très bonnes choses. »
Évidemment, si Gillier joue, cela signifie que Jonathan Sirois ne jouera pas. Mais l'important, pour lui, c'est de se « concentrer sur ce qui dépend » de lui. Et d'être « préparé » lorsque son tour viendra.
D'ailleurs, sa préparation, tant physique que mentale, il la prend au sérieux.
« Je me prépare avec des psychologues, dit-il. Je lis beaucoup. […] Je suis complètement convaincu qu'il faut améliorer l'aspect psychologique parce que tu ne peux pas te dire : 'OK, moi, je suis fort mentalement, je le serai toujours.' Non. C'est de l'entraînement. C'est de la répétition, répétition, répétition [comme sur le terrain]. Il faut travailler, tout le temps. »
PHOTO ERIC BOLTE, ARCHIVES IMAGN IMAGES
Thomas Gillier (31) discute avec un juge de ligne lors du match contre Club Puebla.
Une « responsabilité » envers Montréal
Thomas Gillier a déjà franchi une grande étape dans son parcours, soit celle de signer un contrat avec une équipe européenne, Bologne. Son prêt du club italien à Montréal, en théorie, est valide jusqu'à la fin de cette saison 2025.
Mais une option de prolongation pourrait très bien le faire rester à Montréal pour la saison 2026 également.
« Juste avant de venir ici, j'ai eu beaucoup de réunions avec le directeur sportif Luca Saputo. Il m'a demandé seulement une chose. Qu'ici, je me concentre à 100 % sur Montréal. Même si je suis un joueur de Bologne. C'est ce que je suis en train de faire. Je vais tout donner de moi ici. »
Peu importe le temps qu'il restera dans le giron montréalais, lui qui a été attiré par le « projet » de « grandir comme joueur » dans la métropole québécoise.
« Je sais que toute une ville soutient ce club. Quand je vois ça, il y a vraiment de la responsabilité. »
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
5 hours ago
- La Presse
Victoria Mboko et l'importance d'avoir des modèles
Le triomphe de Victoria Mboko à l'Omnium Banque Nationale a été galvanisant et inspirant pour de nombreux Québécois et Canadiens. Pour les jeunes (et même les moins jeunes) issus des communautés noires et racisées, le sacre de cette athlète d'origine congolaise revêt une importance particulière : celle de voir une femme qui leur ressemble être dominante, victorieuse et célébrée. « C'était magnifique, magnifique, magnifique ! Et certains enfants ont dû être inspirés en la voyant à la télé. » Dorothy Williams, professeure à l'Université Concordia, experte dans la recherche sur l'Histoire des personnes noires au Canada et grande amatrice de tennis, suit Victoria Mboko depuis des mois, avant même son passage à l'Omnium de Montréal. « Je ressens toujours une fierté, je me rallie beaucoup derrière les athlètes noirs de la diaspora », dit-elle. Son sentiment de fierté a fort probablement été partagé par de nombreuses personnes afrodescendantes jeudi. « Même sans suivre le sport, j'ai vu la nouvelle [de la victoire de Mboko] circuler et ça m'a fait chaud au cœur, commente d'ailleurs Marie-Daphné Laguerre, conseillère en ressources humaines, spécialisée en diversité et inclusion. Moi, c'étaient les sœurs Williams qui m'avaient beaucoup inspirée. Que ça se passe localement, chez nous, au Canada, ça va apporter une dimension socioculturelle qu'on pourrait avoir tendance à minimiser. » Pour l'experte, d'origine afro-caribéenne, la signification d'un moment historique comme la victoire de Victoria Mboko à l'Omnium est grande pour la communauté afrodescendante. PHOTO SUZANNE NG, FOURNIE PAR MARIE-DAPHNÉ LAGUERRE Marie-Daphné Laguerre, conseillère en ressources humaines, spécialisée en diversité et inclusion Cela donne une certaine visibilité, mais aussi des modèles auxquels s'identifier. C'est tellement important. Marie-Daphné Laguerre, conseillère en ressources humaines, spécialisée en diversité et inclusion Le soir de son triomphe, Victoria Mboko a elle-même affirmé qu'elle avait grandi en admirant sa rivale en finale, la joueuse d'origine japonaise et haïtienne Naomi Osaka, classée première au monde en 2019. Ces dernières semaines, victoire après victoire, Mboko, qui porte si bien son prénom, a attiré les projecteurs sur son jeu. Les amateurs de tennis l'ont remarquée et se sont mis à la suivre avec de plus en plus d'attention. Jeudi, ils étaient des milliers à brandir des pancartes avec son nom ou des affiches en carton de son visage. Un visage encore juvénile, mais aussi un visage à la couleur de peau foncée. « C'était beau de voir Montréal la célébrer de cette façon », se réjouit Dorothy Williams. PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE Victoria Mboko soulevant son trophée sous les applaudissements du public montréalais, jeudi Mboko est désormais classée 24e au monde. On la surnomme la « reine » Victoria. Son ascension a été fulgurante. On ne le mentionne pas souvent, mais elle s'est aussi enrichie de plus d'un million de dollars grâce à son parcours à Montréal. Tout cela entre les mains d'une femme noire. Le tennis est pourtant encore considéré comme un sport pour une classe aisée. Les accès onéreux aux clubs ne sont pas donnés à tout le monde. Née dans la haute bourgeoisie anglaise, longtemps dominée par des joueurs européens ou américains, la discipline est demeurée la chasse gardée des plus riches. Elle est encore, de nos jours, plus répandue dans les régions où les populations les mieux nanties résident. PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE Les sœurs Serena et Venus Williams s'étaient affrontées en demi-finale de la Coupe Rogers, à Montréal, en 2014. Venus avait remporté le match. Et pourtant, pendant longtemps, ce sont les sœurs Serena et Venus Williams, deux femmes noires issues du quartier pauvre de Compton, à Los Angeles, qui ont dominé le circuit professionnel. Depuis, on retrouve des joueuses d'ascendance africaine (et de toutes sortes d'origines diverses) à plusieurs niveaux du classement professionnel. Continuer de changer les mentalités « Cela reste un défi économique d'obtenir l'opportunité d'essayer des sports quand on est jeune, de trouver ce qu'on aime », remarque Dorothy Williams, qui précise que les communautés racisées sont surreprésentées parmi la frange la plus pauvre de notre société. De plus, une récente étude de Statistique Canada démontre que plus du quart des personnes pratiquant des activités sportives ont déclaré que le racisme et la discrimination sont des problèmes dans les sports communautaires. Les personnes racisées sont trois fois plus susceptibles de subir un traitement injuste que leurs homologues non racisés. Plus d'une personne sur dix a cessé de pratiquer en raison d'une expérience négative. Bref, le chemin est semé d'embûches. Les sports d'élite coûtent cher et il y a eu des efforts conscients à une certaine époque pour ne pas intégrer de diversité, ce qui fait aussi qu'on a tellement été rejetés longtemps qu'on ne pense même pas qu'on a notre place. Marie-Daphné Laguerre, conseillère en ressources humaines, spécialisée en diversité et inclusion Des figures comme les Williams et les Mboko de ce monde sont des symboles forts pour tenter de faire changer les choses. L'impact se ressent même au-delà de la sphère sportive : combien de ceux et celles qui ont assisté au sacre de Victoria Mboko jeudi n'en ont en fait rien à faire du tennis ? Combien d'admirateurs de Serena Williams ne savent même pas ce qu'est un as ou l'ont découvert grâce à elle ? « Je pense à une Jennifer Abel et je me dis qu'il y a peut-être des enfants qui ont été inspirés à faire du plongeon en la voyant », commente Dorothy Williams. IMAGE TIRÉE DU SITE INTERNET DE DOROTHY WILLIAMS La professeure de l'Université Concordia Dorothy Williams Mais au-delà des individus (que ce soit les admirateurs dans les gradins, les entraîneurs ou les sportifs eux-mêmes), c'est le système qui doit continuer d'avancer. « Dans une société ouverte, il faut que ces choses-là [le sacre d'une femme noire] deviennent normales, pas l'exception, dit Marie-Daphné Laguerre. Une société peut être diversifiée en apparence, mais pas nécessairement axée sur l'inclusion. Mon souhait, c'est qu'on mette l'accent sur l'inclusion. » Victoires individuelles, mais pas sociales Mboko n'est pas la seule membre racisée des associations professionnelles de tennis qui se démarque. La Japonaise Naomi Osaka, la numéro deux mondiale Coco Gauff, la Québécoise Leylah Fernandez, l'Afro-Américain Ben Shelton ou les Montréalais Félix Auger-Aliassime et Gabriel Diallo du côté des hommes… la mixité culturelle est flagrante parmi les joueurs importants du circuit, tandis que le tennis s'est largement démocratisé dans les dernières décennies. PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE Félix Auger-Aliassime « La population noire canadienne est très petite, nous ne représentons que 5 %, mais nous produisons de nombreux athlètes d'élite, dans tous les sports, dont le tennis », relève Dorothy Williams. Il y a même, ajoute-t-elle, cette attente envers les personnes noires d'être de bons sportifs, de courir vite, par exemple (tout comme on présume qu'elles sont de bons musiciens), même si leur place est plus difficile à obtenir. Dorothy Williams, toutefois, dit ne pas se faire d'illusions : ce moment Mboko ne risque pas de se traduire en un changement social systémique. L'affection du public qu'elle reçoit ne veut pas dire que toutes les jeunes femmes qui lui ressemblent auront soudainement plus d'opportunités, bien qu'elles puissent être inspirées par le parcours de la Canadienne. « Il y a cette excitation, mais l'impact n'est pas social. Je ne pense pas qu'il y ait de corrélation entre la gloire d'une athlète et le destin de toute une communauté, explique-t-elle. Les travailleurs noirs gagnent encore 20 % moins que les travailleurs blancs sur le marché. On verra bien dans six mois, mais je ne pense pas que cela aura changé. » La professeure a d'ailleurs écrit il y a 25 ans une thèse de maîtrise intitulée Le mythe Jackie Robinson, concernant cet autre sportif noir à qui le public a momentanément voué un culte. « On présumait que le fait que Montréal l'acceptait et était fière [d'avoir Jackie Robinson dans son équipe de baseball] était un signe d'une plus grande tolérance envers la communauté noire, mais ce n'était qu'un mythe et son succès n'a pas changé le fait que les Noirs n'avaient pas les mêmes opportunités économiques à Montréal », affirme Mme Williams. « Les portes ne s'ouvriront pas forcément plus, mais je pense en revanche que pour les enfants noirs qui ont un intérêt à jouer au tennis, le triomphe de Mboko sera très encourageant », conclut-elle.


La Presse
6 hours ago
- La Presse
Sur roulettes, sans étiquettes
Une séance de roller derby au centre d'entraînement de Montréal Roller Derby (MTLRD), situé au TAZ Un casque, deux patins, un surnom coloré, des amitiés fondées sur la diversité. Rassemblés, ces éléments bien simples ont suffi à plusieurs joueuses de roller derby pour assumer ouvertement leur identité sexuelle. Lorsqu'elle raconte son arrivée à Montréal, en 2021, Montana Fowler a le sourire aux lèvres. Pourtant, la Californienne a traversé des difficultés avant de s'adapter. La barrière de la langue, l'hiver, mais surtout le fardeau de porter une identité qui, au fond, n'était pas la sienne. « C'est le roller derby qui m'a permis de traverser tout cela : je suis arrivée ici straight et ce sport m'a permis de sortir du placard », raconte-t-elle, attablée au centre d'entraînement de Montréal Roller Derby (MTLRD), situé au TAZ. Avant de se joindre au club montréalais, Montana Fowler – que l'on surnomme Sprout dans le milieu du roller derby – n'avait jamais côtoyé de couple s'identifiant à la communauté queer. L'occasion d'en fréquenter lui a permis de voir plus clair quant à sa propre identité. « De voir des gens queer si confortables avec leur personne, si accueillants, ça m'a beaucoup aidée », estime Sprout, alors que ses coéquipières participent à un exercice d'échauffement derrière elle. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Montana Fowler, alias Sprout Peu importe ta morphologie ou qui tu es, on travaille tous vers un objectif commun ici. On permet à tous d'être soi, et je pense que c'est ce qui nous aide à nous assumer. Montana Fowler, alias Sprout Près de deux ans après son arrivée dans la métropole, Sprout est sortie du placard. Dès son annonce, elle a senti le soutien inconditionnel de son entourage du roller derby. « Ça veut tout dire pour moi. Je sens que mes coéquipières ici sont mon système de soutien », lance-t-elle, en les regardant à l'œuvre. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le roller derby a été créé dans les années 1930 et a connu une recrudescence aux États-Unis au début des années 2000. Modèles Lorsqu'elle a donné ses premiers coups de patin au MTLRD, Diane Anscouture Lavie n'était sortie du placard que depuis quelques mois. « Je m'étais dit que de commencer ce sport serait une bonne manière de rencontrer des gens de ma communauté. Je savais que les joueuses avaient une grande ouverture d'esprit. Je n'ai pas été déçue », explique celle que l'on surnomme MoonWarrior. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le slogan non officiel du roller derby est « pour les patineuses, par les patineuses ». PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Un casque, deux patins, un surnom coloré et des amitiés fondées sur la diversité. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Pas de figures d'autorité au roller derby. Les entraîneuses s'apprennent le sport entre elles, selon leur niveau d'expérience. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Même si certaines n'ont pas le profil physique de l'athlète typique, toutes sont les bienvenues, et même accueillies à bras ouverts. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE La culture du roller derby amène les joueuses à tisser des liens forts, à se raconter leur histoire, à s'inspirer. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le slogan non officiel du roller derby est « pour les patineuses, par les patineuses ». 1 /5 Ce n'est pas qu'à Montréal que le roller derby se distingue par son caractère inclusif. Si le sport a été créé dans les années 1930, il a connu une recrudescence aux États-Unis au début des années 2000, porté par un mouvement féministe punk. Au cœur même du sport se tient son slogan non officiel : « pour les patineuses, par les patineuses ». Oubliez la hiérarchie : les ligues n'ont pas de dirigeants, pas de figures d'autorité. Les entraîneuses s'apprennent le sport entre elles, selon leur niveau d'expérience. Cette façon de faire mène les joueuses à tisser des liens forts, à se raconter leur histoire. À s'inspirer, finalement. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Diane Anscouture Lavie, alias MoonWarrior Je trouve ça toujours inspirant d'entendre le parcours des autres joueuses. Ça m'a beaucoup aidée. C'est la même chose sur la track : il y aura toujours une oreille attentive pour toi, qui t'offrira des conseils. Diane Anscouture Lavie, alias MoonWarrior « Il y a cette espèce de roue qui tourne, qui est vraiment organique. Sans que ce soit explicite, tu trouveras des mentors facilement ici », ajoute sa collègue Marie-Pier Beaudet Guillemette, alias Hurry Jane. Avant de se lancer dans l'univers du roller derby, il y a près de 15 ans, Hurry Jane avait déjà pratiqué quelques sports d'équipe. Plusieurs joueuses n'ont pas eu ce luxe avant de faire leur entrée au MTLRD. Même si certaines n'ont pas le profil physique de l'athlète typique, toutes sont les bienvenues, et même accueillies à bras ouverts. La diversité corporelle règne. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le roller derby a la réputation, belle et bien fondée, d'être un sport physique, voire violent. « Peu importe ta taille ou ta physionomie, tu auras des avantages et des inconvénients au roller derby. Si tu es vraiment petit, comme moi, ton centre de gravité sera bas. Si tu es grande, tu verras mieux le jeu. Bref, il y a de la place pour tout le monde », assure Hurry Jane. Dans son cas, le sport lui aura permis d'embrasser sa morphologie, et même sa féminité. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Marie-Pier Beaudet Guillemette, surnommée Hurry Jane Quand tu es socialisée comme une femme, tu as l'impression de devoir rester tranquille, à ta place. Avec le roller derby, on apprend à prendre sa place. Marie-Pier Beaudet Guillemette, alias Hurry Jane La réputation du roller derby est belle et bien fondée : il s'agit d'un sport physique, voire violent. Pour y jouer, les participants doivent payer une assurance supplémentaire, comme il s'agit d'un « sport extrême ». « Les gens me demandent souvent de faire attention aux blessures. Je leur réponds toujours que je ne peux rien promettre », lance Hurry Jane en riant. Lors d'un exercice, on peut voir de nombreuses joueuses plaquées au sol. Le dénominateur commun de ces chutes, toutefois, est que ces joueuses reçoivent rapidement de l'aide pour se relever. « Le franc jeu, c'est le cœur de notre sport. Personne ne hue les arbitres, ou ne critique les autres équipes. C'est vraiment une compétitivité qui est saine, inclusive », détaille Hurry Jane. Au fait, pourquoi ces surnoms ? Pourquoi les joueuses ne s'appellent-elles pas tout simplement par leur nom ? PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Les surnoms aident à façonner un personnage. Parce que le roller derby, c'est l'occasion de délaisser son rôle traditionnel. Ici, ce n'est pas des mamans, des employées, des conjointes qui performent : ce sont des athlètes à part entière. « Nos surnoms nous aident à nous façonner un personnage. Comme si on incarnait une autre personne. Pour nous, c'est vraiment important », explique MoonWarrior. Comme quoi, peu importe votre apparence, votre orientation sexuelle ou votre identité de genre, vous pouvez être qui vous voulez au roller derby.


La Presse
6 hours ago
- La Presse
Victoire de Victoria Mboko
Jeudi, en fin d'après-midi. Le temps est bon, le ciel est bleu. J'arrive au stade IGA avec mon grand ami, l'auteur-compositeur-interprète Marc Déry, le leader du groupe Zébulon, celui qui chante Les femmes préfèrent les ginos. Aujourd'hui, c'est Les fans préfèrent Mboko. On rejoint nos sièges, section 226, rangée A. Vous le savez, je suis un inconditionnel du Canadien. J'adore aller au Centre Bell encourager l'équipe, mais je dois admettre que le sport auquel il est le plus agréable d'assister en présentiel (ça faisait longtemps !), c'est le tennis. Et de loin. Y fait beau. On est dehors. Relaxe. Y'a pas de chikaboumchikaboum à tout bout de champ. On crie puis on se calme. Notre silence est aussi lourd de sens, aussi chargé que nos applaudissements. Devant nous, il y a deux êtres humains, sans armure, sans masque, que l'on peut regarder dans les yeux, que l'on peut voir se concentrer, se donner, s'épanouir ou s'affaisser. C'est un spectacle à dimension humaine. C'est du théâtre à deux personnages. On se croirait au parc du coin à regarder jouer nos voisins. Sauf que nos voisins sont les meilleurs joueurs et les meilleures joueuses au monde. Ce soir, c'est spécial. Il y a quelque chose dans l'air, et pour une fois, ce n'est pas de la pollution, c'est de l'amour. Une émotion pure. Joyeuse, bon enfant. Tout le monde affiche un grand sourire, comme le gars dans la pub de Trivago. Une bénévole qui aide les gens à trouver leur place me dit : « Est-ce que c'est vous ou Patrick Lagacé qui avez dit qu'elle avait déjà gagné ? » Je lui réponds : « Je crois que c'est Paul Arcand… » Elle rétorque : « En tout cas, c'est vrai, elle a déjà gagné. » Elle, on sait qui c'est, même pas besoin de le préciser, c'est Vicky. Oui, elle a déjà gagné, il y a deux semaines. Personne n'aurait parié qu'elle allait se retrouver en finale de l'Omnium Banque Nationale. On connaissait à peine son nom. Maintenant, on l'appelle par son prénom. Comme Céline et Ginette. Quoi qu'il arrive, une étoile est née. Et elle n'a pas fini de briller. Comme la lune, presque pleine, qui, plus tard, va arriver, rangée ciel. La dame, qui connaît bien les chroniqueurs de La Presse, nous tend deux pancartes sur lesquelles on peut lire : « Allez Vicky ! » Des deux côtés. Pas besoin de traduire. On est à MONTRÉAL avec un accent aigu, comme c'est inscrit sur le terrain. Et puis le nom « tennis » vient du français « tenez ». Tenez-vous bien, ça va brasser. Le match va débuter. Au tennis, pas de cloche ni de grosse sirène pour nous prévenir que ça commence. Seulement un premier grand silence envahissant le stade. L'échauffement des joueuses est terminé. Cette fois, elles frappent pour vrai. PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE Victoria Mboko, lors de sa finale contre Naomi Osaka, jeudi La première manche se passe mal pour notre protégée. 6–2 Osaka. On est déçus, mais pas découragés. Premièrement, Mboko a déjà gagné. Et puis la Canadienne nous a habitués à commencer en mouton et à finir en lion. Alors, on ne sait jamais. Le monsieur assis à côté de nous est japonais. Il vit au Québec depuis 1968. Sa fille qui l'accompagne est née ici. On pourrait croire qu'ils prennent pour la Japonaise. Les racines étant plus fortes que tout. Pas du tout, ils sont team Vicky, comme nous. C'est ce qui est magique, en ce moment, on est 12 000 personnes qui ne se connaissent absolument pas, mais qui espèrent la même chose : un triomphe de notre compatriote. Ça nous rapproche. Ça nous unit. C'est la beauté du sport. Faire réaliser à des gens qui vivent en étrangers, au même endroit, qu'ils sont semblables, qu'ils font partie de la même famille. Qu'ils habitent la même maison, le même pays. Allez, notre sœur Vicky ! On brandit nos pancartes. Et Vicky y va. Pas à peu près. Elle remporte la deuxième manche 6 à 4. Tout se décidera lors de la troisième. Naomi Osaka semble ébranlée. Elle ne s'attendait pas à une telle opposition de son adversaire. Et en plus, le troisième joueur (le public) la déstabilise. À Montréal, normalement, la foule l'appuie. Mais pas cette fois. La nôtre d'abord. L'ultime manche est quelque chose de plus en plus répandu dans notre belle ville. Non pas un nid-de-poule, mais plutôt un sens unique. Mboko domine sa rivale. Tellement que je n'arrête pas de me dire : « Ça se peut pas. Ça se peut pas. » Point de match. Réussi. Vicky tombe à genoux. Ben oui, ça se peut ! Victoire, Victoria ! On exulte de joie. L'arbitre brésilienne ne peut plus nous rappeler à l'ordre. C'est l'ovation. Digne d'une Coupe Stanley. Quelle histoire ! Un conte de fées. Ou plutôt un conte de filles. C'est l'un des agréables constats de ces derniers jours. Le tennis féminin a complètement éclipsé le tennis masculin. Personne ne se demande ce qui se passe à Toronto, au même moment. On n'en a que pour les dames. Ce qui prouve que le sport féminin peut autant, et parfois plus, nous emballer que son pendant masculin. Je souhaite aux hockey, soccer et basket féminins d'atteindre ce degré de popularité. Vicky est en train de parler au monde, avec toute la franchise, la gentillesse, l'humilité et l'intelligence dont elle a fait preuve durant tout le tournoi. Ce n'est pas une one-hit wonder que nous avons devant nous. Cette femme est solide. Tant face à l'adversité que face au succès. Elle ira loin. Elle est déjà rendue plus loin qu'aucune joueuse canadienne de 18 ans ne s'est rendue. Dix-huit ans ! C'est hallucinant. PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE Victoria Mboko célèbre sa victoire, jeudi. Marc et moi saluons nos amis d'un soir, assis à A3 et A4. On prend une grande respiration. C'est bon. La brise du soir souffle sur l'enceinte. Rafraîchissante comme notre nouvelle idole. Je la regarde prendre soin de tous les fans qui l'entourent. Brillante comme la lune qui est arrivée à temps pour la dernière manche. Je me sens privilégié d'être là. On parlera longtemps de cet évènement, et chaque fois, je pourrai dire : « J'étais là. » Oui, j'étais là. Comme des milliers de chanceux. Les autres y étaient aussi, à leur façon. Devant leurs écrans ou en pensée. Là avec elle, que nous ne connaissions pas, ou à peine, il y a deux semaines. Avec elle, qui a gagné. Déjà et maintenant. « J'aime Montréal ! », dit Vicky. Montréal l'aime aussi. Le M dans Mboko, c'est pour « Montréal ». Le M dans Mboko, c'est pour « aime », aussi. Que vous soyez un Déry, un Smith, un Laferrière, un Rossi, un Ibrahim, un Wang, on est tous des Mdéry, Msmith, Mlaferrière, Mrossi, Mibrahim ou Mwang, aujourd'hui. Signé Mlaporte.