
Des centaines de ménages toujours sans logement permanent
Un mois après la frénésie des déménagements, 1727 ménages québécois sont encore accompagnés activement par un service d'aide au relogement – un peu moins qu'au 1er juillet, où l'on en comptait environ 2000. Cette catégorie inclut les ménages en hébergement temporaire (chez des proches ou à l'hôtel) ainsi que ceux qui sont suivis de près par les intervenants.
Selon la Société d'habitation du Québec (SHQ), tous ne sont pas techniquement « sans logement ». Certains cherchent simplement un appartement mieux adapté ou plus abordable. Mais pour ceux qui se retrouvent sans bail, la situation est critique.
Parmi eux, on retrouve aussi des sinistrés ayant perdu leur logement à la suite d'incendies ou d'inondations. Mais d'autres cas se retrouvent cependant sous le radar : certaines personnes vivent en camping ou en véhicule récréatif en attendant de faire des demandes d'aide à la rentrée scolaire.
À Montréal, 323 ménages étaient encore, au début d'août, accompagnés ou hébergés temporairement par l'Office municipal d'habitation (OMHM). « Ce sont des ménages qui sont soit accompagnés, soit en hébergement temporaire avec nous, explique Isabelle Girard-Fortier, directrice du Service de référence de l'OMHM. Ça inclut les ménages sinistrés évacués en plus des ménages du premier juillet. »
Pression persistante à Montréal
Depuis le début de l'année, 10 480 ménages québécois ont demandé l'aide des services de relogement, soit une baisse d'environ 8 % par rapport aux 11 369 demandes enregistrées à pareille date en 2024. Le taux de résolution s'est amélioré avec 82 % des demandes réglées cette année, contre 76 % l'an dernier.
La métropole a enregistré 1337 demandes depuis le début de l'année, soit 33 de plus qu'en 2024. Cette hausse reste modeste, mais elle illustre que la pression demeure forte.
Cette année, on a remarqué que nos services sont mieux connus. Les gens qui sont orientés chez nous cadrent davantage avec dans notre offre de service et se trouvent souvent dans une situation qui se qualifie pour notre accompagnement.
Isabelle Girard-Fortier, directrice du Service de référence de l'OMHM
Elle note aussi que les demandes sont désormais plus étalées dans le temps. « Il y a quelques années, on voyait un gros pic en juin, juillet et début août. Maintenant, les gens nous contactent toute l'année. Nous avons eu des accompagnements dès janvier et février. »
Selon elle, la meilleure chose à faire est de demander de l'aide le plus tôt possible pour permettre aux équipes d'analyser rapidement les dossiers et trouver des solutions.
Tout citoyen qui a besoin d'aide pour se reloger peut faire appel à l'un des 40 services d'aide à la recherche de logement partout au Québec. Les lignes téléphoniques 311 pour Montréal et 211 pour le Grand Montréal sont aussi disponibles.
Le FRAPRU réclame un plan structurant
Pour Véronique Laflamme, porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), la baisse des demandes provinciales ne doit pas être interprétée comme un signe d'amélioration durable.
Elle explique qu'au fil des dernières années, le nombre de ménages en recherche de logement au 1er août est presque aussi élevé qu'au 1er juillet. « Beaucoup de gens sont chez des proches, des aînés qui sont chez leurs enfants, certains qui peuvent être en camping… Donc des gens qui sont dans des plans B », explique la porte-parole de la FRAPRU.
« La plupart sont dans des situations d'hébergement temporaire. On peut dire qu'ils sont sans logis, sans logement permanent. »
Elle ajoute que le problème peut être encore plus grand. En fait, plusieurs ne font jamais de demandes d'aide et ne sont donc pas comptabilisés dans les chiffres.
Ces situations ne doivent pas être banalisées, estime Mme Laflamme. « Il ne faut pas s'habituer à voir des centaines de ménages sans logement permanent, que ce soit en juillet, en août ou en septembre. »
L'OMHM prévoit devoir accompagner plusieurs ménages bien au-delà de l'été. Les évictions pour rénovations majeures, les reprises de logement et les hausses de loyer pourraient faire grimper les demandes d'aide en septembre et octobre.
« On fait toujours une analyse en détail de la situation de chaque ménage qu'on accompagne, mais le plus tôt on peut le faire, le plus facile, c'est pour nous de trouver des solutions avec eux », explique Mme Girard-Fortier.
« On espère que la crise du logement va être une réelle priorité de la rentrée parlementaire un an avant les prochaines élections provinciales », souhaite Mme Laflamme.
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Pas toujours facile, pédaler en cohabitation
Tronçon du REV Saint-Denis à la hauteur de la rue des Carrières Sur le REV Saint-Denis, on dénombre environ 490 000 passages cyclistes à la hauteur de la rue Rachel. Une file d'attente s'est créée sur la piste cyclable de la rue Berri au coin du boulevard De Maisonneuve. Tronçon du REV Saint-Denis à la hauteur de la rue des Carrières Les pistes cyclables montréalaises débordent de plus en plus d'usagers. Et plus elles se remplissent, plus les frictions augmentent. Sur la piste du pont Jacques‑Cartier, cyclistes, piétons et trottinettes se frôlent souvent de très près. François Démontagne, un cycliste qui effectue le trajet entre Montréal et Longueuil trois à quatre fois par semaine, a été témoin il y a trois semaines d'un énième dépassement dangereux effectué à vélo électrique. « La présence de vélos électriques est problématique », estime-t-il. Même son de cloche du côté de Jude Faf‑Larose, une cycliste. Les tensions viennent surtout des manœuvres risquées, remarque-t-elle. « Il m'arrive souvent d'être confrontée à des dépassements dangereux de cyclistes très rapides ou d'utilisateurs de trottinettes et gyroroues [monocycles électriques], même lorsqu'un autre usager arrive en sens inverse, raconte-t-elle. Un espace censé être sûr se transforme en lieu de tensions. » « Depuis deux décennies, on constate une augmentation de l'achalandage vélo », observe Jean-François Rheault, PDG de Vélo Québec. PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE Le PDG de Vélo Québec, Jean-François Rheault La croissance de la pratique va plus rapidement que la croissance du réseau. Jean-François Rheault, PDG de Vélo Québec Ce constat résonne particulièrement sur certains axes très fréquentés comme le Réseau express vélo (REV) Saint-Denis, où les pointes estivales dépassent les 10 000 passages par jour. Sur les pistes cyclables montréalaises, la cohabitation n'implique plus seulement les cyclistes traditionnels. Cette diversité grandissante des usages complexifie la cohabitation. Outre des vélos traditionnels, on retrouve des vélos à assistance électrique, des trottinettes, des gyroroues et des piétons, dont les vitesses et comportements variés compliquent le partage de l'espace. Avec un tel volume d'usagers, les pistes ne sont pas toutes adaptées aux dépassements. « C'est vraiment avec des aménagements de qualité qu'on sera en mesure de bien traiter la cohabitation », croit le PDG de Vélo Québec. Il évoque l'exemple des arrêts d'autobus modernes qui ont des zones clairement aménagées pour faciliter les traversées piétonnes. C'est aussi ce que constate le cycliste utilitaire Anh Khoi Do. Selon lui, la cohabitation se passe généralement bien, si bien qu'il remarque une diminution des incivilités des automobilistes. « Le vrai problème, c'est les piétons qui marchent sur la piste cyclable du REV des rues Saint‑Denis et Saint‑Antoine comme s'il s'agissait d'un prolongement du trottoir, estime-t-il. Ces piétons irrespectueux ignorent que beaucoup de cyclistes utilitaires cherchent également à améliorer le potentiel piétonnier de Montréal. » Sommet de fréquentation Selon les données compilées par Eco-Compteur, la fréquentation atteint des sommets intéressants sur les pistes cyclables montréalaises. Pour les mois de juin et juillet, on a dénombré 4 986 165 passages de tous types sur l'ensemble du réseau de Montréal, soit environ 168 000 passages de plus que cette même période en 2024. Sur le REV Saint-Denis, on dénombre environ 495 000 passages cyclistes à la hauteur de la rue des Carrières et 490 000 à la hauteur de la rue Rachel. Des augmentations respectives d'environ 8 % et 21 % par rapport à l'an dernier. « Il faut continuer de développer les réseaux, indique Jean-François Rheault. Il y a des choses qui avancent, mais c'est sûr que ça pourrait aller plus vite. » Cette hausse de fréquentation s'explique par plusieurs facteurs, indique-t-il. Un réseau plus sécuritaire grâce aux aménagements du REV, l'attrait du vélo comme mode de transport rapide et économique, mais aussi la grève de la STM, qui a forcé de nombreux usagers à opter pour un nouveau mode de transport. La sécurité à vélo, un sport d'équipe La Ville de Montréal affirme que la sécurité des usagers vulnérables, en particulier les piétons et les cyclistes, est au cœur de ses priorités. Le plan d'action Vision Zéro vise un bilan de zéro décès et blessé grave sur le réseau d'ici 2040, un objectif appuyé par les projets de réaménagement. « Lorsque la Ville entreprend le réaménagement d'une rue, elle le fait désormais en ayant comme objectif que tous les usagers puissent se partager l'espace en toute sécurité », indique par courriel Hugo Bourgoin, relationniste aux affaires publiques de la Ville. L'aménagement du REV sur la rue Saint‑Denis a notamment permis de sécuriser des points noirs, comme le viaduc des Carrières, autrefois redouté des cyclistes. De son côté, le SPVM rappelle que les comportements à risque existent sur toutes les voies, qu'il s'agisse de routes, de trottoirs ou de pistes cyclables. « Le non-respect des priorités ou des espaces réservés à chaque type d'usager peut compromettre la sécurité de l'ensemble des personnes circulant sur le réseau routier », signale le corps policier. Pour Vélo Québec, améliorer cette cohabitation passera aussi par un changement de culture. « Il faut vraiment s'améliorer sur le respect de la priorité piétonne. C'est ce qui va donner plus de confort aux piétons », estime Jean‑François Rheault. Avec un achalandage en hausse, chaque coup de pédale exige plus de vigilance. Cyclistes, piétons, automobilistes et autorités devront avancer dans la même direction afin de cohabiter de manière sûre. « Quand les gens choisissent le vélo, c'est bon pour leur santé, c'est bon pour l'environnement, c'est bon pour la ville et c'est aussi bon pour les automobilistes. Plus il y a de gens qui se déplacent à vélo, moins il y a de gens qui se déplacent en voiture », résume Jean‑François Rheault.


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« À la maison des jeunes, j'ai trouvé une famille »
Des jeunes accompagnés de la coordonnatrice Jasmyne Pierre-Blanc jouent à des jeux de société à la maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord. Une bonne partie du scénario de Watatatow, téléroman jeunesse des années 1990, s'articulait autour des maisons des jeunes. Où en sont-elles aujourd'hui ? Existent-elles toujours ? Oh, que oui, et elles sont peut-être plus centrales que jamais dans la vie de milliers de jeunes sur lesquels un regard bienveillant et protecteur est posé. Il est 10 h, et depuis deux heures déjà, une dizaine d'adolescents s'affairent derrière les fourneaux. Les saucisses en pâte et les fondants au fromage vont rejoindre sur la grande table de victuailles les brochettes de fruits frais et les desserts tout chauds. Plein de nourriture, de la bonne musique : c'est jour de fête à la maison des jeunes L'escalier, à Lachine, où l'on inaugure, au sous-sol, des cuisines collectives. « Au début, ils y allaient un peu fort sur le sel, on n'est jamais certain que ça va être très bon, mais c'est tellement beau de les voir tisser des liens et travailler en équipe ! », lance en riant Jordy Bélance, l'un des coordonnateurs de l'endroit. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE C'est jour d'inauguration de la cuisine collective de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine. Conformément à la philosophie des maisons des jeunes, les adolescents ont été consultés dès le début dans la conception de la nouvelle cuisine, financée par les épiceries Metro et avec la collaboration des Banques alimentaires du Québec. « Une chef cuisinière travaille ici pendant la journée et des aînés du quartier viennent transmettre leur savoir-faire et leurs recettes, explique Christelle Onomo Lopes, directrice générale de la maison des jeunes de Lachine. On avait des jeunes qui ne savaient même pas peler une pomme ! On leur apprend aussi à gérer l'épicerie, à faire à manger en utilisant bien les restes. » PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Christelle Onomo Lopes, directrice générale de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine Ils apprennent à cuisiner pour devenir autonomes, mais au détour, explique Mme Onomo Lopes, quelques vocations jaillissent. Certains envisagent d'en faire un métier et cette cuisine – qui est utilisée depuis quelques mois, avant l'inauguration officielle – leur offre une première expérience de travail. De la bibliothèque... aux Jeux olympiques L'une des plus à l'aise en cuisine, c'est Afi Adjavon. gée de 18 ans, elle est arrivée au Québec depuis le Togo à la toute fin de l'automne 2021. Le premier hiver, dit-elle, elle allait à l'école et nulle part ailleurs. Tétanisée par l'hiver. Et à l'école, « je ne faisais qu'aller à la bibliothèque, j'étais maladivement timide ! » C'est Wilfried Edou, qui fréquentait la même école secondaire qu'elle, qui lui a suggéré d'aller faire un tour à la maison des jeunes où lui-même, très impliqué, s'est vu confier le rôle de coordonnateur des programmes sportifs. « L'accueil que j'ai reçu a été formidable. À la maison des jeunes de Lachine, j'ai trouvé une famille », dit aujourd'hui Afi. Et c'est comme ça… qu'elle est allée aux Jeux olympiques de Paris, lance Afi. Aux Jeux olympiques ? PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Afi Adjavob et Wilfried Edou, de la maison des jeunes L'escalier, à Lachine La directrice, Christelle Onomo Lopes, n'en avait rien dit aux jeunes. Issue d'une famille de sportifs et déterminée à faire bouger les jeunes qu'elle trouve vraiment trop inactifs, elle les a poussés à participer à des olympiades en leur disant que les grands gagnants des compétitions gagneraient « un gros, gros truc ». Ils n'auraient pas pu imaginer à quel point ce truc allait être vraiment très gros : un voyage à Paris pour assister aux Jeux olympiques, l'an dernier. « Je suis originaire de France, j'ai un gros réseau là-bas et j'ai mis tout le monde à contribution. On a trouvé des commanditaires, puis des billets moins chers pour les compétitions de basket, de soccer et de boxe, on a réservé des auberges de jeunesse à deux pas de la Bastille… », explique Mme Onomo Lopes. Des campagnes de financement à grands coups de vente de limonade et de hot-dogs ont fait le reste. Et c'est ainsi que huit jeunes se sont envolés pour Paris. Afi Adjavon n'y était jamais allée. Et plus que la ville, ce qui l'a émue, c'est d'assister à la cérémonie de remise de médailles. « C'était tellement touchant ! J'en ai pleuré ! » La maison des jeunes de Montréal-Nord, comme une respiration La maison des jeunes de Montréal-Nord est elle aussi très fréquentée : environ 200 jeunes y passent dans l'année, avec un noyau dur de 40 jeunes qui viennent sur une base très régulière. On y vient pour « chiller » – il y a des sofas, un piano électrique, des ordinateurs, un vélo stationnaire, des jeux de toutes sortes –, pour passer du temps entre jeunes, pour être aidé dans ses devoirs. « Hier, une mère est passée me remercier en personne tellement elle était contente de la réussite de sa fille, c'était touchant », lance Sheilla Fortuné, directrice de la maison des jeunes de Montréal-Nord. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE La maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord « Nous recevons beaucoup de reconnaissance des jeunes et de leurs parents. On les aide avec la grammaire, les maths, leurs présentations orales », dit-elle. Comme beaucoup d'immigrants récents habitent dans le quartier, « on donne aussi un coup de main aux parents et aux jeunes avec les formulaires d'école de toutes sortes », relève Jasmyne Pierre-Blanc, coordonnatrice et intervenante psychosociale. Marie Oulaï, 19 ans, parle de l'endroit comme d'une vraie bouée de sauvetage. Arrivée de la Côte d'Ivoire avec sa mère il y a deux ans, elle s'ennuyait à fond, chez elle. Et elle était en colère, dit-elle. « J'ai souffert de l'absence de mon père, qui est resté en Côte d'Ivoire. Je n'ai même pas pu lui dire au revoir quand on est partis, il était dans une autre ville. » PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Marie Oulaï, une jeune qui fréquente la maison des jeunes L'ouverture, dans Montréal-Nord À la maison des jeunes, dit-elle, elle est la grande pro de la cuisine. Elle y a aussi découvert le slam, qui l'a aidée à chasser sa tristesse, dit-elle. « Je suis venue ici chaque jour, chaque saison, c'était une échappatoire pour moi. C'est ici, aussi, que j'ai touché à de la peinture pour la première fois ! » À Lachine comme à Montréal-Nord, toutes sortes d'ateliers sont proposés aux jeunes : sur l'intimidation, l'exploitation sexuelle, les réseaux sociaux, la confiance en soi, l'hygiène, etc. Jasmyne Pierre-Blanc, coordonnatrice, se dit touchée par le parcours de chacun des jeunes. « Je viens moi-même de Montréal-Nord. Je suis née ici, de parents haïtiens, j'ai vécu ce qu'ils vivent et le parcours de chacun me touche vraiment. Pour eux, notre maison des jeunes, c'est leur deuxième maison. »


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Le nouveau chic du vin se trouve-t-il en épicerie ?
Le nouveau chic du vin se trouve-t-il en épicerie ? Cet été, nos journalistes passent chaque semaine un moment en terrasse avec une personnalité pour une discussion conviviale. Stéphanie Bérubé s'est attablée avec la sommelière, conférencière et entrepreneure Jessica Harnois. Au menu de cet échange : rien de moins que l'avenir du vin. Les ventes de vins baissent à la Société des alcools du Québec (SAQ), ce qui suit une diminution de notre consommation d'alcool. En épicerie et ailleurs à l'extérieur des succursales du monopole, cependant, on note généralement que les ventes de vin augmentent ou sont stables. Il y a assurément un côté pratique à mettre une bouteille de rosé dans le panier, entre le brocoli et les pâtes. Mais il n'y a pas que ça. Il y a neuf ans, Jessica Harnois a choisi de passer du côté populaire du vin en fondant la maison Bù. Sa collection comprend maintenant une vingtaine de cuvées vendues en épicerie, en dépanneur et même chez Costco, où elle offre un grüner veltliner hongrois en exclusivité. L'entrepreneure, qui se rend parfois sur place pour jaser avec les clients et leur faire goûter son petit blanc, se félicite du succès de sa cuvée que plusieurs achètent à la caisse. Pensais-tu que tu vendrais un jour des caisses de vin chez Costco ? « Jamais de ma sainte vie ! », lance Jessica Harnois, en ce bel après-midi de juin, sur la terrasse du restaurant de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), où elle vient de donner un atelier. Tout le monde la connaît ici. On l'appelle Jess par-ci, par-là. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Jessica Harnois et notre journaliste Jessica Harnois est une habile communicatrice. Sa carrière de chroniqueuse dans les médias en est la preuve. Pour notre rencontre, elle s'était préparée ; elle est éloquente et utilise fréquemment des analogies pour s'assurer que l'on comprend bien son propos, le monde du vin pouvant être complexe. Même si le thème de départ était les snobismes dans cet univers, elle a réussi à faire un détour par Jésus et la Mésopotamie pour établir l'origine du vin. Cela étant clair, on pouvait s'attaquer à quelques enjeux plus actuels. Boire moins La hausse de la popularité des produits sans alcool, notamment. « Il y a toujours un rééquilibre après un déséquilibre », dit celle qui y voit un lien avec les années pandémiques où une partie de la population a consommé plus qu'à son habitude. Ce ressac vient avec une envie de prendre soin de soi, notamment en buvant moins. De là à dire qu'il s'agit d'un mouvement de fond, Jessica Harnois est prudente. « Ce que je peux te dire, c'est que c'est très court comme laps de temps [pour analyser la situation]. Et qu'on s'excite très vite… » Sa prudence, explique-t-elle, tient du fait que dans le vin, comme dans la mode, les tendances sont parfois fulgurantes. Puis s'essoufflent. Elle donne en exemple les prêts-à-boire dont on nous inonde jusqu'à plus soif ou le vin orange qui aura été une mode somme toute éphémère. Bien qu'il provienne de la région de la Mésopotamie – de la Géorgie, pour être plus précise… « J'espère que c'est là pour rester », dit toutefois celle qui s'apprête à ajouter un vin sans alcool à sa gamme, un produit obtenu grâce au procédé d'osmose inversé qui répond à ses critères de qualité. Le vin sans alcool est le maillon faible des boissons faibles en alcool, qu'on retrouve désormais partout, y compris à la SAQ. Plusieurs observateurs et acteurs du milieu se demandent d'ailleurs si c'est bien dans le mandat de la société d'État de sauter dans ce créneau. Qu'en pense-t-elle ? Jessica Harnois réfléchit à voix haute. « Est-ce que c'est le mandat de la SAQ ? Clairement non. Est-ce qu'il y a d'autres points de vente ? Clairement oui. » « Je ne crois pas que la SAQ va devenir un magasin de sans-alcool, dit-elle aussi. Il faut doser dans la vie. » « S-A-Q, épelle-t-elle. Société des alcools du Québec. Si on garde ça simple et mathématique, ils devraient vendre quoi ? De l'alcool. Mais le non-alcoolisé, ça n'est pas du jus. Ça entre entre deux catégories. C'est une zone grise. » Selon elle, l'offre de boissons de moins de 0,5 % d'alcool peut entrer dans le mandat de consommation responsable du monopole d'État, et ça peut être un produit d'appel pour sa clientèle. Tout cela étant dit, le rôle de la SAQ est lui-même en évolution. « Je vois la SAQ comme un caviste, un expert en vin », dit celle dont les vins en sont exclus –, la réglementation québécoise exige que les vins destinés au réseau « alimentation » soient embouteillés ici. On les retrouve rarement à la fois à la SAQ et en épicerie ; ils sont aussi rares sur les cartes de restaurants – bien que cela soit permis. Au restaurant de l'ITHQ, point de Bù, donc. Nous avons opté pour un rosé québécois de Pigeon Hill qui avait beaucoup de fraîcheur et de mordant. Le genre de palette qui ne correspond pas à la gamme de Bù. Jessica Harnois fait un vin « pour tous ». « Des gens viennent me voir et me disent : merci de me faire des bons vins de dépanneur. Ça me dépanne… » Avis à ces gens : ça n'est pas un compliment pour la principale intéressée. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Jessica Harnois La culture du vin d'épicerie est loin d'être ce qu'elle est en France ou même aux États-Unis, explique-t-elle. Mais les choses changent. Les ventes de vin d'épicerie progressent. Depuis sa création en 2016, Bù a vendu plus de 25 millions de bouteilles au Canada, nous a indiqué l'embouteilleur Arterra, partenaire d'affaires de Jessica Harnois dans cette aventure fructueuse. Une bouteille de vin (750 ml) sur quatre achetée en marché d'alimentation au Québec est un Bù. En plus du côté pratique de l'achat, on peut penser que la multiplication de l'offre et des bouteilles endossées par des personnalités – comme Stefano Faita – convaincra une partie de la population qu'il y a moyen d'y trouver un bon vin. « J'ai confiance. Les Québécois sont ouverts d'esprit. » Un vin plus vert Et puis vient cet argument, nouveau, qui fait vibrer les consommateurs préférant acheter des produits plus écoresponsables, lorsqu'on leur en donne le choix. Ses vins arrivent ici en vrac, dans d'immenses conteneurs, et sont embouteillés à Rougemont, par Arterra. De plus en plus, on comprend qu'un vin qui a fait le voyage dans des bouteilles a une empreinte environnementale plus lourde que celui qui est arrivé en vrac. « Quand les gens savent que c'est mieux pour l'environnement, ils sont contents », dit Jessica Harnois. PHOTO ÉDOUARD DESROCHES, LA PRESSE Jessica Harnois et notre journaliste Surtout quand on n'a pas à se casser la tête, à faire le calcul de l'impact de son achat un mercredi soir à l'épicerie. On aime les achats verts vite faits, bien faits. C'est le nouveau chic. Reste la question du snobisme… Est-ce que je peux apporter une bouteille de Bù chez des amis ? Là-dessus, aucune tergiversation. L'entrepreneure lance un « oui » bien senti, mais comprend toutefois très bien le sens de la question pour avoir affronté moult préjugés lorsqu'elle s'est lancée dans l'importation de vin de volume, elle qui a travaillé dans la restauration haut de gamme et à la SAQ, où elle était acheteuse des vins de prestige et chargée des achats du Courrier vinicole, de SAQ Signature et de la Cave de garde. « On m'a dit : 'Jess, tu achètes des grands vins, ne va pas perdre ton temps à salir ton nom en épicerie, relate-t-elle. Le monde boit de la sangria !' » Elle n'a pas suivi le conseil – plus méprisant que snob, disons-le. Je démocratise le vin […]. Ensuite, c'est un style. Que tu l'aimes, que tu ne l'aimes pas, c'est autre chose. Jessica Harnois « Il faut trouver son environnement, un endroit où on se trouve bien », dit aussi Jessica Harnois, qui croit que dans le vin, le consommateur veut parfois appartenir à un groupe et fait ses choix plus en lien avec ce besoin qu'avec ses goûts. « Il y a de grosses tendances qui sont pesantes, mais tu dois trouver ton créneau et te faire confiance ou faire confiance à quelqu'un. À partir de là… on s'en tape de ce que le monde pense ! » Questionnaire estival À quoi ressemble ton été idéal ? On dit que le temps, c'est de l'argent… Moi, je veux être riche en moments. Cet été, je mise tout sur les instants précieux avec mon amoureux, ma fille, ma famille et mes amis. Le vrai luxe ? Du temps de qualité, sans agenda ni stress, juste du bonheur à l'état pur. Plage ou montagne ? J'aime la plage… mais j'adore la montagne ! Marcher en forêt avec mon beau Tokyo (mon samoyède), pagayer en paddle board sur un lac tranquille, c'est là que je me ressource vraiment. Un livre à lire absolument cet été Je reviens toujours à L'alchimiste de Paulo Coelho, une boussole pour l'âme. Et Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa m'a chavirée (merci à ma meilleure amie Kath). Deux essentiels à glisser dans le sac de plage (ou de rando !).