
Le stand-up français prend des dimensions de ouf
Le triste hasard aura voulu que ce soit au lendemain de la mort de l'humoriste français Bun Hay Mean que nous joignions au téléphone son camarade Jarry, d'une compréhensible fragilité au moment de parler de son ami. « Quand j'ai vu Bun pour la dernière fois, il y a dix jours, il me disait à quel point cette période lui manquait. »
Quelle période ? Celle durant laquelle les deux potes ont fait leurs classes en tant que comiques, dans les soirées d'humour de la métropole française, qui commençaient à bourgeonner. « Il y avait quoi, trois endroits où on pouvait tester nos sketches à Paris ? On était payés au chapeau et quand on partait avec 15 euros chacun, on était tellement contents. »
C'était au début de la décennie 2010, alors que frémissait avec de plus en plus d'ardeur un bouillonnement qui n'a pas cessé depuis autour des « standupeurs », comme on dit dans les coulisses du Zénith de Paris.
« Ruée inédite sur les shows d'humour », titrait en janvier 2024 Le Parisien. « Aujourd'hui, le stand-up représente 80 à 90 % du marché de l'humour », note dans ce même article Pierre-Louis Malinet, responsable produits humour de France Billet, au sujet de cette génération pour qui David Chappelle est une référence beaucoup plus prégnante que celle de quiconque préférait obéir à un quatrième mur plutôt que d'échanger directement avec son public.
Une génération à laquelle l'édition montréalaise de Juste pour rire fait la part belle. Entre Elena Nagapetyan, Caroline Vigneaux, Tom Baldetti, Waly Dia, David Voison et Thomas Angelvy, les Français n'y ont pas été aussi nombreux depuis la fin du règne de Gilbert Rozon.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Josée Charland, cheffe de programmation de Juste pour rire
« Ce qu'il y a derrière ce phénomène, c'est l'influence des plateformes comme Netflix, Prime et compagnie, avec lesquelles le stand-up américain est soudainement accessible à tous », observe Josée Charland, cheffe de programmation de Juste pour rire.
C'est un style qu'on a adopté peut-être un peu plus rapidement ici au Québec que chez les Français, qui avaient une tradition plus forte de la théâtralité, même en humour.
Josée Charland, cheffe de programmation de Juste pour rire
Comme un refuge
Laurie Peret, qui vient présenter à Montréal les 17 et 18 juillet son deuxième spectacle, À bientôt quelque part, évoque quant à elle l'influence d'autres plateformes, celles des réseaux sociaux. TikTok, Instagram et Facebook contribuent en bonne partie à ce que des humoristes européens puissent remplir l'Olympia de Montréal une fois (comme Paul Mirabel en juin dernier, en vue de son retour au Centre Vidéotron et à la Place Bell en avril 2026), deux fois (comme Laura Laune en novembre dernier) ou même trois fois (comme Nawell Madani, en septembre prochain).
« Comme ce sont des artistes internationaux, il y a un côté un peu plus exclusif qu'avec des artistes locaux », fait valoir pour sa part Adrien Orlowski, fondateur de Singular Agency, la boîte qui, depuis trois ans, invite au Québec plusieurs de ces humoristes francophones d'Europe ou du Maghreb. « Ça génère tout de suite un engouement, parce que ça devient plus événementiel. Et puis il y a à Montréal un bassin d'immigrants qui constitue une bonne base. »
C'est un numéro viral sur son accouchement qui aura mis la table pour Laurie Peret à son premier seule-en-scène, étrenné dans de petits lieux comme La Nouvelle Seine, un cabaret situé dans une péniche. Elle nourrissait pourtant des ambitions de chanteuse, avant de participer en 2015 à un concours d'humour, auquel une amie lui avait suggéré de s'inscrire.
« L'humour avait toujours été pour moi une soupape, par rapport à mon apparence qui m'a longtemps complexée, sans jamais pourtant que je pense à en faire une carrière, confie-t-elle. Ce que j'ai trouvé dans les comedy clubs, c'est un refuge, un endroit où enfin être moi-même. »
Une rare proximité
Comment expliquer une telle effervescence ? Nordine Ganso, 28 ans, qui donnera mercredi et dimanche à l'Olympia son spectacle Violet, vante l'accessibilité d'une forme d'art où la proximité avec le performeur prime.
« Le stand-up à Paris, ça a pris une dimension de ouf », dit-il en rappelant l'influence d'une émission comme le Jamel Comedy Club, diffusée de 2006 à 2016. Jamel Debouzze et sa troupe seront d'ailleurs aussi de cette édition de Juste pour rire, les 16 et 17 juillet, à l'Olympia.
Le stand-up a un tel succès parce que les gens aiment bien les choses simples, sincères. Le stand-up, c'est l'honnêteté pure.
L'humoriste Nordine Ganso
Jarry pousse l'analyse sociopolitique un peu plus loin. « Je pense qu'en France, on est dans un climat plutôt anxiogène », suggère celui qui participera samedi au Gala de la francophonie animé par Mehdi Bousaidan.
« Les gens, présentement, ont besoin d'énergie et de courage. Ils ont besoin de sentir pendant quelques instants que rien n'est grave, dit-il. Et je pense que l'humour peut leur donner la force d'être qui ils sont, de croire en leurs rêves. L'humour, c'est un outil de paix, d'amour et de vivre ensemble. »
Qualité comparable
L'humoriste québécois Colin Boudrias, qui a effectué trois séjours en Europe à partir de 2023, a pu constater de visu que le buzz (!) autour du stand-up est bien réel. « J'avais entendu dire que le niveau n'était vraiment pas comparable avec le Québec, mais ce sont de vieux préjugés, souligne-t-il. Le niveau est similaire à chez nous. Je pense que les humoristes ont compris que dans un contexte où il y a beaucoup d'offre, l'important, c'est de sortir du lot, de trouver son originalité. »
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE
L'humoriste québécois Colin Boudrias
« La seule différence que je perçois encore quand je vais dans les comedy clubs à Paris, c'est au plan de l'écriture », ajoute Josée Charland, en précisant ne pas vouloir généraliser indûment. « Le rythme, ça, ils l'ont, ça va, mais les jeunes humoristes émergents mettent un peu plus de temps à arriver à maturité côté écriture, parce qu'il n'y a pas à Paris d'équivalent à l'École nationale de l'humour. »
Dans un contexte de surexposition de bien des humoristes québécois, Josée Charland estime, à l'instar d'Adrien Orlowski, que l'effet de rareté n'est pas sans lien avec le succès de leurs homologues français en visite à Montréal ou à Québec.
La forte présence européenne dans la programmation de Juste pour rire à Montréal permet aussi à l'entreprise de bien camper l'identité distincte de ses deux festivals.
L'édition de Québec de Juste pour rire, anciennement le ComediHa! Fest Québec, continuera de miser sur ses valeurs sûres comme les galas et ses grands bien-cuits, mettant en vedette des artistes d'ici.
« On ne s'en est pas caché, conclut Josée Charland. On veut que Montréal redevienne la plaque tournante mondiale de l'humour et cette internationalisation-là est impossible sans l'apport de la francophonie. »
Juste pour rire Montréal se tient du 16 au 27 juillet.
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Et j'ai envie que les gens aiment ça. Je trouve ça dur quand ce n'est pas regardé, quand on n'en parle pas ou quand je lis quelque chose de négatif. J'ai un désir de réussite, mais je n'ai pas un désir de célébrité. » Malgré l'appel des sirènes hollywoodiennes et européennes – il a passé beaucoup de temps à Paris depuis trois ans, même si la plupart des scénarios qu'on lui propose sont américains –, Théodore Pellerin a toujours envie de faire sa marque dans le cinéma, la télévision et le théâtre québécois. Comme acteur et, pourquoi pas un jour, à titre de metteur en scène. « J'habite ici et j'ai quand même un désir très égoïste de jouer dans ma langue, avec mon accent. C'est moi qui ai demandé à jouer dans Complètement lycée et j'étais très heureux qu'on m'ouvre la porte ! J'ai envie de participer à la culture québécoise. Je suis bien chez moi. » Qu'en pensez-vous ? Exprimez votre opinion