
Moscou dit avoir besoin de « temps » face à l'ultimatum de Trump
(Moscou) Le Kremlin a dit mardi rester prêt à négocier avec l'Ukraine tout en précisant avoir besoin de « temps » pour répondre aux déclarations « très sérieuses » du président américain Donald Trump, qui a donné 50 jours à la Russie pour mettre fin au conflit.
Agence France-Presse
Lundi, Donald Trump a promis de nouvelles livraisons d'armement pour l'Ukraine et posé un ultimatum à Moscou pour mettre fin à son offensive en Ukraine, lancée en 2022, sous peine de sanctions sévères.
« Les déclarations du président Trump sont très sérieuses. Nous avons bien sûr besoin de temps pour analyser ce qui a été dit à Washington et si ou quand le président Poutine le jugera nécessaire, il commentera », a répondu mardi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
« Il semble que cette décision prise à Washington, dans les pays de l'OTAN et directement à Bruxelles sera perçue par Kyiv non comme un signal en faveur de la paix, mais comme un signal pour poursuivre la guerre », a-t-il critiqué lors de son breffage quotidien, auquel participait l'AFP.
Dmitri Peskov a affirmé que la Russie attendait « des propositions de la partie ukrainienne » concernant une troisième ronde de négociations, après deux sessions peu fructueuses à Istanbul. « Nous restons prêts », a-t-il dit.
Les dates du troisième cycle de pourparlers n'ont pas été fixées pour l'instant.
La Russie, qui a déclenché il y a plus de trois ans une offensive massive en Ukraine, a rejeté toute trêve prolongée, qui permettrait selon elle aux forces ukrainiennes de se réarmer.
Moscou exige notamment que l'Ukraine lui cède quatre régions, en plus de la péninsule de Crimée annexée en 2014, et que Kyiv renonce à rejoindre l'OTAN.
Inacceptable pour Kyiv qui réclame, avec ses alliés européens, une trêve sans condition de 30 jours avant des négociations de paix avec Moscou et veut que l'armée russe se retire entièrement de son territoire.
« Déçu »
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier, Donald Trump a essayé de pousser Moscou et Kyiv à mettre fin au conflit, notamment en se rapprochant de Vladimir Poutine dont il se dit désormais « déçu ».
« Je pensais que nous aurions un accord il y a deux mois, mais ça ne semble pas se concrétiser », a-t-il déclaré lundi à la Maison-Blanche, au côté du secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte.
Sans accord d'ici 50 jours, les États-Unis mettront en place des « droits de douane secondaires », c'est-à-dire contre les alliés de Moscou, a dit le président américain.
L'an dernier, les principaux partenaires commerciaux de la Russie étaient la Chine, pour quelque 34 % du total des échanges, ainsi que, dans une moindre mesure, l'Inde, la Turquie et la Biélorussie, selon les Douanes russes.
Pékin, qui a estimé mardi que la Chine et la Russie devaient « renforcer leur soutien mutuel », a fustigé une « coercition qui ne mène nulle part » venant de Washington.
Donald Trump a par ailleurs annoncé que des équipements militaires « d'une valeur de plusieurs milliards de dollars », notamment des systèmes de défense antiaérienne Patriot, seraient livrés à l'Ukraine.
Ces équipements seront achetés par les membres européens de l'OTAN. Mark Rutte a précisé que l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande, le Canada, la Norvège, la Suède et le Danemark feront partie des acheteurs.
Le Danemark et les Pays-Bas ont indiqué mardi à Bruxelles être prêts à participer au plan de Donald Trump.
Mais reste à savoir combien de temps il faudra aux pays européens pour expédier ces armes en Ukraine, pilonnée chaque jour par des frappes russes.
Mardi, le ministère russe de la Défense a encore revendiqué la prise de deux villages dans la région de Donetsk, située dans l'est de l'Ukraine où se concentrent les combats les plus violents.
Les attaques aériennes russes se sont aussi intensifiées ces dernières semaines.
Une attaque de drones ukrainienne fait 16 blessés
Une attaque de drones ukrainienne contre une ville de l'ouest de la Russie a fait 16 blessés, ont indiqué mardi les autorités régionales, le ministère de la Défense affirmant lui avoir abattu 55 de ces engins pendant la nuit.
L'Ukraine a prévenu qu'elle intensifierait ses frappes en Russie en réponse à la multiplication ces dernières semaines des attaques russes contre son territoire, qui ont tué des dizaines de civils.
PHOTO PIGISTE, REUTERS
Des ouvriers nettoient une rue à côté de voitures endommagées à la suite d'une attaque de drone ukrainien dans la ville de Voronej, en Russie, le 15 juillet 2025.
Une attaque nocturne contre la ville russe de Voronej a fait « 16 blessés », a écrit sur Telegram le gouverneur de la région de Voronej, Alexandre Goussev.
Il s'agit, pour la plupart, de « coupures et de blessures causées par des éclats d'obus », a-t-il ajouté, précisant que 13 personnes avaient dû être hospitalisées.
Des images relayées par les médias locaux montrent des vitrines brisées et des rues jonchées de morceaux de verre.
Le ministère russe de la Défense a affirmé avoir abattu 55 drones ukrainiens dans la nuit, principalement dans les régions de Voronej et de Belgorod, toutes deux frontalières de l'Ukraine.
En Ukraine, une attaque russe contre une « infrastructure médicale » a blessé un enfant dans la région de Soumy (Nord-Est), selon les autorités du pays.
« L'attaque a provoqué un incendie », a rapporté mardi le service des urgences ukrainien.
Ces attaques sont survenues quelques heures après que le président américain Donald Trump a annoncé que l'Ukraine recevrait un « très grand nombre d'équipements militaires », grâce à un accord conclu entre l'OTAN et les États-Unis.
Le locataire de la Maison-Blanche, qui espérait pousser Vladimir Poutine à un accord de paix, a exprimé une frustration croissante vis-à-vis du président russe, qui a rejeté plusieurs propositions de cessez-le-feu et a intensifié ses frappes aériennes en Ukraine.
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L'Arménie et l'Azerbaïdjan vont signer un accord de paix « historique », selon Trump
Le Karabakh est reconnu internationalement comme faisant partie de l'Azerbaïdjan, mais a été contrôlé pendant trois décennies par des séparatistes arméniens après une guerre qu'ils avaient remportée à la dislocation de l'URSS. (Washington) Les dirigeants d'Arménie et d'Azerbaïdjan vont signer vendredi à Washington un accord de paix « historique », sous l'égide des États-Unis, pour mettre fin au conflit territorial qui oppose ces deux anciennes républiques soviétiques depuis des décennies, a affirmé le président américain Donald Trump. Aurélia END Agence France-Presse « Beaucoup de dirigeants ont tenté de mettre fin à la guerre, sans succès, jusqu'à maintenant, grâce à 'TRUMP' », a claironné M. Trump jeudi soir sur son réseau Truth Social. Il a précisé qu'une « cérémonie de signature de la paix » sera organisée lors de ce « sommet historique » avec la participation du président azerbaïdjanais Ilham Aliev et du premier ministre arménien Nikol Pachinian. Le président américain accueillera dans un premier temps les deux dirigeants de manière séparée, et signera avec chacun un accord bilatéral entre les États-Unis et leur pays, avant la signature à 16 h 15 (heure de l'Est) de l'accord tripartite. Selon la chaîne CBS, le texte octroie aux États-Unis des droits d'aménagement d'un corridor de 43 kilomètres en territoire arménien, qui sera appelé « Voie Trump pour la paix et la prospérité internationales » ou TRIPP. La Maison-Blanche n'a pas répondu aux questions de l'AFP sur ces informations. Erevan a confirmé que le premier ministre arménien aurait un entretien avec le président américain « afin de renforcer le partenariat stratégique entre l'Arménie et les États-Unis ». Le gouvernement arménien a ajouté qu'une « réunion tripartite […] avec Donald Trump et le président azerbaïdjanais [aurait] également lieu afin de contribuer à la paix, l'épanouissement et la coopération économique dans la région ». La dernière rencontre entre Nikol Pachinian et Ilham Aliev, le 10 juillet à Abou Dabi, n'avait abouti à aucun progrès tangible. Traumatisme Le Karabakh est reconnu internationalement comme faisant partie de l'Azerbaïdjan, mais a été contrôlé pendant trois décennies par des séparatistes arméniens après une guerre qu'ils avaient remportée à la dislocation de l'URSS, et qui avait provoqué l'exode de la quasi-totalité des Azéris y habitant. Bakou a repris partiellement cette enclave lors d'une nouvelle guerre à l'automne 2020, puis entièrement lors d'une offensive éclair en septembre 2023, provoquant à son tour la fuite de plus de 100 000 Arméniens du Karabakh. Soucieux de dépasser le conflit, Bakou et Erevan se sont mis d'accord en mars sur le texte d'un traité de paix, salué par certains comme un possible tournant dans leurs relations. Mais Bakou, victorieux, exige que l'Arménie modifie d'abord sa Constitution pour renoncer officiellement à toute revendication territoriale sur le Karabakh, une mesure qui romprait ses liens avec cette région considérée par des Arméniens comme leur patrie ancestrale. Le premier ministre Nikol Pachinian s'est déclaré prêt à s'y conformer dans l'intérêt d'une paix durable, annonçant son intention d'organiser un référendum constitutionnel en 2027. Mais le traumatisme de la perte du Karabakh, appelé Artsakh en arménien, continue de diviser son pays. « Il est plus que temps que Donald Trump reçoive le prix Nobel de la paix », avait lancé sa porte-parole, Karoline Leavitt, le 31 juillet pendant son point de presse de routine, suscitant des réactions mi-incrédules mi-ironiques des opposants au dirigeant républicain. Elle a estimé que, depuis son retour au pouvoir le 20 janvier, le président américain avait présidé à la conclusion « d'un cessez-le-feu ou accord de paix par mois », donnant pour exemples ses médiations entre l'Inde et le Pakistan, le Cambodge et la Thaïlande, l'Égypte et l'Éthiopie, le Rwanda et la République démocratique du Congo, la Serbie et le Kosovo… La liste des candidats n'est pas rendue publique par le comité norvégien qui décerne la distinction, mais Israël, le Cambodge et le Pakistan ont récemment annoncé avoir sélectionné Donald Trump.


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2 hours ago
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Plastique à usage unique
Le Canada a banni les articles en plastique à usage unique, comme les pailles, dans l'espoir de ne plus émettre de déchets plastiques à partir de 2030. En 1951, c'était, croyait-on, une grande innovation. Joseph B. Friedman brevetait sa paille flexible en plastique. Il est vrai que l'humanité tout entière avait au préalable survécu à la déshydratation. Reste que même s'il était possible auparavant de boire, le petit tube cylindrique rendait l'expérience plus agréable, croyait M. Friedman. Ou du moins, plus profitable pour lui. Le problème, c'est que des millions d'exemplaires de cette invention souillent depuis les plages et les autres milieux naturels. Bien sûr, la paille n'est qu'une des nombreuses sources de la pollution causée par le plastique. Le Canada en génère chaque année plus de 3 millions de tonnes en déchets, et plus de 43 000 tonnes se retrouvent dans l'environnement. Et ensuite, en petites doses, dans nos corps. Des traces non négligeables de microplastiques ont été trouvées dans le sang, le lait maternel, les testicules, le foie, les reins, les poumons et le cerveau, rapportait La Presse l'année dernière1. On pourrait croire que personne ne souhaite accueillir ces déchets dans ses entrailles. Mais la politique a toujours le don de surprendre. En 2019, Donald Trump érigeait la paille en symbole de la liberté. Il en vendait des exemplaires à son effigie pour financer sa campagne. Le message : je ne m'immiscerai pas dans vos choix de consommation. Avec moi, vous serez libres de polluer, et les sociétés pétrochimiques resteront tout aussi libres de s'enrichir en dompant leurs déchets dans la nature. Comme souvent, ce vent américain a soufflé vers le nord. En 2024, le député conservateur Corey Tochor a déposé un projet de loi pour rétablir la grandeur du plastique. Petit retour en arrière. Le gouvernement Trudeau avait modifié la loi de la protection de l'environnement pour ajouter le plastique aux substances toxiques. Il a ensuite annoncé plusieurs mesures dans l'espoir de ne plus émettre de déchets plastiques à partir de 2030. Des contenants en plastique à usage unique ont été interdits, comme les sacs d'épicerie, les ustensiles, les anneaux pour emballage de boissons et les bâtonnets à mélanger. Et puis, la tempête se leva. Elle aide à comprendre pourquoi le Canada peine à protéger ses écosystèmes, et pourquoi la communauté internationale semble incapable de conclure un accord contraignant durant le sommet qui se déroule actuellement à Genève. Dans les deux cas, les mêmes ingrédients sont réunis : de puissants lobbys industriels, des obstacles juridiques et des politiciens qui sèment le doute et la colère. À la Chambre des communes, M. Tochor a prétendu que cette interdiction de la paille en plastique n'avait rien à voir avec l'environnement. Le véritable enjeu, soutenait-il, était la volonté du gouvernement de « contrôler nos vies ». En effet, il s'agit d'une intrusion de l'État dans les stratégies d'hydratation. Mais ce n'est pas pour le plaisir de vous emmerder ni pour échafauder un plan pernicieux de 97 étapes pour implanter un État totalitaire. La logique est plus simple : si on n'empêche pas les gens de polluer, ils vont, eh bien, polluer, ce qui nuit à la santé collective. Peut-être est-ce un ressac de la pandémie, où les citoyens ont trop subi les ordres de l'État. Peut-être est-ce un mélange de lassitude et de résignation face au dérèglement du climat et du monde vivant. Et au moins un peu, un sursaut d'égoïsme, ou du moins un refus de faire notre part quand notre voisin américain ne fait pas la sienne. Peu importe, le résultat est le même : pour le plastique comme pour les autres enjeux environnementaux, le débat se perd et s'enfonce dans les symboles. Il y a un an, la députée conservatrice Lianne Rood identifiait un scandale tout chaud : le couvercle en fibre de Tim Hortons. L'Ontarienne voulait orchestrer une campagne de boycottage contre cette décision « woke », rapportait alors la CBC dans un dossier sur le sujet. Aparté. À noter cette nouvelle définition du terme woke : idéologie dangereuse qui consiste notamment à ne pas vouloir de microplastiques dans son cerveau ou son système respiratoire. En avril, le chef conservateur Pierre Poilievre a accusé les libéraux d'hypocrisie. « Ce n'est pas de la science. C'est du symbolisme », tonnait-il. Selon lui, le plan libéral ne réduira pas la pollution. M. Poilievre a rappelé que les pailles en papier contiennent elles aussi des contaminants. Il a ajouté que le Canada compte pour une portion minime de la pollution mondiale. Il mettait en garde contre des pertes d'emploi, du gaspillage causé par une conservation déficiente des aliments mal emballés et une hausse du coût des denrées. La priorité, selon lui, serait de recycler davantage le plastique. Or, même une amélioration radicale du taux de recyclage ne suffirait pas à endiguer la pollution. Et si chacun attend que les autres fassent leur part, personne ne bougera. Enfin, des alliés font déjà des efforts, comme la France et plusieurs autres pays européens, sans oublier des États américains (New York, Californie, Hawaii). Même si le recyclage est important, il ne suffit pas. Les scientifiques qui consacrent leur vie à ce sujet répètent qu'il faudrait également produire moins, et produire mieux. Le lobby pétrochimique se bat contre de telles contraintes. Il tente d'empêcher la signature à Genève d'un premier traité international sur le plastique. L'Iran, la Russie, l'Arabie saoudite et les États-Unis l'assistent dans cette croisade. Chez nous, les grandes sociétés pétrochimiques ont contesté en Cour fédérale l'interdiction du plastique à usage unique. L'Alberta les soutenait. Elles ont gagné. La preuve scientifique a été jugée trop faible pour inscrire tous les plastiques à la liste des substances toxiques. La mesure fédérale a aussi empiété sur les compétences provinciales, a tranché la magistrate. Le plan peut sans doute être amélioré ou ajusté. Mais cette offensive sert un autre but : l'abolir. Le fédéral a porté la cause en appel. La Colombie-Britannique l'appuie. Pas au nom du wokisme, du totalitarisme ou de la bien-pensance. Juste parce que des gens croient que le progrès peut exister dans une version moins polluante. Mais ce gros bon sens est difficile à vendre quand le débat devient aussi toxique. 1. Lisez notre dossier « Des microplastiques partout en nous »


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2 hours ago
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« Je ne me sens plus en sécurité dans mon boisé »
Plusieurs caméras de surveillance, comme celle qu'on voit sur le poteau, ont été installées dans le secteur de Havelock, en Montérégie. « Je ne me sens plus en sécurité dans mon boisé » (Havelock) Carole habite sur le chemin de Covey Hill depuis 2010. Son mari travaille dans la forêt. Elle, elle aime aller cueillir des petits fruits sauvages près de la frontière, dans les broussailles, là où poussent les framboises. Ça fait 15 ans qu'elle fait ça. Mais cette année, elle n'y est pas allée. Le chemin de Covey Hill, qui traverse la municipalité de Havelock, longe la frontière américaine, à une vingtaine de kilomètres du célèbre chemin Roxham. « Je ne me sens plus en sécurité dans mon boisé », déplore Carole. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Le chemin de Covey Hill, à Havelock, en Montérégie Depuis le retour de Donald Trump à la présidence, un nouveau climat s'est installé. D'abord subtil, il est désormais bien visible. Alors que le président américain utilisait la question migratoire pour faire pression sur le Canada, allant jusqu'à imposer des droits de douane en dénonçant une gestion trop permissive de la frontière, Ottawa a réagi. Le gouvernement fédéral a renforcé la surveillance : drones, hélicoptères, caméras, multiplication des patrouilles. PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE Hélicoptère de la GRC survolant le secteur de Franklin, à quelques kilomètres de Havelock, le 24 juillet dernier Sur le chemin de Covey Hill, une route vallonnée bordée de vergers, cette présence est devenue omniprésente. Une ambiance de contrôle a fini par transformer la vie quotidienne. Plusieurs habitants hésitent d'ailleurs à parler ou à se faire photographier, de peur d'être pris pour cibles. Carole, par exemple, préfère ne pas donner son nom de famille : elle cueille des plantes près de la frontière et craint d'attirer l'attention des autorités. INFOGRAPHIE LA PRESSE « Ce qui est emmerdant, c'est l'hélico, parce que moi, je cueille des petits fruits. J'y vais avec mon sac à dos, mais je n'ose plus », confie-t-elle. Cueillette de fruits tendue Quand elle est dans la forêt, Carole ne sait jamais où se trouve exactement la frontière. Parfois, elle a peut-être ramassé une tasse de fruits du côté américain, sans le savoir… La forêt est dense, continue, et s'étend sur plus d'un kilomètre de chaque côté de la ligne qui sépare les deux pays, bien avant les premières maisons. Sans repères visibles, il est difficile de s'y orienter. Alors elle renonce. Si j'y vais [dans la forêt], je vais apporter des pièces d'identité, chose certaine. Mais je pense que c'est courir après le trouble. Carole, qui habite sur le chemin de Covey Hill La forêt est un espace familier pour elle. À l'automne, c'est son mari qui y travaille. Mais même lui commence à s'inquiéter. « Il se demande : est-ce que je vais toujours avoir un hélico au-dessus de la tête ? Ça, ça va être tannant », observe sa conjointe. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Poste frontalier à Havelock Carole a déjà trouvé une caméra clouée à un arbre, planté sur leur terrain, loin de la frontière. C'était écrit « propriété des États-Unis ». Ils l'ont arrachée. Quelques semaines plus tard, la GRC est venue leur demander s'ils avaient trouvé quelque chose. « Mon conjoint, en joke, a dit : 'C'est pas à vous, c'est marqué États-Unis.' L'agent a répondu : 'On collabore.' » PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE La GRC a installé des panneaux le long du chemin de Covey Hill pour inviter les résidants à « signaler une personne ou une situation suspecte ». Un autre jour, un agent est venu leur demander l'autorisation d'entrer sur leur terrain en tout temps. Ils ont refusé. « On ne veut pas se faire réveiller n'importe quand, au milieu de la nuit », explique-t-elle. Haute surveillance Ce sentiment d'être observé et surveillé est partagé par d'autres résidants du coin. Pascale Bourguignon les compte, les hélicoptères. Un jour, elle en a noté six en une journée. « En gros, il y en a cinq par jour qui passent. Des fois, ils sont juste au-dessus de chez nous », rapporte-t-elle. PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE Une voiture de la GRC patrouille à Franklin, tout près de Havelock, à la fin du mois de juillet dernier. Il est maintenant difficile d'aller chercher son courrier à pied sans croiser une voiture de la GRC, selon elle. « Ils nous regardent comme si on était potentiellement des étrangers. » Et ce n'est pas juste le bruit qui fatigue les gens. C'est le climat. Ce qui me dérange, c'est qu'on s'habitue à être surveillé. Ce n'est pas normal. Pascale Bourguignon, résidante du secteur Depuis la fermeture du chemin Roxham, les traversées irrégulières se sont déplacées vers des zones plus discrètes, souvent boisées, où les risques de s'égarer sont accrus. En mars, une famille s'est perdue en Montérégie après avoir franchi la frontière à pied. Les migrants ont été retrouvés en état d'hypothermie, plusieurs heures plus tard1. Plus récemment, dans la nuit du 2 au 3 août, un camion cube transportant 44 migrants a été intercepté près de Stanstead2. Selon un sergent de la GRC, c'était « une scène d'horreur ». « Le fait qu'ils aient fermé Roxham, ça a ouvert la porte aux passeurs », observe Pascale Bourguignon. « Ils regardaient dans la voiture » Mylaine Massicotte, qui cultive des légumes à quelques kilomètres de là, à la ferme Les jardins d'en haut, a été interpellée avec une amie alors qu'elles s'en allaient à une répétition de chorale. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Mylaine Massicotte, de la ferme Les jardins d'en haut « On ne trouvait pas l'adresse, alors on faisait des allers-retours. Ils nous ont arrêtées, avec la lampe de poche, ils regardaient dans la voiture », relate-t-elle. Ce climat de suspicion est quelque chose d'insidieux, qui s'installe dans l'esprit, dit-elle. Comme on dit, c'est la grenouille dans l'eau chaude. On s'habitue tranquillement à une situation qui n'est pas normale. Mylaine Massicotte, de la ferme Les jardins d'en haut Des gens du voisinage évoquent aussi la question du profilage. Pourquoi certains sont-ils arrêtés et pas d'autres ? Pourquoi suivre une jeune femme seule en voiture pendant plusieurs kilomètres la nuit ? PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Bethany Lee travaille à la ferme Les jardins d'en haut. Bethany Lee, une employée de la ferme, possède une maison de campagne dans le coin. Elle s'est fait arrêter parce qu'elle a une plaque ontarienne. « Je leur explique que je travaille ici, mais ça revient souvent », rapporte-t-elle. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE La ferme Les jardins d'en haut, à Havelock Elle a aussi remarqué la présence d'un véhicule de patrouille non identifié. Un soir, alors qu'ils revenaient chez eux après avoir reconduit leur fille chez des amis près de Covey Hill, elle et son mari ont croisé un véhicule de type pick-up sans sigle apparent. Inquiets, ils ont décidé de faire demi-tour pour s'assurer que tout allait bien. Peu après, le véhicule les a suivis, puis a allumé ses gyrophares : c'était la GRC. « On a été soulagés, parce qu'on s'est dit : ce n'est pas quelqu'un de louche, c'est juste la GRC. On leur a dit : 'On vous trouvait suspects.' Ils ont répondu : 'Nous aussi, on vous trouvait suspects.' » Et surtout, disent-ils, rien ne prouve que tout cela soit efficace. « Si je voulais traverser la frontière, je ne le ferais pas à 8 h du matin », lance Mylaine Massicotte, qui fait remarquer que les hélicoptères commencent à voler à 8 h le matin et s'arrêtent le soir venu. Carole donne l'exemple d'une connaissance qui travaille de soir à Hemmingford et rentre chez elle vers 1 h ou 2 h du matin. Elle se fait souvent suivre par la GRC, malgré un trajet régulier du lundi au jeudi. Elle a même demandé aux agents de noter sa plaque et ses heures de passage, pour éviter d'être interceptée chaque fois. « Quand on termine un quart de travail à cette heure-là, on veut juste rentrer chez soi rapidement », note Carole. Alors les habitants de Covey Hill continuent leur vie, en s'adaptant, en marchant dans les bois quand ils l'osent, en regardant passer les hélicoptères au-dessus de leurs têtes. Mais ils n'ont plus tout à fait la même liberté qu'avant. Et ça, ils ne s'y habituent pas vraiment. 1. Lisez le dossier « Immigration irrégulière au Canada : la nuit de tous les périls » 2. Lisez « Entrée irrégulière massive à Stanstead : 'C'était une scène d'horreur' » Lisez « La GRC aura les hélicoptères Black Hawk trois mois de plus » Demandes d'asile au Canada : le Québec concentre la majorité des cas Entre le 1er janvier et le 4 août 2025, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a traité 23 467 demandes d'asile à l'échelle du pays, en baisse d'environ 44 % par rapport aux 42 150 enregistrées à la même période en 2024. La majorité des cas sont recensés au Québec, avec 15 801 demandes, dont 11 508 au point d'entrée de Saint-Bernard-de-Lacolle, soit plus du double des 5225 enregistrées à ce point à pareille date l'an dernier. Les principaux pays d'origine des demandeurs d'asile à la frontière terrestre sont : Haïti, le Venezuela, les États-Unis, la Colombie, le Pakistan, le Chili, la Roumanie, l'Afghanistan, le Nicaragua et le Mexique. Depuis la fermeture du chemin Roxham en mars 2023, les renvois vers les États-Unis ont augmenté. Entre le 1er janvier et le 5 août 2025, 2766 personnes ont été jugées inadmissibles et renvoyées, en vertu de l'Entente sur les tiers pays sûrs.