
Le monde parallèle de Gilbert Rozon
Gilbert Rozon s'est souvenu que, ce soir-là, l'actrice Dominique Pétin lui faisait de l'œil. « C'était très gentillet », s'est-il remémoré. Le scandale du manoir Rouville-Campbell, survenu moins d'un an plus tôt, l'avait toutefois rendu parano. « J'étais rouge comme un jouvenceau de me faire draguer. »
J'ai cru percevoir un frémissement d'incrédulité traverser la salle du palais de justice de Montréal. Gilbert Rozon, ce womanizer qui admet avoir couché avec 250 femmes, rouge comme un jouvenceau de se faire courtiser ? Vraiment ?
C'est d'autant plus difficile à croire que Dominique Pétin a livré une tout autre version de cette soirée à La Presse, dans un reportage publié en 2018. Une version pas gentillette du tout : Gilbert Rozon, flambant nu dans le corridor, aurait frappé à la porte de sa chambre jusqu'au petit matin. « C'était comme une terreur nocturne, a-t-elle raconté, une nuit d'enfer dans cet hôtel de Québec. »
C'est l'un des aspects les plus consternants du procès Rozon. Entre les témoignages des femmes qui disent avoir été agressées et celui de l'ex-magnat de l'humour, le gouffre est immense.
Gilbert Rozon ne prétend pas seulement que ces femmes étaient consentantes ; elles le désiraient, follement. Elles auraient tout fait pour se payer le grand Gilbert Rozon. C'était lui, la proie. Lui, la victime de son incommensurable sex-appeal.
« La lumière attire dans la vie », a-t-il expliqué au tribunal, mardi, au terme de neuf jours surréalistes à la barre des témoins. Quand tu es une grosse vedette, « les femmes courent après toi pour la célébrité, pour l'argent, pour le prestige ».
Cette perception boursouflée de lui-même a percolé tout au long de son témoignage. Lorsqu'il a nié les allégations de Martine Roy, par exemple : « Je sentais qu'elle voulait me séduire. Ça arrivait souvent avec mon métier et ce que j'incarnais. […] Souvent, on voulait s'offrir Gilbert Rozon sur son tableau de chasse. »
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Martine Roy au palais de justice de Montréal, lundi
Peu importe que son ancienne belle-sœur ait été lesbienne : « J'ai senti qu'elle voulait se donner à moi, comme pour dire : moi aussi, je suis capable d'avoir Gilbert Rozon, pas juste ma sœur. C'était tentant, mais j'ai résisté. »
Quelle admirable maîtrise de soi, tout de même.
À propos du viol allégué par la réalisatrice Lyne Charlebois, qui a confié au tribunal avoir été « pétrifiée », « sûre de mourir », et avoir fait « la planche en attendant que ça passe », Gilbert Rozon a affirmé : « Je la sentais contemplative ou impressionnée par mon personnage. […] On a fait l'amour très doucement, parce qu'elle était très douce. »
L'homme d'affaires déchu a même osé comparer la comédienne Patricia Tulasne au personnage dangereusement troublé de Glenn Close dans Fatal Attraction. Le lien se serait fait dans son esprit dès l'acte sexuel parce que, voyez-vous, « elle se donnait trop et trop spontanément ». Pour lui, ce n'était pas normal. « Quand c'est trop facile, parfois, on a un peu peur. »
La suite des choses lui aurait d'ailleurs donné raison, puisque la comédienne l'aurait pourchassé sans relâche, le pauvre. « Elle m'a dragué pendant des années et c'est moi qui disais non. » Tout ça pour un moment de faiblesse, comme dans le film de 1987. « Ç'a été passionnel. On a fait l'amour contre le mur. Je m'en souviens parce que ce n'est pas une position facile, il faut être déterminé. »
Patricia Tulasne, elle, se souvient plutôt de son « regard de fou ». Elle se souvient d'avoir été « plaquée contre le mur », d'avoir résisté autant qu'elle a pu et d'avoir eu peur de mourir, elle aussi.
À force d'écouter le témoignage de Gilbert Rozon, j'ai fini par avoir l'impression qu'il s'était construit un monde parallèle. Véronique Moreau, son « Esmeralda », lui a brisé le cœur en racontant qu'elle se réveillait régulièrement, la nuit, pendant qu'il était en train de la pénétrer. Dans le monde de Gilbert Rozon, c'est Esmeralda qui était insatiable. « Elle me disait que je ne lui faisais pas assez l'amour. »
Dans ce monde-là, Gilbert Rozon ne peut pas avoir agressé Mary Sicari, qui travaillait à la billetterie de Juste pour rire, puisqu'elle ne l'attirait pas. Il la trouvait « vulgaire ». Il ne lui a jamais fait d'avances, « à son grand dam, peut-être ».
Dans ce monde-là, Annick Charette n'a pas été réveillée en plein viol, un matin de 1980. C'est le contraire qui s'est produit. C'est Gilbert Rozon qui s'est réveillé, ce matin-là, pour trouver Annick Charette à califourchon sur lui.
« Je me suis dit : elle est bizarre, cette fille. Hier soir, elle refusait mes avances et ce matin, elle me saute dessus… Elle se faisait l'amour sur moi, elle ne me regardait même pas. D'autres considéreraient ça comme une agression… »
Qui peut croire à un témoignage aussi invraisemblable ?
Vous me direz que la juge, au procès criminel, l'a cru. En 2020, elle a acquitté Gilbert Rozon après avoir entendu cette histoire de fille bizarre qui refuse les avances d'un gars pour mieux le violer le lendemain matin.
Vrai qu'il y a eu acquittement, mais la juge a indiqué que son verdict ne signifiait pas nécessairement qu'elle croyait la version de l'accusé. Il avait suffi à la défense de soulever un doute raisonnable.
C'est l'un des grands principes de notre système de justice : on préfère acquitter un criminel que condamner un innocent par erreur.
Dans l'actuel procès civil, le fardeau de la preuve est moins lourd pour les demanderesses. La juge Chantal Tremblay doit seulement décider quelle version de l'histoire est la plus probable ou la plus crédible : celle de Gilbert Rozon ou celle des neuf femmes qui le poursuivent en dommages pour 14 millions de dollars ?
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Des femmes manifestant leur colère devant le palais de justice de Montréal, lundi
Pour avoir assisté à deux jours du procès, j'ai peine à croire que Gilbert Rozon s'en tirera, cette fois-ci. En contre-interrogatoire, je l'ai entendu se contredire et s'empêtrer dans des explications alambiquées, sans jamais perdre de sa superbe.
Et puis, il y a le poids du nombre. Bien sûr, la juge devra évaluer la thèse de la défense : tout ceci n'est qu'une vaste conspiration. Les neuf femmes qui poursuivent Gilbert Rozon se sont liguées pour lui faire cracher son pognon. Elles sont, toutes, des menteuses.
Et les autres femmes, qui ne poursuivent pas, mais qui sont tout de même venues témoigner de leur calvaire ? Menteuses, elles aussi, clame Gilbert Rozon. Si ce n'est pour l'argent, c'est par vengeance, par envie, pour faire un show, pour justifier un passé trouble ou pour brûler un homme au bûcher de #metoo.
Manifestement, Gilbert Rozon a réfléchi à tous les motifs possibles et imaginables ayant pu pousser ces femmes à raconter « leur vérité » au tribunal. Il n'en a oublié qu'un seul : obtenir justice, enfin.
* Lisez notre article « La chute de l'empereur du rire »
Hashtags

Essayez nos fonctionnalités IA
Découvrez ce que Daily8 IA peut faire pour vous :
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment...
Articles connexes


La Presse
4 hours ago
- La Presse
Ozzy Osbourne est mort
Simon Beaudry Reprendre racine Un an après avoir quitté Le Vent du Nord, Simon Beaudry a retrouvé le chemin vers la musique. Après avoir chanté sur les scènes d'Amérique du Nord et d'Europe pendant 20 ans, le voilà directeur artistique de Mémoire et racines, le grand festival trad de Lanaudière. La Presse est allée à sa rencontre à Saint-Côme, là où il vit entouré de « son monde » et où il a retrouvé une paix d'esprit à coup de hache.


La Presse
5 hours ago
- La Presse
Reprendre racine
Simon Beaudry, ex-membre du groupe trad Le vent du nord, est le nouveau directeur artistique du festival Mémoire et racines. Un an après avoir quitté Le Vent du Nord, Simon Beaudry a retrouvé le chemin vers la musique. Après avoir chanté sur les scènes d'Amérique du Nord et d'Europe pendant 20 ans, le voilà directeur artistique de Mémoire et racines, le grand festival trad de Lanaudière. La Presse est allée à sa rencontre à Saint-Côme, là où il vit entouré de « son monde » et où il a retrouvé une paix d'esprit à coup de hache. En quittant Le Vent du Nord après de longues années de service, Simon Beaudry avait assuré que la séparation se faisait à l'amiable. Ses camarades disaient eux aussi que leur amitié demeurait intacte. Tout ça est encore vrai. Or, le chanteur et guitariste ne mesurait pas encore, à la fin de 2023, à quel point il était saturé de sa vie de musicien professionnel. Lisez « Cinq spectacles à voir à Mémoire et racines » « Je n'ai pratiquement pas joué de musique pendant environ un an », dit-il, installé dans le studio qu'il partage avec son frère Éric (La bottine souriante, De temps antan, etc.). « J'associais la musique au travail. Le Vent du Nord, c'était intense, on n'arrêtait jamais. J'ai eu besoin de mettre ça de côté. » Le studio des frères Beaudry se trouve près de leur village, Saint-Côme. Il est installé à l'étage d'un hangar, derrière la maison où ils ont grandi et où leur père, Denis, a grandi lui aussi. Les racines, c'est important chez les Beaudry. « Je suis quelqu'un de très famille », confirme Simon. PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE Simon Beaudry (à droite) avec son père Denis Beaudry La famille, c'est aussi la principale raison pour laquelle il a quitté Le Vent du Nord. « Toute sa vie, il a rêvé d'avoir des enfants, dit son père, croisé par hasard au moment de l'entrevue. Là, il en a un et il sait qu'à son âge [Simon a 47 ans], il n'en aura pas des tonnes. Une bonne partie de sa vie est consacrée à son enfant. » Et le jeune père s'est remis en forme en bûchant du bois. Il n'est pas devenu entrepreneur forestier comme son père l'a été, mais il fait le vide en fendant des bûches. Ce n'est pas passionnant, mais c'est satisfaisant quand ça fend. Et tu peux réfléchir à plein d'affaires. Simon Beaudry On comprend que c'est une hache dans les mains qu'il a décanté ses années de tournées, jusqu'à avoir envie de renouer avec la musique, mais différemment. L'ancrage local Simon Beaudry a été nommé directeur artistique de Mémoire et racines, le plus important festival de musique traditionnelle au Québec, à l'automne 2024. « Je me suis fait solliciter par des gens qui me voyaient là, dit-il sans aucune vantardise. Puis, rapidement, je me suis vu là moi aussi. Il y a quand même une suite logique à ma vie de musicien. » Son arrivée à la tête de ce festival est d'autant plus logique qu'au sein du Vent du Nord, les musiciens sont très impliqués dans les affaires du groupe et que le travail d'équipe y est valorisé. « On est toujours plus fort en équipe qu'individuellement, estime le nouveau directeur artistique. C'est le fun que nos idées soient confrontées, pour mener à autre chose. » PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE Simon Beaudry Il n'arrive pas à Mémoire et racines avec l'envie de faire une révolution. Il a toutefois une vision, ancrée dans la région et les gens de Lanaudière. Les environs de Joliette regorgent de groupes amateurs qui ont beaucoup de succès localement, citant notamment Les campagnards, qui peuvent faire « 25 spectacles par an en attirant 500 à 1000 personnes chaque fois ». Il veut leur accorder de l'attention. « Tu ne peux pas ne pas prendre en considération ces groupes-là », juge-t-il. Pas seulement parce qu'ils attirent des gens. « Ils ont le droit d'être là, pense Simon Beaudry. Le public de Mémoire et racines, c'est en bonne partie des gens qui consomment de la musique traditionnelle locale. » La considération que Simon Beaudry a pour sa région et ceux qui l'habitent va plus loin : au début de juillet, il a annoncé briguer le poste de maire de sa municipalité, Saint-Côme. Une fois de plus, l'idée n'est pas de lui. Il a été sollicité et si, au départ, l'idée lui a semblé « farfelue » en raison de son inexpérience en politique, il s'est laissé convaincre. Dans son annonce faite sur Facebook, il dit être guidé par une vision « rassembleuse » pour sa communauté et vouloir faire le pont entre les natifs de Saint-Côme et ceux qui ont choisi de s'y installer récemment. Une affaire de familles Sans être un festival de niche, Mémoire et racines a une personnalité à respecter : c'est un évènement axé sur la musique traditionnelle, et il le restera. Ce qui ne veut pas dire que Simon Beaudry ne va pas étirer l'élastique. Édith Butler se produit en tête d'affiche cet été. Il vise Salebarbes l'an prochain. Il a donc l'œil sur des groupes ancrés dans la tradition, mais capables d'attirer un public vaste, pas nécessairement versé dans la trad. PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE Éric Beaudry, en 2024, dans le studio qu'il partage avec son frère Simon. Il sera au festival Mémoire et racines cet été avec Ni sarpe ni branche. Aussi, il veut ramener l'aspect familial. Pas dans l'esprit du festival, qui l'est déjà, mais sur scène. Cet été, il présente la Famille LeBlanc, du Nouveau-Brunswick. « J'ai aussi les trois sœurs Bordeleau, de Saint-Côme, qui ne sont pas des professionnelles, mais qui sont de super chanteuses. Ces gens-là chantent dans leur cuisine. Je veux ramener ça à Mémoire et racines parce que ce sont des gens comme ça qui font que la tradition reste vivante. » Il fera un peu ça, lui aussi, d'ailleurs. Son frère Éric et lui veulent se produire en duo et développer un projet musical commun. « Il y a quelque chose qui se passe quand je joue avec lui que je ne retrouve avec personne d'autre. On ne veut pas faire 80 spectacles par année, juste une vingtaine peut-être, dit-il. J'ai envie de jouer plus au Québec, de parler et de chanter en français. Pour mon monde. » Consultez le site du festival


La Presse
6 hours ago
- La Presse
Nino et Hen parmi les films du programme compétitif Platform
(Toronto) Un film français sur un jeune homme confronté à un diagnostic dévastateur et un portrait de l'humanité vu par une poule figurent parmi les films du programme compétitif Platform du Festival international du film de Toronto (TIFF). Nicole Thompson La Presse Canadienne Le TIFF a annoncé mardi les candidats pour le prix de 20 000 $, en amont de la 50e mouture du festival qui aura lieu en septembre. Les organisateurs du festival ont également dévoilé les membres du jury qui octroieront ce prix, qui incluent la réalisatrice québécoise Chloé Robichaud. Elle s'attardera aux films du programme aux côtés de l'actrice britannique Marianne Jean-Baptiste et du cinéaste catalan Carlos Marqués-Marcet. Il s'agit également du 10e anniversaire de Platform. La programmatrice Robyn Citizen a expliqué qu'il a été conçu pour mettre en lumière des « visions de réalisateurs audacieuses » à l'avant-garde du cinéma. Cette année, Platform diffusera 10 films représentant 19 pays. La sélection de cette mouture comprend Nino, le premier film de Pauline Loquès, présenté en avant-première mondiale à Cannes plus tôt cette année. Mme Citizen décrit le film comme une étude de caractère sur un jeune homme dans la vingtaine, interprété par l'acteur québécois Théodore Pellerin, atteint d'un cancer et qui réfléchit à la vie en déambulant dans Paris. Le programme comprend également Hen, un film en prises de vues réelles du réalisateur hongrois György Pálfi, qui suit une poule qui échappe à un destin tragique et qui tente de se construire une nouvelle vie. Dorota Lech, programmatrice du TIFF, explique que Hen offre également un regard sur la crise migratoire en Europe au travers du regard de la poule. « C'est en prises de vue réelles. Ce n'est absolument pas animé », a précisé Mme Lech lors d'une visioconférence avec des journalistes la semaine dernière. « Honnêtement, je n'ai aucune idée de comment il a réussi, tant le regard et le comportement de cette poule sont dramatiques. Je suis obsédée par ce film et je suis ravie qu'il soit présenté à Platform. » Le lauréat de Platform sera annoncé lors de la cérémonie de clôture du TIFF, le 14 septembre. Le programme comprend également un film du réalisateur mi'kmaq Bretten Hannam, Sk 'te'kmujue'katik (À la place des fantômes). La production canado-belge mêle des éléments d'horreur et de réalisme magique, mais Mme Citizen indique qu'il s'agit avant tout d'un drame familial. Le film raconte l'histoire de deux frères autochtones qui se retrouvent dans la forêt près de chez eux pour affronter une personne de leur passé, visualisée comme un monstre. Cette année, le programme Platform ouvre avec Steve, un film du réalisateur belge Tim Mielants, avec Cillian Murphy dans le rôle d'un directeur d'un centre de redressement pour garçons.