
Non, le Canada ne fait pas le jeu du Hamas
Non, le Canada ne fait pas le jeu du Hamas
Comme si la situation humanitaire à Gaza n'était pas assez épouvantable, voici qu'on prédit une nouvelle escalade des opérations militaires israéliennes dans ce territoire dévasté1.
Pendant ce temps, le Canada, à l'exemple de certains pays européens, se dit prêt à reconnaître un État palestinien.
Mais est-ce vraiment ce qui convient aux circonstances actuelles ? Et dans les faits, à quoi servirait cette reconnaissance ?
PHOTO FOURNIE PAR L'UNIVERSITÉ DE TORONTO
Jon Allen
« Reconnaître l'État palestinien ne va pas ouvrir les vannes de l'aide humanitaire. Ça ne va pas forcer Bibi Nétanyahou à accepter un cessez-le-feu. Ça ne va pas forcer le Hamas à libérer les otages, à s'exiler et à se désarmer. Il n'y a pas de doute là-dessus », m'a d'abord répondu Jon Allen.
Celui qui a été ambassadeur du Canada en Israël de 2006 à 2010 est aujourd'hui rattaché au Centre Bill Graham pour l'histoire internationale contemporaine de l'Université de Toronto.
Je l'ai interviewé dans le cadre de cette chronique parce qu'il fait aussi partie des 173 anciens diplomates qui ont signé une lettre, la semaine dernière, pour demander à Mark Carney de reconnaître l'État de Palestine2.
Il reconnaît les limites de l'initiative, donc.
Mais il demeure convaincu que ce geste – que le premier ministre du Canada s'est engagé à faire aux Nations unies en septembre, sous certaines conditions – est de la plus haute importance3.
D'abord parce que la solution à deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, longtemps perçue comme la clé pour résoudre le conflit israélo-palestinien, est dans l'impasse – et c'est un euphémisme.
On envoie un message aux Palestiniens, aux Israéliens et à d'autres pour dire que le Canada et d'autres pays occidentaux croient toujours en la solution à deux États et pensent que l'un de ces États doit être la Palestine.
Jon Allen, ancien ambassadeur du Canada en Israël
L'idée est aussi d'affirmer qu'« Israël ne devrait pas avoir un droit de veto sur l'autodétermination d'environ cinq millions de Palestiniens ».
Cet engagement permet par conséquent de montrer aux Palestiniens que l'Occident va « continuer à faire pression sur Israël pour s'assurer que le pays ne prend pas de mesures supplémentaires pour mettre fin à la possibilité de deux États ».
C'est aussi, bien sûr, une façon de faire comprendre au gouvernement israélien que « ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie est tout simplement inacceptable ».
Jon Allen estime que Mark Carney l'a démontré, lorsqu'il a annoncé, le 30 juillet dernier, son intention de reconnaître l'État de Palestine4.
Le premier ministre a par exemple affirmé que « le niveau de souffrance humaine à Gaza est intolérable et s'aggrave encore ». Il a également évoqué l'accélération de la construction de colonies en Cisjordanie.
Sans surprise, l'idée de reconnaître l'État palestinien a rapidement été critiquée, aux États-Unis, par l'administration Trump.
« Ça va compliquer grandement la conclusion d'un accord commercial avec eux. Oh ! Canada ! », a écrit Donald Trump sur Truth Social.
PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Pour la Maison-Blanche, la reconnaissance de l'État palestinien par le Canada est « une façon de récompenser le Hamas à un moment où le Hamas est le véritable obstacle à un cessez-le-feu et à la libération de tous les otages », a déclaré la porte-parole de Donald Trump.
Sa porte-parole, Karoline Leavitt, a par la suite déclaré que le président des États-Unis « a l'impression que c'est une façon de récompenser le Hamas à un moment où le Hamas est le véritable obstacle à un cessez-le-feu et à la libération de tous les otages ».
Que répond Jon Allen aux allégations selon lesquelles le Canada, la France et le Royaume-Uni feraient le jeu du Hamas ?
Le Hamas n'a aucun intérêt dans une solution à deux États. Le Hamas est intéressé soit par un califat dans tout le Moyen-Orient, soit par une solution à un seul État et par l'anéantissement d'Israël. Donc, soutenir une solution à deux États en reconnaissant l'Autorité palestinienne, qui est essentiellement l'ennemie du Hamas, ce n'est pas soutenir le Hamas.
Jon Allen, ex-ambassadeur du Canada en Israël
« Bien sûr, le Hamas va dire : oh, c'est génial, ajoute l'expert. Mais est-ce que, parce que le Hamas va dire que c'est une bonne nouvelle que le Canada ait reconnu la Palestine, nous devons rester silencieux sur ce qui se passe au Moyen-Orient ? »
Jon Allen insiste d'ailleurs, lors de notre entrevue, pour nommer les horreurs dont cette organisation terroriste est responsable.
Hors de question, pour lui, de les occulter ou de les minimiser.
« Le Hamas a commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité le 7 octobre 2023. C'était horrible », lance-t-il.
« Nous n'ignorons pas non plus le fait [que ses membres] continuent de commettre des crimes de guerre en laissant leurs propres concitoyens se faire tuer de bien des manières, et en retenant toujours des otages », précise l'expert.
Sans compter que, chaque fois que le processus de paix était sur les rails, le Hamas a cherché à le faire dérailler. Et avec les massacres d'octobre 2023, l'organisation terroriste l'a fait reculer « de plusieurs années ».
Mais les atrocités du Hamas ne devraient pas être utilisées, selon lui, pour absoudre les fautes du gouvernement israélien.
« Le droit légitime à l'autodéfense d'un pays comme Israël ne permet pas un siège ni une punition collective qui consiste à priver toute une population de nourriture, de médicaments, d'eau et d'électricité. Il ne permet pas non plus les bombardements indiscriminés », dit-il.
Je suis juif. Ma femme est la fille de survivants de l'Holocauste. Je suis extrêmement critique envers Israël parce que je n'arrive pas à croire que des Juifs qui ont souffert pendant l'Holocauste font cela à d'autres personnes.
Jon Allen, ex-ambassadeur du Canada en Israël
Je termine en soulignant que même si Jon Allen comprend le sentiment d'impuissance quasi généralisé face à la crise actuelle, il ne perd pas espoir.
D'ailleurs, cet ancien diplomate est aussi président du conseil d'administration canadien de l'ONG Rozana, qui fait la promotion de la coopération entre Palestiniens et Israéliens dans le domaine des soins de santé. Elle prévoit ouvrir sous peu une clinique médicale à Gaza.
Mais pour une véritable sortie de crise, il faudra davantage de « bons dirigeants », selon M. Allen. Tant du côté des Palestiniens que du côté des Israéliens, mais aussi à la tête des États-Unis.
« Je continue de croire que les choses vont changer », dit-il. Parce que l'autre voie, qui est qu'Israéliens et Palestiniens « continuent à s'entretuer » pendant de nombreuses décennies, est tout simplement intenable.
Qui est Jon Allen ? Né à Winnipeg en 1950
Titulaire d'une maîtrise en droit international de la London School of Economics
Recruté par le ministère des Affaires étrangères en 1981
Nommé ambassadeur du Canada en Israël en 2006
Actuellement « senior fellow » au Centre Bill Graham pour l'histoire internationale contemporaine de l'Université de Toronto et président du conseil d'administration canadien de l'ONG internationale Rozana
1. Lisez la dépêche de l'AFP « Israël doit 'vaincre totalement' le Hamas pour libérer les otages, dit Nétanyahou »
2. Lisez la lettre des 173 ex-diplomates canadiens en faveur de la reconnaissance de l'État palestinien
3. Le premier ministre du Canada a cité « la volonté de l'Autorité palestinienne de mener des réformes essentielles, notamment la promesse du président [Mahmoud] Abbas de réformer en profondeur sa gouvernance, de tenir des élections générales en 2026 dans lesquelles le Hamas ne pourra jouer aucun rôle et de démilitariser l'État palestinien ». Il a aussi affirmé « que le Hamas doit immédiatement libérer tous les otages capturés lors de l'horrible attentat terroriste du 7 octobre [2023], qu'il doit déposer les armes et qu'il ne doit jouer aucun rôle dans la gouvernance future de la Palestine ».
4. Lisez la déclaration de Mark Carney
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