
«On fait agent de sécurité» : des habitants d'une cité à Marseille font le guet contre l'installation d'un point de deal
Les anciens racontent qu'à sa construction, les notables se bousculaient pour vivre dans cette barre d'immeuble, à l'architecture qui se voulait avant-gardiste, dont les courbes évoquaient la proue de bateau. Dans la cité Bel Ombre, construite en bordure d'autoroute, dans les quartiers est de Marseille on n'est certes pas sur le littoral, mais la mer n'est jamais bien loin. Chaque bâtiment porte le nom d'un phare. Mais aujourd'hui, les «gardiens» qui font le pied de grue devant les immeubles ne scrutent pas l'horizon, mais ils guettent les trafiquants de drogue.
Tout a commencé la semaine dernière. Dans cette cité, immense copropriété où tout le monde se connaît, la présence de très jeunes adolescents qui quadrillent le quartier interpelle rapidement les habitants. « Il y avait un guetteur à l'entrée, un autre de l'autre côté, certains montaient même dans les étages », raconte Mourad*, résident de longue date. Le portail d'entrée est cassé depuis des années, jamais réparé malgré les demandes répétées au syndic. La configuration des lieux en fait un endroit idéal pour la vente de stupéfiants, avec une entrée et une sortie différentes, le tout à proximité d'un axe routier. «Ici, on peut facilement installer un drive avec une entrée et une sortie», soupire Mourad.
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«Des gens ont appelé la police, mais elle n'est pas venue», poursuit-il. Sur les réseaux sociaux, un compte promeut ouvertement la vente de drogue au pied des immeubles. De nouveaux visiteurs débarquent furtivement devant les bâtiments, repartent après ce qui ressemble à des transactions avec les adolescents postés en bas des tours. Alors Mourad décide de prendre les choses en main. En bas d'une des tours de la cité, il croise Cédric. «Il m'a dit qu'il ne fallait pas qu'on se laisse faire, explique Cédric, qui habite aussi le quartier. Ça va très vite. Ça commence par un gars sur une chaise. Après ils fouillent ton sac. Le lendemain, tu n'es plus chez toi.» Le soir même, Mourad crée un groupe WhatsApp avec plusieurs habitants du quartier.
«On fait agent de sécurité»
Quelques heures après, les voilà qui organisent leur première ronde. Depuis une semaine, par dizaines, les habitants se relaient entre 19h30 et minuit pour passer leurs soirées dehors, et ainsi empêcher de voir leur cité devenir un point de deal de plus de la cité phocéenne. «J'habitais dans les quartiers nord avant, témoigne Hakim. Tout ça, je le connais par cœur. Je suis venu acheter ici il y a trois ans. Ce n'est pas pour retrouver ce que j'ai vécu, mais pour vivre dans un quartier calme. Je n'ai pas investi mon argent pour vivre dans l'insécurité. » «Maintenant, on ne travaille plus, on fait agent de sécurité», tente de plaisanter Cédric.
Dans une ville qui comptait encore 84 points de deal l'an dernier, la situation a visiblement surpris les trafiquants qui tentaient de s'implanter à Bel Ombre. « On leur a dit qu'on n'avait pas peur, explique Cédric. Ils ont peut-être des armes, mais nous, on a des enfants et on a peur de personne. On va se défendre. Un des gars m'a dit qu'ils étaient de la DZ Mafia et nous a demandé de partir.» Un des premiers soirs, une altercation éclate en effet entre les dealers et les habitants. «Ils ont été menaçants et ont dit qu'ils allaient brûler toutes nos voitures sur le parking», rapporte un habitant. «On en a déjà interpellé plusieurs et on leur a demandé de partir», poursuit un autre.
À la fin de la semaine dernière, alors que l'initiative avait été médiatisée, la préfète de police Corinne Simon décide de se rendre à la rencontre des habitants. Les voitures de police quadrillent la cité pendant qu'elle tente de calmer la situation. «Il est important que vous ne preniez pas le rôle des policiers, martèle-t-elle. Vous n'êtes pas formés pour ça. Je vous en prie, n'intervenez pas !» «Mais notre présence les fait partir», remarque Hakim. «Dès qu'on est 50, ils s'en vont.» «On veut garder la liberté de se promener dans le quartier sans avoir à être confronté à ces gens, donc on va continuer à essayer de garder ce rendez-vous», conclut Mourad.
«Ils n'ont pas peur»
Devant la préfète, c'est un sentiment d'abandon qui anime des habitants fatigués de voir leur cadre de vie se dégrader petit à petit. Une condition qui favorise également le trafic de drogue à les écouter. «Depuis très longtemps, on se sent délaissé par les policiers, explique ainsi Hakim. On a peur pour nos familles, nos femmes et de nos enfants. On ne sait plus à qui s'adresser. Il y a le point de deal, mais il y a aussi la gestion de notre copropriété. Notre ascenseur ne fonctionne plus depuis plusieurs années.» «Et les gens, ici, n'ont pas l'habitude de se battre pour leurs droits», soupire Mourad.
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Soudain, Sofiane, un habitant de la cité, interrompt la conversation. Une boîte à la main, il raconte avoir trouvé le récipient au fond de la cour, laissé là par un homme au comportement suspect. Une policière l'ouvre. Une forte odeur de cannabis en émane. Alors que les policiers sont à quelques mètres, un membre du réseau sévissait encore, sous les yeux des forces de l'ordre, et semble avoir délaissé précipitamment la marchandise du jour. « C'est incroyable, même là, ils n'ont pas peur, alors que les policiers sont à côté !», s'étrangle Sofiane.
«On ne vous lâchera pas et je propose de faire le point dans un mois», promet Corinne Simon. Lorsque la préfète repart avec les nombreux policiers, les habitants ont obtenu un numéro direct du commissariat de secteur. Depuis, selon Mourad, les policiers patrouillent beaucoup plus souvent à Bel Ombre, entre deux et trois fois par jour Les habitants continuent leurs rondes, armés de soda et parfois de merguez pour joindre l'utile à l'agréable. «Ça nous a permis aussi de renforcer les liens avec les gens du quartier et de créer de la cohésion», sourit Mourad. De leur côté, les dealers ont trouvé la parade. Sur les réseaux sociaux, le réseau de drogue qui se revendique maître à Bel Ombre propose désormais la livraison à domicile directement chez le client.
*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.
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