« On ne me fait ressentir aucune pression » : les confidences de Kévin Vauquelin sur l'avenir incertain d'Arkéa-B & B Hotels
À quelques heures du départ du Tour de France, chez Arkéa-B & B Hotels, chacun essayait de faire comme si de rien n'était. Didier Rous, le directeur sportif, annonçait en conférence de presse que toutes les questions sur l'avenir de l'équipe devraient être posées au patron, Emmanuel Hubert, mais pas aux coureurs. Il y avait là Arnaud Démare qui fait déjà figure d'ancien et Kévin Vauquelin, le leader désigné. Celui sur qui repose la lourde responsabilité de convaincre un nouveau partenaire de reprendre l'équipe après la confirmation, le 25 juin dernier, du retrait d'Arkéa et de B & B Hôtels à la fin de cette saison.
Le Normand et le Breton liés par une relation forte, tant professionnelle que personnelle, ont accepté un peu plus tard de se poser au calme, dans leur hôtel près de Lille, pour évoquer en toute transparence leurs espoirs, leurs doutes et la difficulté à vivre cette période d'incertitude. Sans savoir qu'au terme de la deuxième étape, Kévin Vauquelin serait maillot blanc et 4e du classement général du Tour...
« Où en êtes-vous dans votre quête d'un nouveau sponsor ?Kévin Vauquelin : Là, on est au début du Tour de France, on a du boulot devant nous. Évidemment, c'est normal de poser la question. Notre équipe, c'est 150 salariés et il est logique que chacun veuille savoir de quoi sera fait notre avenir. Certains ont connu cette situation par le passé et c'est compliqué pour eux. Notre rôle à nous, coureurs, c'est d'apporter des résultats qui permettront de la débloquer.
Emmanuel Hubert : C'est bien de voir un minot de 24 ans, comme Kévin, qui ne pense pas qu'à son nombril, même si son nombril nous aidera à trouver un repreneur. Je ne peux pas dire pas que tout va bien. Nos partenaires actuels ont annoncé qu'ils nous quitteront le 31 décembre, mais pour autant tout n'est pas fermé. Des personnes et des entreprises s'intéressent à nous parce qu'il y a un magnifique projet à poursuivre si on nous donne les moyens de pouvoir encore exister.
Qu'est-ce qui pourrait attirer un ou des partenaires qui n'a pas convaincu Arkéa et B & B de rester ?E. H. : Le cyclisme a besoin de se renouveler, de trouver de nouveaux axes, comme monétiser son système économique en supplément de l'apport des partenaires privés. Le système mono-managérial qui prédomine dans notre sport a peut-être atteint ses limites. On doit faire venir de nouvelles personnes et essayer de capitaliser nos structures. Pour reprendre le jargon cycliste, on peut avoir un fond de jante financier pour éviter de dépendre à 95 % d'un ou de deux partenaires principaux. Ce modèle est anxiogène, on le voit aujourd'hui pour notre équipe et les 150 personnes qui en vivent. Je comprends ceux qui ont peur mais il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas.
«Qu'il reste, qu'il s'en aille, qu'il ait déjà signé ailleurs ou pas, on s'en moque, car c'est cette histoire commune qui doit attirer un éventuel repreneur. »
Emmanuel Hubert, manager d'Arkéa-B & B Hotels.
Porter cette responsabilité n'est pas trop lourd pour vous, Kévin ?K. V. : Ma seule responsabilité pour le moment, c'est de mettre en valeur cette équipe parce que je suis un pur produit d'Arkéa-B & B Hôtels et de Samsic auparavant. Je suis arrivé là comme un petit coureur très insouciant, je ne connaissais pas le monde professionnel ni même le monde adulte. J'en suis là aujourd'hui grâce à toutes ces personnes qui ont fait et qui font l'équipe. Je suis vraiment le point de base de son identité bretonne, même si je suis normand.
E. H. : Moi, je ne veux surtout pas que Kévin porte cette responsabilité...
K. V. (le coupe) : On ne me fait ressentir aucune pression, c'est mon choix de faire ces interviews pour parler de notre situation. Je veux surtout redonner ce qu'on a pu m'apporter : mon palmarès actuel, ma façon de penser, ma manière de faire sur un vélo.
E. H. : Kévin n'est pas quelqu'un qu'on téléguide. Si je veux lui dire : ''écoute, ça serait bien de dire ça c'est noir'', s'il pense que c'est blanc, il dira que c'est blanc. C'est ce que j'apprécie chez lui, sa personnalité mais aussi le champion qu'il est en train de devenir.
Cela ne l'empêchera peut-être pas de vous quitter ?E. H : Mais c'est la vie. Je ne peux pas m'empêcher, à un moment donné, de l'imaginer très heureux ailleurs.
Depuis quelque temps, il est déjà annoncé dans d'autres équipes la saison prochaine...E. H. : Mais s'il accepte de faire cette interview avec moi, c'est parce que la situation est saine. Nous nous respectons et, à partir de là, il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Qu'il reste, qu'il s'en aille, qu'il ait déjà signé ailleurs ou pas, on s'en moque, car c'est cette histoire commune qui doit attirer un éventuel repreneur. Et peut-être que Kévin reviendra dans deux ans ou trois ans. Et il sera encore meilleur parce qu'il sera encore à l'apogée.
K. V. : On n'est que de passage, les coureurs comme les sponsors. Notre carrière dure entre dix à quinze ans, et les sponsors restent rarement vingt ans. Il faut donc juste comprendre notre parcours, comment les coureurs se sont construits dans cette structure. Chaque équipe a une trame qui permet à ses coureurs de grandir, et mes relations humaines avec Manu font partie de mon ancrage, ici. Ça doit être notre argument pour les sponsors. Ce que je vais dire est peut-être très vulgaire mais je me moquais clairement des sponsors avant, car le plus important à vendre c'est la performance. Je n'en ai rien à faire des points UCI, j'ai juste besoin de penser aux moyens dont j'ai besoin pour progresser encore et aller ensuite voir les sponsors avec ça en mains à leur vendre.
«Je suis parti de chez mes parents à 16 ans, j'ai appris sur le tas et on se construit comme ça. Chaque épisode, depuis mes débuts, est une brique dans ma construction, et la brique d'Arkéa est très imposante. »
Kévin Vauquelin.
Parvenez-vous à faire abstraction de tout ça sur le Tour ?K. V. : Je ne dis pas que c'est facile, chaque leader a des hauts et des bas. C'est la vie d'un sportif tout simplement. Mais le manque de sérénité de certains quant à notre avenir, dans le staff ou chez mes équipiers, me fait le plus mal au coeur. Je veux juste me dire que plus ils vont rouler pour moi, plus je ferai des résultats, et plus on aura une chance de voir un sponsor arriver. Moi aussi, il m'est arrivé de plonger cette saison comme au Grand Prix Indurain (le 5 avril) où j'ai eu une grosse baisse de moral.
Quand ça ne va pas dans la tête, physiquement, ça ne suit pas non plus. Mais je me suis mis moi-même un coup de pied au cul car je devais penser de manière différente. Juste après, j'ai gagné le Circuit de la Sarthe (le 11 avril). Des gens comme Thomas Voeckler m'ont aidé à surpasser ces difficultés, lui aussi les a connues. J'ai aussi beaucoup parlé avec Arnaud (Démare) de son expérience, j'avais besoin de toutes ces informations pour mieux appréhender mon rôle de leader mais aussi ma façon de percevoir ma vie personnelle. Ça m'a permis d'en arriver là. Essayer l'évolution, essayer l'expérience, c'est l'identité de notre équipe.
E. H. : Je crois à la destinée. À un moment donné dans la vie, il y a des passages plus positifs que d'autres, mais ça fait partie de la construction d'un homme. C'est un processus normal.
K. V. : Mais c'est le plus important. Laisser les choses venir, chaque situation nouvelle ne sera qu'une expérience supplémentaire. Je suis parti de chez mes parents à 16 ans, j'ai appris sur le tas et on se construit comme ça. Chaque épisode, depuis mes débuts, est une brique dans ma construction, et la brique d'Arkéa est très imposante. Je veux me servir de la situation de l'équipe aujourd'hui comme si c'était une chance de la vivre, pour apprendre à gérer ce genre de problèmes.
E. H. : Pour revenir à notre quête d'un nouveau partenaire, tant que la ligne n'est pas franchie, on doit foncer. Je reste très positif. La situation n'est pas super mais on a encore deux pattes, deux bras et une tête pour se battre et il y a des acteurs, nos coureurs, qu'on veut accompagner pour avoir plus de poids pour convaincre certains décideurs. On fait tous notre job, moi le mien, même si je ne vais pas forcer un patron à signer en bas de la page.
«Tout ce que je peux vendre, ce sont mes performances et crier haut et fort pour qu'on connaisse encore plus notre identité0. »
Kévin, sur le Tour de Suisse, vous évoquiez l'absence de cuisinier dans l'équipe. Quel message souhaitiez-vous lancer ?K. V. : Je sais que Manu et Hervé (Bombrun, le chef de presse) ont dû se chier dessus quand ils ont vu ce que j'avais dit (rires). Mais le message était à l'attention de ceux qui nous comparent aux grandes équipes contre lesquelles on court mais avec d'autres moyens que les nôtres. En Suisse, il a fallu faire des arbitrages financièrement, et on s'est privé du cuistot. Je voulais dire : regardez, il y a beaucoup de disparité entre les équipes. Mais on a vu des gars d'UAE notamment venir voir notre camion atelier, le soir à l'hôtel. Ils voulaient savoir comment on pouvait lutter avec ces moyens. C'est ce vent de fraîcheur que j'espère apporter à l'intérieur de l'équipe. Pour que ça se sente aussi auprès de nos supporters et de ceux qui s'intéresseraient à nous pour poursuivre l'aventure.
À un moment donné, il faudra donner une échéance aux coureurs ?E. H. : Ça va se faire en biseau parce qu'il n'y a pas de « closing », de date limite avant une fin de Tour de France. On sait que les patrons de boîtes sont pour la plupart en vacances en août. Alors si les négociations durent encore une semaine après le Tour, ce ne sera pas dramatique. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut vraiment avoir quelque chose de concret avant la fin du Tour pour pouvoir envisager la même photo de l'équipe d'aujourd'hui pour la saison 2026.
Kévin, combien de fois avez-vous interrogé votre patron sur l'avancée des négociations ?K. V. : Je ne lui pose jamais cette question. Je lui demande seulement s'il va bien.
E. H. : Il se préoccupe plus de ma santé et il a raison, parce qu'en fait, chacun son job.
K. V. : Je ne vais pas présenter nos dossiers auprès d'éventuels sponsors. Ce n'est pas mon rôle. Tout ce que je peux vendre, ce sont mes performances et crier haut et fort pour qu'on connaisse encore plus notre identité. J'espère réussir à le faire sur ce Tour. »
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