
Un grand marchandage se joue sur le dos de l'Ukraine au sommet de Washington
Donald Trump a reçu lundi les dirigeants européens et Volodymyr Zelensky pour une rencontre à la Maison-Blanche.
AARON SCHWARTZ/EPA
Jeronim Perovic est professeur d'histoire de l'Europe de l'Est à l'Université de Zurich, où il dirige le Center for Eastern European Studies. Il s'est rendu à plusieurs reprises en Russie et a vécu de près les années chaotiques de l'ère Boris Eltsine. Depuis le début de la guerre d'agression russe , il nous livre une analyse régulière des événements qui se déroulent actuellement en Ukraine.
Monsieur Perovic, comment s'est déroulée la rencontre entre le président ukrainien et le président américain cette fois-ci? Volodymyr Zelensky avait quitté en février la Maison-Blanche de manière prématurée, après un affrontement verbal inédit avec Donald Trump.
L'atmosphère semblait nettement meilleure. Mais ne nous faisons pas d'illusions. Trump aura très certainement exercé une forte pression sur Volodymyr Zelensky en coulisses. Il souhaite que Kiev accepte rapidement la paix, quitte à ce que l'Ukraine cède des territoires à la Russie ou renonce à son adhésion à l'OTAN.
Le président ukrainien et son peuple peuvent-ils souffler après le sommet de Washington, ou le sort de l'Ukraine est-il désormais scellé?
Ce n'est pas la fin de l'Ukraine, mais celle de l'illusion selon laquelle l'Occident aiderait le pays à récupérer les territoires perdus face à la Russie. La paix ne sera pas juste. L'Ukraine devra faire face à cette dure réalité.
Qu'ont obtenu les Européens, qu'a obtenu cette «coalition des bonnes volontés» qui a escorté Volodymyr Zelensky?
Il s'agit d'un signal fort adressé à la fois à l'Ukraine, à Trump et à Moscou. Les Européens sont prêts à jouer un rôle plus actif pour soutenir l'Ukraine et à assumer leurs responsabilités dans l'après-guerre.
Selon Jeronim Perovic, historien spécialiste de l'Europe de l'Est à l'Université de Zurich, «la paix ne sera pas juste. L'Ukraine devra faire face à cette dure réalité.»
DR
Que peuvent encore faire les Européens pour éviter que l'Ukraine ne tombe aux mains de la Russie? Lui fournir plus d'armes? Implanter des industries d'armement en Ukraine? Ou mettre en place une force de protection spéciale chargée de surveiller le maintien de la paix?
Pour moi, le problème majeur n'est pas que l'Ukraine manque d'armes ou d'argent. Il réside plutôt dans le fait que le pays manque de soldats. Quand les troupes russes ont récemment progressé près de la ville frontalière de Pokrovsk, certaines positions ukrainiennes ont été abandonnées. L'Ukraine peine à mobiliser de nouvelles troupes, car de nombreux soldats se battent sans relâche depuis le début de la guerre. Les Européens peuvent faire beaucoup, mais ils n'enverront pas de soldats combattre la Russie. Sur ce plan, l'Ukraine est seule.
Donald Trump a récemment accueilli à Anchorage Vladimir Poutine, «présumé responsable» de crimes de guerre en Ukraine, par des applaudissements. Comment qualifiez-vous cette attitude?
De nombreux Ukrainiens ont dû avoir l'estomac noué en voyant les images du sommet. Je ne considérerai cette rencontre comme positive que si elle contribue réellement à la paix. Mais nous ne savons pas si ce sera le cas à ce stade.
En Alaska, Vladimir Poutine et Donald Trump ont symboliquement amorcé un processus de réconciliation entre la Russie et les États-Unis.
AFP
Les images donnent l'impression que deux présidents partageant les mêmes idées se sont rencontrés. Vladimir Poutine sort-il gagnant du sommet en Alaska ?
Malgré toute cette effervescence diplomatique, il ne faut pas oublier que l'Ukraine compte peu pour Trump. Il ne voit pas en quoi l'engagement en faveur de Kiev sert les intérêts américains. Sans la guerre, il aurait probablement conclu depuis longtemps des accords économiques majeurs avec la Russie. Le conflit n'est pour lui que synonyme de facteur perturbateur. S'il ne parvient pas à mettre fin à cette guerre, comme il l'a promis, alors les Européens devront s'en charger. Sinon, il pourrait bien s'en prendre à nouveau au président ukrainien.
Poutine évoque sans cesse un nouveau Yalta, en référence à cette conférence de 1945 où les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale ont défini leurs zones d'influence en Europe. Le «maître du Kremlin» a-t-il trouvé en Trump le partenaire idéal pour atteindre cet objectif?
La dure réalité, c'est que l'ordre fondé sur des règles s'effrite et que la loi du plus fort reprend le dessus. Trump a fait comprendre à plusieurs reprises aux Ukrainiens qu'ils devaient céder face à la Russie, étant donné leur position de faiblesse. Nous nous dirigeons vers un ordre mondial qui me rappelle le Concert européen, mis en place par les négociateurs des traités de Vienne en 1815. Il s'agissait de reconstruire l'Europe après les guerres de la Révolution et de l'Empire, mais aussi d'établir un nouveau système international stable, un système qui convient parfaitement à Poutine, et, semble-t-il, à Trump.
Si l'on évoque un nouveau Yalta, comment les Européens doivent-ils se positionner?
Jusqu'à présent, les Européens ont fait preuve d'une solidarité remarquable envers l'Ukraine, leur visite à Washington en témoigne aujourd'hui. Mais la force de l'Europe dépend de celle de ses différentes parties. Et si les États-Unis se détournent de l'Ukraine, les Européens devront prouver qu'ils peuvent assumer un nouveau rôle géopolitique. Je suis plutôt sceptique à ce sujet.
Plusieurs dirigeants européens, ainsi que le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, ont accompagné le président ukrainien lors de sa rencontre avec Donald Trump à la Maison-Blanche.
ANDREW CABALLERO-REYNOLDS/AFP
Trump adopte la position de Poutine selon laquelle la paix doit être négociée pendant que les combats se poursuivent, sans cessez-le-feu. Pourquoi Poutine insiste-t-il sur ce point?
Parce que l'élan sur le champ de bataille est actuellement du côté russe. Pourquoi Poutine devrait-il arrêter les combats? Si l'Ukraine refuse de céder, ils se poursuivront jusqu'à ce que Poutine atteigne ses objectifs, par la force. La logique est aussi simple que cela.
Les Européens ont insisté auprès de Washington sur la nécessité d'une trêve. Ils ont évoqué une «trêve» ou un « cessez-le-feu ». Ils se retrouvent donc avec Poutine et Trump contre eux. Parviendront-ils malgré tout à leurs fins?
Je ne pense pas que Trump écoute beaucoup les Européens. Il laisse Poutine poursuivre ses bombardements jusqu'à la conclusion d'un accord qui satisfasse avant tout Moscou. Les Européens en auront besoin lorsqu'il s'agira de garantir la paix et de reconstruire l'Ukraine.
Trump a-t-il encore un moyen de pression sur Poutine? Les livraisons d'armes américaines touchent à leur fin, tandis que les sanctions ont été allégées. Il lui arrive même de tenir Volodymyr Zelensky pour responsable de la guerre, et cela même avant la rencontre d'Anchorage.
Je ne vois pas comment des pressions toujours plus fortes auraient pu dissuader Poutine de poursuivre ses attaques contre l'Ukraine au cours de ces trois dernières années et demie. La question est de savoir quels avantages Poutine verrait à cesser les combats ou à faire des concessions à l'Ukraine sur certaines questions. Par exemple concernant les futures garanties de sécurité.
Sans la pression occidentale, Poutine serait déjà à Kiev.
Tout à fait. L'entraide internationale a sauvé l'Ukraine, mais elle n'a pas suffi à empêcher Poutine de poursuivre ses attaques contre le pays. Il ne lâchera rien. L'Ukraine est devenue pour lui une question vitale.
Trump ne fera donc pas pression sur Poutine?
Trump est un homme d'affaires. C'est du donnant-donnant avec lui. Parmi les incitations envisageables figurent un assouplissement des sanctions ou la reconnaissance des territoires conquis par la Russie.
Steve Witkoff, envoyé spécial de Donald Trump, a déclaré publiquement que les États-Unis seraient au maximum disposés à offrir à l'Ukraine une garantie de sécurité équivalente à l'article 5 du traité de l'OTAN. Si c'est le cas, Poutine serait-il prêt à l'accepter?
Il faudra négocier à ce sujet. Poutine sait qu'il doit proposer quelque chose en échange à l'Ukraine. Dans le cas contraire, il est peu probable que Kiev soit prête à signer un accord de paix dans un avenir proche.
Trump évoque régulièrement un supposé échange de territoires. Mais l'Ukraine n'a pas de terres russes à troquer. Il ne s'agit que de céder des territoires à Moscou. À quelles pertes territoriales Kiev doit-elle s'attendre?
L'Ukraine devra coûte que coûte céder des territoires. Mais sur le plan de la politique intérieure, Volodymyr Zelensky pourrait se retrouver dans une position très délicate s'il fait des concessions trop importantes. Un retrait des troupes ukrainiennes du Donbass serait perçu par de nombreux Ukrainiens comme une «trahison». Le président ukrainien ne s'en remettrait guère politiquement sur le plan intérieur, et des troubles pourraient éclater en Ukraine. Un scénario qui ferait le jeu de la Russie.
En février 2022, Poutine s'attendait à une victoire rapide en Ukraine. La guerre dure depuis trois ans et demi. Quelle est sa stratégie? A-t-il des objectifs minimaux ou cherche-t-il à aller jusqu'au bout?
Poutine n'est pas connu pour être un aventurier. Il veut gagner la guerre, pas la perdre. Dans ce cas précis, il a mal calculé son coup et n'a pas atteint ses objectifs initiaux: renverser le gouvernement pro-occidental et contrôler la majeure partie de l'Ukraine. Il a donc dû adapter sa stratégie. S'il parvient à consolider tous les territoires déjà conquis et à s'emparer du reste du Donbass, il pourra présenter cela comme une victoire.
Les forces russes progressent sur la plupart des fronts. Poutine joue-t-il la montre pour pouvoir un jour posséder entièrement l'Ukraine?
Une conquête totale de l'Ukraine n'aboutira pas, et je pense qu'à Moscou, on le sait. Pour l'instant, Poutine cherche à mettre fin à cette guerre dans les conditions les plus avantageuses possibles.
On a l'impression que Poutine peut mener cette guerre aussi longtemps qu'il le souhaite. Il produit de l'armement en masse sans se préoccuper de ses lourdes pertes. Est-ce vraiment le cas?
La Russie a tout à fait les moyens de poursuivre la guerre, mais j'ai l'impression qu'elle souhaite éviter ce scénario. Les coûts sont énormes. Les moyens ne sont pas illimités. On mise sur la lassitude de l'adversaire et sur le fait que l'Ukraine finira par accepter les conditions de paix imposées par Moscou.
L'Ukraine peut-elle encore survivre en tant qu'État?
L'Ukraine en a les moyens. Elle va survivre en tant qu'État. J'espère seulement que les Ukrainiens préserveront l'unité nationale qu'ils ont forgée durant la guerre contre la Russie et qui leur a donné cette force. Le pire pour elle serait de retomber dans des guerres de tranchées politiques ou que les tensions sociales s'aggravent. C'est aussi pour cette raison que l'Europe doit soutenir l'Ukraine.
Une rencontre entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky pourrait avoir lieu dans deux à trois semaines. Qu'en attendez-vous?
Je doute que cela se fasse si rapidement. Même Trump ne peut pas l'imposer. Poutine ne rencontrera le président ukrainien que si ce dernier accepte en grande partie ses conditions. Par ailleurs, on sait que Vladimir Poutine ne considère pas le président ukrainien comme son égal, ce qui a jusqu'à présent exclu la possibilité d'échanges directs avec lui.
Une fois la guerre terminée, l'Ukraine pourrait-elle s'orienter vers l'Ouest et adhérer à l'UE ?
L'Ukraine doit avoir cette perspective à l'esprit. Sinon, elle aura fait tout cela pour rien: des concessions territoriales douloureuses à la Russie, et au final, aucune perspective européenne. Une vision de l'avenir qui déstabiliserait politiquement le pays à plus ou moins long terme.
Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan
À propos de la guerre en Ukraine Newsletter
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Autres newsletters Christof Münger dirige la rubrique Monde. Ce docteur en histoire analyse et commente la politique américaine. Divers reportages l'ont conduit en Irak, à Haïti ou au Congo. Avec son équipe, il planifie et produit la partie du journal consacrée aux nouvelles internationales. Plus d'infos @ChristofMuenger
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L'atmosphère semblait nettement meilleure. Mais ne nous faisons pas d'illusions. Trump aura très certainement exercé une forte pression sur Volodymyr Zelensky en coulisses. Il souhaite que Kiev accepte rapidement la paix, quitte à ce que l'Ukraine cède des territoires à la Russie ou renonce à son adhésion à l'OTAN. Le président ukrainien et son peuple peuvent-ils souffler après le sommet de Washington, ou le sort de l'Ukraine est-il désormais scellé? Ce n'est pas la fin de l'Ukraine, mais celle de l'illusion selon laquelle l'Occident aiderait le pays à récupérer les territoires perdus face à la Russie. La paix ne sera pas juste. L'Ukraine devra faire face à cette dure réalité. Qu'ont obtenu les Européens, qu'a obtenu cette «coalition des bonnes volontés» qui a escorté Volodymyr Zelensky? Il s'agit d'un signal fort adressé à la fois à l'Ukraine, à Trump et à Moscou. Les Européens sont prêts à jouer un rôle plus actif pour soutenir l'Ukraine et à assumer leurs responsabilités dans l'après-guerre. Selon Jeronim Perovic, historien spécialiste de l'Europe de l'Est à l'Université de Zurich, «la paix ne sera pas juste. L'Ukraine devra faire face à cette dure réalité.» DR Que peuvent encore faire les Européens pour éviter que l'Ukraine ne tombe aux mains de la Russie? Lui fournir plus d'armes? Implanter des industries d'armement en Ukraine? Ou mettre en place une force de protection spéciale chargée de surveiller le maintien de la paix? Pour moi, le problème majeur n'est pas que l'Ukraine manque d'armes ou d'argent. Il réside plutôt dans le fait que le pays manque de soldats. Quand les troupes russes ont récemment progressé près de la ville frontalière de Pokrovsk, certaines positions ukrainiennes ont été abandonnées. L'Ukraine peine à mobiliser de nouvelles troupes, car de nombreux soldats se battent sans relâche depuis le début de la guerre. Les Européens peuvent faire beaucoup, mais ils n'enverront pas de soldats combattre la Russie. Sur ce plan, l'Ukraine est seule. Donald Trump a récemment accueilli à Anchorage Vladimir Poutine, «présumé responsable» de crimes de guerre en Ukraine, par des applaudissements. Comment qualifiez-vous cette attitude? De nombreux Ukrainiens ont dû avoir l'estomac noué en voyant les images du sommet. Je ne considérerai cette rencontre comme positive que si elle contribue réellement à la paix. Mais nous ne savons pas si ce sera le cas à ce stade. En Alaska, Vladimir Poutine et Donald Trump ont symboliquement amorcé un processus de réconciliation entre la Russie et les États-Unis. AFP Les images donnent l'impression que deux présidents partageant les mêmes idées se sont rencontrés. Vladimir Poutine sort-il gagnant du sommet en Alaska ? Malgré toute cette effervescence diplomatique, il ne faut pas oublier que l'Ukraine compte peu pour Trump. 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Nous nous dirigeons vers un ordre mondial qui me rappelle le Concert européen, mis en place par les négociateurs des traités de Vienne en 1815. Il s'agissait de reconstruire l'Europe après les guerres de la Révolution et de l'Empire, mais aussi d'établir un nouveau système international stable, un système qui convient parfaitement à Poutine, et, semble-t-il, à Trump. Si l'on évoque un nouveau Yalta, comment les Européens doivent-ils se positionner? Jusqu'à présent, les Européens ont fait preuve d'une solidarité remarquable envers l'Ukraine, leur visite à Washington en témoigne aujourd'hui. Mais la force de l'Europe dépend de celle de ses différentes parties. Et si les États-Unis se détournent de l'Ukraine, les Européens devront prouver qu'ils peuvent assumer un nouveau rôle géopolitique. Je suis plutôt sceptique à ce sujet. 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Il laisse Poutine poursuivre ses bombardements jusqu'à la conclusion d'un accord qui satisfasse avant tout Moscou. Les Européens en auront besoin lorsqu'il s'agira de garantir la paix et de reconstruire l'Ukraine. Trump a-t-il encore un moyen de pression sur Poutine? Les livraisons d'armes américaines touchent à leur fin, tandis que les sanctions ont été allégées. Il lui arrive même de tenir Volodymyr Zelensky pour responsable de la guerre, et cela même avant la rencontre d'Anchorage. Je ne vois pas comment des pressions toujours plus fortes auraient pu dissuader Poutine de poursuivre ses attaques contre l'Ukraine au cours de ces trois dernières années et demie. La question est de savoir quels avantages Poutine verrait à cesser les combats ou à faire des concessions à l'Ukraine sur certaines questions. Par exemple concernant les futures garanties de sécurité. Sans la pression occidentale, Poutine serait déjà à Kiev. Tout à fait. L'entraide internationale a sauvé l'Ukraine, mais elle n'a pas suffi à empêcher Poutine de poursuivre ses attaques contre le pays. Il ne lâchera rien. L'Ukraine est devenue pour lui une question vitale. Trump ne fera donc pas pression sur Poutine? Trump est un homme d'affaires. C'est du donnant-donnant avec lui. Parmi les incitations envisageables figurent un assouplissement des sanctions ou la reconnaissance des territoires conquis par la Russie. Steve Witkoff, envoyé spécial de Donald Trump, a déclaré publiquement que les États-Unis seraient au maximum disposés à offrir à l'Ukraine une garantie de sécurité équivalente à l'article 5 du traité de l'OTAN. Si c'est le cas, Poutine serait-il prêt à l'accepter? Il faudra négocier à ce sujet. Poutine sait qu'il doit proposer quelque chose en échange à l'Ukraine. Dans le cas contraire, il est peu probable que Kiev soit prête à signer un accord de paix dans un avenir proche. Trump évoque régulièrement un supposé échange de territoires. Mais l'Ukraine n'a pas de terres russes à troquer. Il ne s'agit que de céder des territoires à Moscou. À quelles pertes territoriales Kiev doit-elle s'attendre? L'Ukraine devra coûte que coûte céder des territoires. Mais sur le plan de la politique intérieure, Volodymyr Zelensky pourrait se retrouver dans une position très délicate s'il fait des concessions trop importantes. Un retrait des troupes ukrainiennes du Donbass serait perçu par de nombreux Ukrainiens comme une «trahison». Le président ukrainien ne s'en remettrait guère politiquement sur le plan intérieur, et des troubles pourraient éclater en Ukraine. Un scénario qui ferait le jeu de la Russie. En février 2022, Poutine s'attendait à une victoire rapide en Ukraine. La guerre dure depuis trois ans et demi. Quelle est sa stratégie? A-t-il des objectifs minimaux ou cherche-t-il à aller jusqu'au bout? Poutine n'est pas connu pour être un aventurier. Il veut gagner la guerre, pas la perdre. Dans ce cas précis, il a mal calculé son coup et n'a pas atteint ses objectifs initiaux: renverser le gouvernement pro-occidental et contrôler la majeure partie de l'Ukraine. Il a donc dû adapter sa stratégie. S'il parvient à consolider tous les territoires déjà conquis et à s'emparer du reste du Donbass, il pourra présenter cela comme une victoire. Les forces russes progressent sur la plupart des fronts. Poutine joue-t-il la montre pour pouvoir un jour posséder entièrement l'Ukraine? Une conquête totale de l'Ukraine n'aboutira pas, et je pense qu'à Moscou, on le sait. Pour l'instant, Poutine cherche à mettre fin à cette guerre dans les conditions les plus avantageuses possibles. On a l'impression que Poutine peut mener cette guerre aussi longtemps qu'il le souhaite. Il produit de l'armement en masse sans se préoccuper de ses lourdes pertes. Est-ce vraiment le cas? La Russie a tout à fait les moyens de poursuivre la guerre, mais j'ai l'impression qu'elle souhaite éviter ce scénario. Les coûts sont énormes. Les moyens ne sont pas illimités. On mise sur la lassitude de l'adversaire et sur le fait que l'Ukraine finira par accepter les conditions de paix imposées par Moscou. L'Ukraine peut-elle encore survivre en tant qu'État? L'Ukraine en a les moyens. Elle va survivre en tant qu'État. J'espère seulement que les Ukrainiens préserveront l'unité nationale qu'ils ont forgée durant la guerre contre la Russie et qui leur a donné cette force. Le pire pour elle serait de retomber dans des guerres de tranchées politiques ou que les tensions sociales s'aggravent. C'est aussi pour cette raison que l'Europe doit soutenir l'Ukraine. Une rencontre entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky pourrait avoir lieu dans deux à trois semaines. Qu'en attendez-vous? Je doute que cela se fasse si rapidement. Même Trump ne peut pas l'imposer. Poutine ne rencontrera le président ukrainien que si ce dernier accepte en grande partie ses conditions. Par ailleurs, on sait que Vladimir Poutine ne considère pas le président ukrainien comme son égal, ce qui a jusqu'à présent exclu la possibilité d'échanges directs avec lui. Une fois la guerre terminée, l'Ukraine pourrait-elle s'orienter vers l'Ouest et adhérer à l'UE ? L'Ukraine doit avoir cette perspective à l'esprit. Sinon, elle aura fait tout cela pour rien: des concessions territoriales douloureuses à la Russie, et au final, aucune perspective européenne. Une vision de l'avenir qui déstabiliserait politiquement le pays à plus ou moins long terme. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos de la guerre en Ukraine Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Christof Münger dirige la rubrique Monde. Ce docteur en histoire analyse et commente la politique américaine. 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C'est pour cela qu'on a tendance à dire qu'on ressent l'influence de Genève lors de toutes négociations, peu importe où elles se déroulent.» D'un point de vue logistique, Genève est aussi intéressante. «La rénovation de l'aéroport a permis de créer des lieux de passages et de rencontre dans la zone. Cela permettrait d'organiser le sommet hors du centre-ville et du lac, qui ne seraient pas bloqués comme lors de la rencontre Biden-Poutine de 2021.» Cette dernière avait eu lieu au parc La Grange, fermant une bonne partie du quartier des Eaux-Vives et de la rade à la circulation. Immunité pour Poutine Achim Wennmann a aussi une remarque: «Pourquoi ne pas les faire se rencontrer au Palais des Nations? Après tout, les deux États en sont membres. Et ce serait une possibilité de donner un rôle aux Nations Unies dans ce conflit», sourit-il. 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