
La Suisse cherche encore et toujours le logiciel pour décoder Trump
Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin, ici lors de leur visite éclair à Washington.
keystone
En bref:
Négocier, encore et toujours. Négocier malgré le coup de massue économique et les humiliations politiques. Le Conseil fédéral a répété ce jeudi son mantra pour tenter de limiter les 39% de taxes américaines qui ont frappé la Suisse le 7 août.
Mais le gouvernement a un problème. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, il n'a jamais réussi à anticiper ses décisions. Pire, en six mois, le décalage entre Berne et Washington est devenu de plus en plus flagrant. Comme si le logiciel suisse déraillait lorsqu'il était face au président Trump.
Pour s'en rendre compte, il faut revenir sur quatre moments vertigineux pour le Conseil fédéral. Surprise, claque, puis taxes inimaginables sur les exportations
Novembre 2024. Trump vient d'être réélu et brandit la menace des droits de douane. Sachant que notre balance commerciale avec les États-Unis est positive, nous demandons à Guy Parmelin s'il faut s'inquiéter. «Les États-Unis ne peuvent pas nous accuser de protectionnisme, répond alors le ministre de l'Économie, qui estime la Suisse à l'abri. Comme nous avons abandonné les droits de douane sur les produits industriels, les Américains peuvent exporter chez nous sans restriction. Ce n'est pas le cas de nombreux autres pays.»
Or, le 8 mars, contre toute attente, les États-Unis placent la Suisse sur la liste de pays aux pratiques commerciales «déloyales».
Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin devant les médias ce jeudi.
keystone-sda.ch
Côté suisse, on y voit un malentendu. Des émissaires sont envoyés aux États-Unis pour expliquer à quel point nous investissons dans ce pays et à quels points les salaires versés par nos entreprises aux Américains sont élevés. Peu à peu, la confiance revient à Berne.
Mais le 1er avril, nouvelle claque, les États-Unis annoncent des taxes à 31% pour la Suisse, alors que l'UE est à 20%.
Sonné, le Conseil fédéral reconnaît que ses arguments martelés depuis des semaines n'ont pas été jusqu'à l'oreille de Trump. La présidente de la Confédération entre alors en piste. Karin Keller-Sutter obtient un appel avec le président américain. «J'ai manifestement réussi à établir le contact avec lui», dira-t-elle à «Blick» . En mai, avec Guy Parmelin, elle rencontre des ministres américains. La Suisse pense être à bout touchant d'un accord. Une déclaration d'intention est même envoyée le 4 juillet. On parle de droits de douane à 10%.
Le 1er août, l'inimaginable se produit: 39% de taxes pour la Suisse, l'un des pires pourcentages au monde. L'UE, elle, est à 15%.
On apprend alors que Karin Keller-Sutter a eu, la vieille, un appel compliqué avec Trump. Alors que l'ultimatum des 39% est fixé au 7 août, le Conseil fédéral enchaîne les séances de crise. Keller-Sutter et Parmelin tentent ensuite un voyage de la dernière chance à Washington le 5 août. Alors qu'ils sont dans l'avion, Trump rabaisse une dernière fois la présidente de la Confédération en racontant leur coup de fil: «La dame était gentille, mais elle ne voulait pas écouter.» La délégation du Conseil fédéral rentrera bredouille, sans avoir pu parler à Trump. Les droits de douane à 39% deviennent réalité.
À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Pourquoi l'équation est compliquée pour la Suisse
Cette séquence, cruelle pour la Suisse, témoigne du fossé qui sépare les certitudes helvétiques de la nouvelle réalité américaine.
«La Suisse n'arrive pas à décoder le logiciel du Trumpisme, qui change tout le temps de mise à jour, image Laurent Wehrli (PLR/VD), président de la commission de politique extérieure (CPE) du National. Mais il serait faux de dire que la Suisse a mal négocié. Notre déclaration d'intention a été validée par trois ministres américains, qui se sont engagés à donner leur aval à Trump avant qu'il ne tranche. Nous n'avons pas fait tout faux.»
Laurent Wehrli (PLR/VD), président de la Commission de politique extérieure du National.
Chantal Dervey
Pour le Vaudois, c'est Trump qui est déstabilisant. «Il aime les bras de fer. Le deal avec l'UE a été scellé dès que Bruxelles a envisagé des mesures de rétorsion. Le problème est que la Suisse est un pays de 9 millions d'habitants. Ce qui fait sa force – comme la neutralité ou le fait que nous soyons une puissance protectrice des USA en Iran –, Trump le juge sans importance.» La Suisse doit-elle prendre des mesures de rétorsion? «Il le faudrait certainement, mais il faudrait le faire avec intelligence pour éviter des conséquences encore plus dommageables pour la Suisse. C'est pour cela que l'équation est compliquée.»
Laurence Fehlmann Rielle (PS/GE) résume ainsi la situation: «La Suisse est une excellente négociatrice tant qu'il y a des règles. Mais comme Trump ne respecte pas le droit international et n'hésite pas à asséner des contre-vérités, ce savoir-faire vole en éclats.» Selon elle, le Conseil fédéral doit manifester son désaccord en rompant le contrat des avions de combat F-35, «pour faire comprendre à Trump qu'on ne roule pas la Suisse dans la farine».
Si elle comprend qu'il faut poursuivre les négociations, «mais sans les courbettes faites jusqu'ici» – la Genevoise estime qu'il faut surtout aider les entreprises à passer ce moment difficile. «Et préparer la suite, en renforçant les bilatérales avec l'UE, qui, contrairement aux USA, est un partenaire fiable.»
À l'autre bout de l'échiquier politique, Pierre-André Page (UDC/FR) pense que la Suisse doit surtout revoir sa stratégie économique. «Il faut diversifier davantage nos débouchés. Être aussi fortement dépendants de deux marchés, l'UE et les USA, n'est pas sain. Si nous voulons préserver les deux piliers de la Suisse que sont l'indépendance et la neutralité, il est indispensable d'élargir notre réseau commercial et politique à d'autres partenaires dans le monde.»
Alors que l'UDC se félicitait de l'élection de Trump, comment le Fribourgeois réagit-il à la punition reçue? «C'est la douche froide», admet-il, qui rappelle qu'à titre personnel, il ne s'est jamais prononcé en faveur de Trump. «Il est vrai que certains membres de mon parti voyaient d'un bon œil son accession au pouvoir, en raison de sa volonté affichée de défendre les intérêts de son pays avant tout. Si cette logique peut se comprendre sur le principe, la manière dont elle est appliquée aujourd'hui est problématique. À terme, il y aura un retour de balancier, et ce sont les citoyens américains qui risquent d'en payer le prix. Quant à Donald Trump, il ne sera peut-être plus là pour en assumer les conséquences.»
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Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes. Plus d'infos
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24 Heures
43 minutes ago
- 24 Heures
Droits de douane: les PME fustigent la position de l'UDC sur le chômage partiel
Les milieux économiques réclament l'extension du chômage partiel à vingt-quatre mois pour faire face aux taxes américaines. Une mesure soutenue par presque tous les partis, sauf l'UDC. Publié aujourd'hui à 10h01 Fabio Regazzi, président de l'Union suisse des arts et métiers et conseiller aux États, ne partage pas la position de l'UDC concernant les mesures à adopter face aux droits de douane punitifs de Donald Trump. CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE En bref: Les milieux économiques s'agitent depuis quelques jours, réclamant massivement une prolongation du chômage partiel, qui passerait de dix-huit à vingt-quatre mois. Les entreprises pourraient ainsi mieux faire face aux droits de douane américains élevés sans licencier leurs employés. Le principe est simple. Le chômage partiel permet de préserver la main-d'œuvre qualifiée et de redémarrer plus rapidement après une crise. L'idée bénéficie du soutien de presque tous les partis politiques, de la gauche à la droite. Paradoxalement, l'UDC s'y oppose, alors qu'elle se présente volontiers comme le parti de l'artisanat et de l'économie. Le parti a fait savoir cette semaine que prolonger le chômage partiel à deux ans ne serait pas opportun en période de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Cette position irrite l'Union suisse des arts et métiers (USAM), où l'UDC jouit traditionnellement d'un fort ancrage. Le conseiller aux États (C/TI) et président de l'USAM Fabio Regazzi ne mâche pas ses mots. «Je ne comprends pas que l'UDC s'oppose à une prolongation du chômage partiel à vingt-quatre mois. De nombreux commerces en ont besoin.» Selon lui, la mesure constitue un outil essentiel pour aider les PME exportatrices à surmonter les mois difficiles qui suivront le choc douanier. Le patron de l'USAM a les dirigeants de l'UDC dans le collimateur «L'UDC se présente comme le seul parti à défendre les entreprises. Pourtant, elle ne leur est pas toujours favorable.» Les têtes pensantes du parti sont dans le viseur du président de l'Union suisse des arts et métiers. «La direction de l' UDC est assez idéologique et oublie parfois la réalité des petites entreprises.» Fabio Regazzi se fait toutefois l'avocat des membres de l'UDC au sein de ses propres rangs. Selon lui, «la plupart des entrepreneurs proches de l'UDC sont pragmatiques» au sein de l'organisation patronale. «Des pages et des pages d'offres d'emploi» Le président de l'UDC, Marcel Dettling , se défend face aux reproches qui lui sont adressés. «L'UDC soutient totalement les entreprises.» Le désengagement du parti «à la prolongation du chômage partiel n'est pas un non idéologique», souligne-t-il. «Il n'est pas logique de maintenir artificiellement des emplois dans certains secteurs grâce aux indemnités de chômage partiel tandis que d'autres peinent à recruter.» Le Schwytzois évoque les nombreux postes vacants. Selon lui, il existe des «pages et des pages d'offres d'emploi» qui restent sans réponse. «Il est absurde de maintenir des personnes au chômage partiel tout en faisant venir des spécialistes de l'étranger.» Cela ne fait qu'accélérer la croissance démographique vers une Suisse à 10 millions d'habitants , ce qui ne peut pas servir «notre intérêt». Il plaide pour une approche différente. «Au lieu de maintenir artificiellement des personnes au chômage partiel, nous devrions les employer là où il y a du travail.» Une pénurie de main-d'œuvre à combler Selon le président de l'Union suisse des arts et métiers, l'argumentation de l'UDC ne correspond pas à la réalité. L'argument selon lequel il existe une pénurie de main-d'œuvre dans le pays et qu'il serait possible d'employer ces personnes ailleurs plutôt que de les mettre au chômage partiel demeure «purement théorique». «Premièrement, de nombreuses entreprises feraient faillite si nous ne les aidions pas à surmonter la période des droits de douane exorbitants.» Deuxièmement, il n'est pas envisageable d'employer des spécialistes dans une branche qui n'est pas la leur. Le président de l'UDC n'est pas de cet avis. Il reconnaît qu'«on ne peut pas embaucher du jour au lendemain un spécialiste dans n'importe quel autre métier». «Mais la pénurie ne touche pas seulement les enseignants, elle concerne de très nombreuses branches.» Le chômage partiel avait joué un rôle important pendant la pandémie . À l'époque, l'UDC était favorable à son extension. Contrairement à la situation qui se dégrade aujourd'hui pour de nombreuses entreprises exportatrices, la plupart des secteurs étaient touchés à des degrés divers. L'UDC avait alors fait valoir que le chômage partiel était nécessaire pour éviter des licenciements massifs et permettre une reprise économique rapide après le confinement. Les représentants du parti avaient salué cette mesure, qui permettait notamment d'assurer des liquidités et de maintenir le personnel qualifié dans le pays. Durant la crise sanitaire, la pénurie de main-d'œuvre qualifiée ne semblait pas poser problème. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos des droits de douane Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Mischa Aebi est rédacteur au Palais fédéral pour la «SonntagsZeitung». Auparavant, il a travaillé comme journaliste à la rubrique Suisse de la «Berner Zeitung». Avant de devenir journaliste, il a notamment enseigné les mathématiques et la physique à l'école professionnelle de Berne. Plus d'infos @mischa_aebi Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
2 hours ago
- 24 Heures
Entretien sur les taxes douanières: «Donald Trump n'y connaît rien aux droits de douane»
Le marteau douanier de Trump marque une césure dans l'histoire de l'après-guerre, explique l'historien Jakob Tanner. Décryptage des conséquences sur l'économie suisse. Publié aujourd'hui à 09h26 «La pression sur la Suisse ne doit pas être uniquement négative»: Jakob Tanner s'exprime sur les droits de douane punitifs de Trump. FLORIAN BACHMANN En bref: Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Suisse s'est toujours sentie mise sous pression par les États-Unis, explique Jakob Tanner. Le trumpisme marque toutefois une césure dans l'histoire de l'après-guerre. Il est une sorte de nouveau régime politique qui rêve de toute-puissance. Il signe le triomphe du nihilisme jubilatoire. Toutefois, les droits de douane imposés par les États-Unis pourraient aussi avoir des retombées positives pour la Suisse, ajoute l'historien spécialisé en économie. Après le récent coup de marteau douanier, la Suisse subit une pression économique et politique sans précédent. Une situation unique dans l'histoire suisse? Depuis la Seconde Guerre mondiale, la pression exercée par les États-Unis constitue un élément central des liens qui unissent les deux pays. « Friendship under Stress » est le titre d'une étude publiée en 1970 par Heinz K. Meier sur les relations entre Washington et Berne. Y a-t-il déjà eu des moments de tension dans les relations entre les États-Unis et la Suisse? Oui, des représentants des autorités suisses ont dû se rendre à Washington en 1946 pour s'expliquer sur les transactions d'or volé qu'elles avaient menées avec l'Allemagne nazie. Au final, la Reichsbank allemande n'a pas eu à rembourser l'intégralité de ses achats d'or, contrairement à ce qu'avaient annoncé les Alliés. La position américaine avait alors profondément choqué la Suisse. Même après la fin de la guerre froide, les États-Unis ont semblé exercer une pression excessive sur la Suisse et mener une véritable guerre économique, notamment au début de l'année 1997, dans le contexte du débat sur les fonds en déshérence. À l'époque, on a évoqué un chantage. À juste titre? Non, il ne s'agissait pas d'un chantage, mais d'une demande légitime de clarification et de restitution des biens spoliés à la période nazie. La situation de l'époque n'est pas comparable à celle d'aujourd'hui. Donald Trump brandit le marteau douanier contre l'ensemble de l'économie suisse. Cette situation est historiquement inédite et reflète l'imprévisibilité du président américain. Il mise sur la loi du plus fort. Il rompt ainsi avec la doctrine du libre-échange, qui a favorisé le développement du commerce international et a permis la prospérité depuis la Seconde Guerre mondiale. D'après l'historien Jakob Tanner, «c'est une situation historiquement nouvelle, qui est aussi l'expression de l'imprévisibilité de Donald Trump». TIL BÜRGY/KEYSTONE Dans quelle mesure? Trump pratique une sorte de jeu perdant-perdant à grande échelle. Il admet lui-même que les Américains seront perdants, du moins à court terme. Mais les autres pays devraient pâtir davantage des droits de douane, ce qui placerait alors les États-Unis en position de force, notamment face à la Chine. C'est du moins ce que l'on espère outre-Atlantique. Dans l'après-guerre, une vision radicalement différente prévalait avec la division internationale du travail. Elle correspond à la répartition mondiale des productions en fonction des avantages comparatifs et spécialisations de chaque pays industrialisé. Existait-il un jeu de pouvoir économique avant Trump? Il ne faut pas idéaliser la doctrine du libre-échange. L'impérialisme et les rapports d'exploitation, notamment envers le Sud global, ne datent pas d'hier. Mais la croissance économique d'après-guerre n'a été possible qu'en partant du principe de la pensée libérale. Selon cette doctrine, l'interaction économique entre les individus crée de la valeur, et donc entraîne un jeu à somme positive. Le jeu perdant-perdant de Trump s'inscrit dans une longue tradition protectionniste américaine aux conséquences désastreuses, que l'on a abandonnée à juste titre après la Seconde Guerre mondiale. En Suisse, un sentiment d'injustice prévaut. Est-ce justifié? Il n'est pas juste d'isoler un pays en lui imposant des droits de douane exorbitants. Cependant, si la Suisse est aussi seule, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Mais vouloir contrer Trump avec la raison, c'est tomber dans son piège et sous-estimer son imprévisibilité. Je ne suis pas partisan du «jeu des reproches» auquel on assiste, selon lequel certains secteurs d'entreprises suisses ou personnes seraient responsables du fait que le marteau douanier de Trump nous frappe si durement. Les critiques envers l'industrie pharmaceutique suisse sont certes justifiées. Cette division génère d'importants bénéfices aux États-Unis et son directeur général perçoit 19 millions de francs par an, soit plus que Sergio Ermotti chez UBS. Toutefois, ces griefs ne justifient pas ce qui se passe actuellement. Les prix des médicaments des entreprises pharmaceutiques suisses sont-ils trop élevés aux États-Unis? Pas seulement ceux des fabricants suisses. Le problème du prix des médicaments aux États-Unis est plus général. Il a commencé sous Ronald Reagan, qui a favorisé l' industrie pharmaceutique , enterrant l'image de la free American enterprise . La crise des opioïdes illustre également les dysfonctionnements du système de santé américain. À une époque, plus de 100'000 personnes mouraient chaque année à cause de prescriptions d'analgésiques inappropriés et d'abus de ces médicaments. Cela n'a rien à voir avec les droits de douane. Lorsque la Suisse a mené les négociations avec les États-Unis sur les droits de douane, il a été question d'une «relation privilégiée». Était-ce de la naïveté? Oui. L'idée d'une relation particulière entre les «républiques sœurs», comme on désigne les États-Unis et la Suisse, remonte au siècle des Lumières. En réalité, ces deux pays si différents se sont toujours mutuellement inspirés. Prenons l'exemple du système bicaméral, que la Suisse a adopté des États-Unis en 1848, avec le Conseil des États et le Conseil national, ou encore la démocratie directe, qui a fortement influencé les États-Unis après 1874. Mais Trump n'est pas comme ses prédécesseurs. Avant les élections de 2016, j'avais déjà écrit que, s'il arrivait au pouvoir, la Suisse pourrait enterrer sa philosophie des «républiques sœurs». Pourquoi? Trump impose l'arbitraire, se moque de tout et prend plaisir à être sous les feux de la rampe. Quand le conseiller fédéral Albert Rösti a déclaré en 2024 qu'il préférait Trump à Kamala Harris, j'ai été surpris qu'il ne saisisse toujours pas l'orientation que les États-Unis prendraient sous l'ère du candidat républicain. J'ai également été étonné des propos de Karin Keller-Sutter à propos des mots du vice-président américain J. D. Vance: «C'était un discours libéral, dans un certain sens très suisse.» Jakob Tanner est professeur émérite à l'Université de Zurich. Son ouvrage «Histoire de la Suisse au XXe siècle» est une référence. FLORIAN BACHMANN En agissant ainsi, vous tombez dans ce fameux «jeu des reproches» que vous critiquez pourtant. Non, je critique les positions de Karin Keller-Sutter et d' Albert Rösti , qui se sont trompés sur les intérêts de la Suisse. Par blame game , j'entends les accusations à court terme qui visent à faire endosser à d'autres la responsabilité des décisions arbitraires de Trump. Les droits de douane record ne sont pas imputables à l'industrie pharmaceutique suisse, ni aux exportations d'or , ni même au coup de téléphone raté de la présidente de la Confédération. La politique commerciale de Trump se place sous le signe de l'arbitraire et de la sanction. Les déclarations de complaisance ne permettront pas de rallier un dirigeant comme Trump à leur cause, bien au contraire. Durant sa campagne électorale, Trump a répété à plusieurs reprises qu'il augmenterait les droits de douane. La Suisse ne s'y est-elle pas suffisamment préparée? Trump s'est toujours présenté comme un partisan des droits de douane et a qualifié ces derniers de plus beau concept de l'économie politique. Mais si l'on examine de plus près ce qu'il entend par droits de douane, c'est totalement incohérent. Il les utilise comme moyen de pression politique. Il veut remplir les caisses de l'État et relocaliser la production aux États-Unis. Tout cela ne tient pas debout. Si Trump parvenait effectivement à rapatrier des entreprises sur le sol américain, les importations chuteraient mécaniquement et les droits de douane perdraient leur utilité comme source de revenus fiscaux. Le chantage politique que Trump exerce contre le Brésil relève aussi de l'aberration économique. Il ne comprend manifestement rien aux droits de douane. La Suisse a toujours su s'adapter. Cette fois, elle semble peiner à y parvenir. En effet. Certaines entreprises, notamment les PME, n'auront d'autre choix que la faillite . Elles seront remplacées par des concurrents qui bénéficient de droits de douane plus avantageux, notamment ceux provenant de l'espace européen. Le sud de l'Allemagne compte notamment de nombreuses PME spécialisées dans la mécanique de précision. Si ces entreprises parviennent à livrer aux États-Unis à des prix nettement plus bas, leurs concurrentes suisses risquent d'être dépassées. Les conséquences seront multiples. Mais l'histoire récente montre que la pression exercée sur la Suisse n'est pas forcément négative. À quoi faites-vous allusion? Lorsque la Banque nationale suisse a abandonné le taux plancher du franc à 1,20 face à l'euro en 2015, la monnaie helvétique s'est envolée. Cette décision a durement touché de nombreuses entreprises. Mais la décimation que certains craignaient pour l'industrie d'exportation suisse ne s'est pas produite. La Suisse s'engage désormais dans une dynamique d'investissement pour accroître sa productivité, sous la pression conjuguée des droits de douane et de la dépréciation monétaire. On s'attend à ce que des dizaines de milliers d'emplois soient supprimés à cause des droits de douane de Trump. C'est un drame, surtout pour les petites et moyennes entreprises qui misent sur la Suisse comme site de production et qui, contrairement aux grands groupes, ne peuvent pas délocaliser leurs chaînes d'approvisionnement vers l'Union européenne. Mais les exportateurs qui survivront auront de bonnes perspectives. La Suisse pourrait connaître un élan positif quelques années après l'entrée en vigueur des droits de douane, tandis que les États-Unis auront du mal à relancer la construction de machines et l'industrie automobile dans la Rust Belt («Ceinture de rouille), région industrielle du nord-est des USA. Vraiment? Les emplois de la Rust Belt ont disparu car le pays n'était plus compétitif dans ces secteurs. Selon certaines études, la désindustrialisation aux États-Unis s'explique aux deux tiers par des facteurs internes, et seulement pour un tiers par la concurrence des importations étrangères. En réalité, les États-Unis font face à un problème lié à la technologie et aux infrastructures. «La Suisse devra se tourner davantage vers l'Union européenne», selon Jakob Tanner. AFP Quelle solution pour la Suisse? Se rapprocher davantage de l'UE, développer ses relations avec la Chine ou, comme le préconisent notamment les représentants de l'UDC, continuer à miser sur Trump et cultiver les meilleures relations possibles avec les États-Unis? La Suisse ne pourra pas faire grand-chose face à la politique américaine, qui échappe à tout concept. Elle y investit déjà douze fois plus par habitant que les pays de l'UE, sans que cela lui serve à grand-chose. En soutenant Trump, les représentants de l' UDC , motivés avant tout par des considérations de politique intérieure, tentent de rendre acceptable en Suisse le modèle autoritaire qu'il incarne. L'objectif est de réduire les acquis sociaux, d'afficher de bonnes relations avec Washington et de légitimer son modèle autoritaire dans notre pays. Qu'en est-il de la Chine? Une orientation vers la Chine soulève de sérieuses inquiétudes en raison des violations des droits humains qui y ont lieu. Reste l'UE. Concernant les valeurs fondamentales, l'affinité avec la Suisse est forte. En termes d'échanges commerciaux, la Suisse est depuis des décennies déjà plus intégrée économiquement à l'UE que de nombreux pays fondateurs. La Suisse devra donc se tourner davantage vers l'Union européenne. Lors de la prochaine votation sur les Bilatérales III, elle a l'occasion de poser les jalons pour l'avenir. Traduit de l'allemand par Emmanuelle Stevan À propos des droits de douane Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l'info? «24 heures» vous propose deux rendez-vous par jour, pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre Canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Andreas Tobler est journaliste. Il a étudié à Berne et à Berlin. En 2021, il a été élu journaliste culturel suisse de l'année. Plus d'infos @tobler_andreas Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.


24 Heures
3 hours ago
- 24 Heures
Éditorial sur Donald Trump: la loi du plus fort, jusqu'à quand?
Accueil | Opinion | Éditorial | Opinion Les surtaxes douanières délirantes infligées par le président américain constituent la suite logique d'un processus inquiétant, engagé depuis son retour au pouvoir. Éditorial Publié aujourd'hui à 07h59 Donald Trump embarque dans l'avion présidentiel «Air Force One» le 1er août 2025, dans le New Jersey. Un jour noir pour l'économie suisse, lorsque est tombé le couperet des droits de douane de 39% pour les produits suisses entrant aux États-Unis. Getty Images via AFP Et de trois pour Donald Trump. Depuis son retour à la Maison-Blanche, le Républicain s'est empressé d'envoyer à la poubelle l'Accord de Paris sur le climat, comme il l'avait fait durant son premier mandat. Il a ensuite retiré les États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé , coupant du même coup une bonne partie de son financement. Et voilà qu'il impose au monde entier des taxes douanières arbitraires, délirantes, au mépris des règles du commerce international. Le résultat fait froid dans le dos. Qui se soucie encore de la lutte contre le réchauffement climatique? Qui s'inquiète de la prochaine épidémie qui frappera la planète? Certainement par l'administration Trump, qui vient de raboter le financement des vaccins à ARN messager . On pourra sans doute bientôt ajouter à cette liste l'échec des négociations en vue d'un traité mondial contre la pollution plastique, qui se jouent à Genève. La réticence de Washington s'ajoute en effet à l'opposition des principaux pays pétroliers. Ce que la Suisse a constaté à ses dépens cette semaine, en écopant de droits de douane parmi les plus élevés au monde , n'est donc que la suite logique d'un processus enclenché depuis l'investiture de Donald Trump: l'Amérique d'abord, toujours l'Amérique, rien que l'Amérique. L'homme d'affaires new-yorkais cherche la croissance économique, donc à augmenter la productivité de son pays. Il s'y emploie, coûte que coûte, comme il l'a promis à ses millions d'électeurs. En mettant une pression énorme sur les gouvernements étrangers. De toute évidence, ce ne sont pas ses partenaires internationaux qui le feront changer de cap. Donald Trump mène son business comme bon lui semble. L'humiliation en règle infligée à Karin Keller-Sutter et à Guy Parmelin le démontre encore une fois. Le président américain ne croit qu'en la loi du plus fort. Et le plus fort, c'est lui. Si cette stratégie fait transpirer le Conseil fédéral et les entreprises exportatrices suisses , elle devrait s'avérer payante au pays de l'Oncle Sam – au moins dans un premier temps. L'accord signé avec l'Union européenne, en échange de taxes limitées à 15%, annonce des investissements supplémentaires et des achats massifs d'énergie aux États-Unis. Une voie que la Suisse espère suivre à son tour pour tenter d'atténuer la claque des 39% reçue le 1er août. Acheter américain, produire des médicaments sur place: l'offre devra être lourdement lestée si l'on veut avoir une chance de trouver grâce aux yeux du grand patron. Il va donc pleuvoir des milliards au pays de Donald Trump. Il pourra ainsi réduire les impôts des ménages les plus riches, conformément à son plan. Cependant, de premières fissures apparaissent . La création d'emplois n'atteint pas les niveaux escomptés. Les nouvelles surtaxes douanières font planer la menace d'une augmentation des prix qui pourrait fâcher les classes moins aisées. Des élus républicains de haut rang redoutent un affaiblissement de leur camp lors des élections parlementaires de mi-mandat, dans un peu plus d'un an. De quoi freiner, peut-être, le rouleau compresseur Trump. La Suisse face aux taxes douanières Patrick Monay est rédacteur en chef du Matin Dimanche et membre de la rédaction en chef romande de Tamedia. Il a dirigé la rubrique Suisse de 2018 à 2023, après avoir couvert l'actualité des cantons romands dès 2012. Plus d'infos @PatrickMonay Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.