
La « chasse aux sorcières » brésilienne
Mais dans le cas de l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro, accusé d'avoir conspiré pour rester au pouvoir après sa défaite de 2022, Donald Trump en a ajouté une couche.
Droits de douane
Dans une lettre frappée du sceau de la Maison-Blanche et adressée à son homologue brésilien actuel, Luiz Inácio Lula da Silva, Trump a demandé la semaine dernière un arrêt du processus judiciaire contre Bolsonaro, « IMMÉDIATEMENT ». Avant d'enchaîner sur une menace d'imposer des droits de douane de 50 % dès le 1er août, justifiés « en partie », écrit-il, par « les attaques insidieuses sur les Élections Libres » et une « censure » des médias sociaux américains au Brésil.
Le pays d'Amérique du Sud est l'un des rares à ne pas avoir de déficit commercial avec les États-Unis.
« C'est très inquiétant », a réagi Feliciano Guimarães, directeur universitaire du Brazilian Center for International Relations, joint à São Paulo. Non seulement parce que les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial du Brésil, mais, surtout, pour la raison mise de l'avant.
C'est de l'ingérence dans les élections brésiliennes et dans l'indépendance de notre appareil judiciaire.
Feliciano Guimarães, directeur universitaire du Brazilian Center for International Relations
Le président Lula a lui aussi dénoncé une « ingérence » et promis d'imposer des droits réciproques si les États-Unis allaient de l'avant.
Cour suprême
Mais même s'il s'était montré ouvert aux demandes de Trump, il n'aurait pas eu le pouvoir de dicter à la justice l'abandon des accusations contre son prédécesseur.
Ni d'adopter une nouvelle loi pour contourner la décision récente de la Cour suprême du Brésil pour rendre les plateformes en ligne responsables du contenu transmis sur leurs sites. Les géants du web – américains – s'exposent donc à des poursuites coûteuses si elles ne mettent pas en place une meilleure modération du contenu.
PHOTO DIEGO HERCULANO, ARCHIVES REUTERS
Le juge Alexandre de Moraes
L'un des juges brésiliens, Alexandre de Moraes – responsable du dossier Bolsonaro – est particulièrement dans la ligne de mire du camp MAGA, notamment pour son rôle contre les géants du web. Au Brésil, il est perçu comme une figure particulièrement puissante. Et clivante.
L'entreprise médiatique de Trump a déposé une poursuite contre lui en février, l'accusant de censurer des voix de droite. Elon Musk a aussi eu maille à partir avec le juge de la Cour suprême, quand X a été mis hors d'accès après le refus de l'entreprise de suspendre des comptes menaçant la démocratie au Brésil. Le réseau social s'est ensuite plié à la loi brésilienne et a de nouveau été rendu accessible.
Le camp Trump a souvent dénoncé les « attaques contre la liberté d'expression ». Et, encore, dans la missive évoquant les droits de douane.
« Il y a peu de pays démocratiques qui ont une vision aussi absolutiste de la liberté d'expression que les États-Unis, souligne Rafael Ioris, spécialiste du Brésil rattaché à la University of Denver. Au Brésil, la loi encadre la liberté d'expression ; on ne peut pas juste accuser quelqu'un sans preuve, par exemple. »
Divisions
Trump n'a pas caché son respect pour Bolsonaro, parfois surnommé le « Trump des Tropiques ». L'actuel président du Brésil en est un peu l'antithèse.
Avec sa sortie médiatique, le résidant de la Maison-Blanche tente peut-être d'influencer le cours de l'élection brésilienne de 2026 en appuyant la famille Bolsonaro – les fils de l'ancien président étant eux aussi en politique – ou un candidat plus aligné avec ses valeurs, craint M. Guimarães.
Si de nombreux Brésiliens ont reçu les commentaires avec surprise et indignation, les partisans de l'ancien leader voient les choses d'un autre œil.
Le Brésil est un pays très polarisé, très divisé politiquement – une situation semblable à ce qu'on voit aux États-Unis, au-delà même des ressemblances entre Trump et Bolsonaro.
Rafael Ioris, spécialiste du Brésil rattaché à la University of Denver
Donc une partie de la population « a applaudi, en disant que c'est une mesure pour restaurer la démocratie », ajoute Rafael Ioris.
La base MAGA perçoit aussi Trump comme un « chevalier », un homme fort qui se porte à la défense d'un autre leader, avance David Haglund, professeur d'études politiques à la Queen's University. Mais c'est également dans le style du président américain de rappeler ses propres expériences en se portant à la défense d'autres politiciens dans la même veine.
« Le président américain est très sensible à sa propre expérience : il pense qu'il a été traité injustement par la justice américaine et il lie son expérience à celle de Jair Bolsonaro, en soutenant qu'il avait raison d'évoquer une fraude pour sa défaite électorale de 2022, comme lui-même le prétend pour les élections américaines de 2020 », souligne-t-il.
L'assaut du Congrès brésilien, de la Cour suprême et du palais présidentiel à Brasília le 8 janvier 2023 par des milliers de partisans du président défait a souvent été comparé aux évènements de la même veine à Washington en janvier 2021.
Avec le New York Times
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4 hours ago
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Nixon, Trump… et les dangers du vilain mois d'août
Un montage demandant à l'administration Trump de rendre publics les dossiers du procès de Jeffrey Epstein défilait sur les écrans géants de Times Square, à New York, vendredi. Le 8 août, il y aura 51 ans que le président Richard Nixon démissionnait, mettant fin à presque deux ans de crise politique, à la suite d'une tentative ratée d'espionnage des conversations téléphoniques du Parti démocrate. Aujourd'hui, c'est une affaire beaucoup plus triviale qui nuit à la crédibilité de M. Trump : la promesse abandonnée de publier tous les dossiers de l'affaire Jeffrey Epstein, un ancien ami de M. Trump accusé de trafic sexuel de mineures avant d'être retrouvé mort en 2019 dans une prison de New York. Les deux affaires sont bien différentes, mais un demi-siècle plus tard, Donald Trump se retrouve un peu dans la même situation que Nixon. PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Richard Nixon, en novembre 1973, moins d'un an avant sa démission comme président des États-Unis Pas à cause de ce qui lui est reproché – qui, pour ce qu'on en sait, peut paraître assez bénin si on le compare au Watergate –, mais parce que lorsqu'on est président des États-Unis, le fait d'avoir l'air de cacher la vérité est plus grave que tout. It's not the crime, it's the cover-up (« Ce n'est pas le crime, c'est la tentative de le camoufler »), disait-on à l'époque de Nixon. En fait, la crédibilité des deux présidents a été largement abîmée par leurs propres actions : tous les deux ont donné l'impression qu'ils avaient quelque chose à cacher. Ce qui est la meilleure façon de perdre la confiance des électeurs. Mais dans ces affaires, toute évolution est lente et un président a de nombreux moyens de retarder les enquêtes, qu'elles soient ordonnées par des juges ou par des législateurs. De même, il y a toujours moyen de faire diversion. M. Nixon se servait de sa compétence reconnue en affaires internationales et multipliait les visites officielles pour montrer ses qualités de chef d'État, mais surtout pour échapper à l'air vicié de Washington. Donald Trump préfère s'en prendre aux démocrates – et surtout à son ennemi juré Barack Obama – qu'il accuse maintenant de haute trahison. Rien de moins… PHOTO RICHARD CARSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS Donald Trump serrant la main de Richard Nixon à Houston, au Texas, en 1989 Richard Nixon avait beaucoup de choses à cacher : il niait toute implication dans la tentative d'espionnage des bureaux du Parti démocrate situés dans l'édifice du Watergate, qui donnera son nom à ce scandale. Et il avait fait enregistrer toutes les conversations qui s'étaient déroulées dans le bureau Ovale et dans d'autres lieux qu'il utilisait. Un stratagème qui fut dévoilé grâce à une enquête du Sénat. Mais même une fois ce fait établi, M. Nixon a résisté plus d'un an avant d'être forcé de remettre les enregistrements par un jugement unanime de la Cour suprême en juillet 1974. Quelques jours plus tard, on trouvait un enregistrement, surnommé le « Smoking Gun », qui établissait hors de tout doute que M. Nixon était tout à fait informé de la tentative d'espionnage des démocrates et des tentatives de tout étouffer. Ses appuis, jusque-là indéfectibles, se sont effondrés. Il a démissionné quelques jours plus tard. Comme quoi, en politique, quand on fait tout pour reculer d'inévitables échéances, on perd nécessairement sa crédibilité. Et, tout aussi inévitablement, on finit par perdre l'appui de ses soutiens les plus fidèles. Ce qui commence à être inquiétant pour M. Trump. Jusqu'ici, il a pu compter sur l'appui indéfectible de sa base, le mouvement MAGA (Make America Great Again). Mais il y a des signes que cela est en train de changer. Un sondage récent de la réputée Université Quinnipiac montrait que 63 % des Américains désapprouvent la manière dont l'administration Trump gère l'affaire Epstein, contre seulement 17 % qui l'approuvent1. PHOTO JACQUELYN MARTIN, ASSOCIATED PRESS Le président des États-Unis, Donald Trump, vendredi, à Ayrshire, en Écosse Et la division s'installe au sein même de son parti : 40 % des républicains approuvent les actions du président, mais un nombre presque équivalent d'entre eux, soit 36 %, les désapprouvent. Une érosion substantielle de la base électorale du président Trump. Mais M. Trump ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Il est totalement incapable de ne pas faire la promotion de toutes les controverses, bobards et autres faussetés qu'il croise. De Barack Obama qui n'était pas né aux États-Unis – et ne pouvait donc pas être légalement président – au prétendu vol par les démocrates de l'élection présidentielle de 2020… sans pouvoir donner la moindre preuve. De même, c'est lui qui a promis de faire toute la lumière sur le scandale Epstein, redonnant vie aux allégations selon lesquelles il y aurait une liste de ses clients et qu'on y découvrirait plusieurs grands noms de la politique et de la société américaine. Une preuve de corruption généralisée qui renforçait la promesse de M. Trump de « nettoyer le marécage » (drain the swamp), a-t-il répété maintes fois. Après avoir été informé que son nom se retrouvait dans les dossiers du procès Epstein, M. Trump est passé en mode « circulez, y a rien à voir », se fâchant même contre ses propres partisans (« mes anciens partisans », a-t-il écrit) qui voulaient qu'il tienne sa promesse. Des « anciens partisans » qui commencent à vaciller. Et malheureusement pour M. Trump, en août, il y a peu d'occasions de cacher les mauvaises nouvelles. Consultez le sondage (en anglais) Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue


La Presse
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Saint-Wenceslas : une église et ses secrets…
Le Québec compte plus de 500 municipalités avec des noms de saints ou saintes. Mais qui se souvient des personnages qui ont inspiré ces toponymes ? Dans cette série estivale, La Presse va sur les traces de cet héritage catholique. Saint-Wenceslas Année de fondation : 1864 1864 Population : 1200 1200 Point d'intérêt : Fondé par un agronome et un biologiste moléculaire, le vignoble Riparia se spécialise dans la vigne indigène du Québec. Le lieu est aussi reconnu pour l'observation des oiseaux, avec sa grande diversité d'espèces. On pourrait vous parler de la bibliothèque municipale, qui a été la première en Mauricie et au Centre-du-Québec à offrir la location d'un télescope professionnel. On pourrait parler des nombreuses fermes de la région et du fait qu'ici, c'est encore l'agriculture qui fait vivre : lait, bovins, grains et volaille, surtout. On pourrait revenir sur le projet d'éoliennes qui a causé pas mal de remous sur le plan politique et qui est toujours en veilleuse. Ou rappeler que le village compte une nouvelle station-service depuis deux ans, ce qui facilite pas mal la vie des locaux. On pourrait noter que Saint-Wenceslas a une population vieillissante, 50 % de ses 965 adultes ayant plus de 50 ans. Mais que la municipalité a pris cet enjeu à bras le corps, en proposant une foule d'activités pour les personnes âgées : marches, bingos, soupers pizza, films et contacts intergénérationnels. PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE Martine Bechtold, mairesse de Saint-Wenceslas On pourrait ajouter qu'ici, ça reste assez traditionnel. « Je vous dirais qu'on est un peu figés dans le temps, note Martine Bechtold, mairesse depuis 2021. Les familles ont trois ou quatre enfants. Les grands-parents cultivateurs s'occupent de leurs petits-enfants. Il y a beaucoup de bénévolat. C'est vraiment à l'ancienne. » Un architecte et deux sépultures Mais si on devait choisir un seul sujet pour parler de Saint-Wenceslas, ce serait probablement l'église du village, sur la route principale. D'abord parce qu'elle a été conçue par un architecte oublié, Louis Bourgeois (1856-1930). PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS L'architecte Louis Bourgeois Le bâtiment, qui date de 1892, ressemble à beaucoup d'églises de la région. Mais son concepteur, lui, est certainement digne de mention, puisqu'on lui doit aussi le temple baha'i de Wilmette, en Illinois, sorte de Taj Mahal version nord-américaine, qui se distingue clairement de l'architecture de son temps. « Un étonnant bâtiment et une étonnante carrière », résume France Vanlaethem, professeure émérite à l'École de design de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). PHOTO TIRÉE DU SITE WEB Louis Bourgeois a conçu la « Maison du culte » baha'i de Wilmette, en Illinois. L'autre raison de s'intéresser à l'église, c'est que, pendant notre visite, on apprend que deux anciens prêtres de la paroisse (Albert Désilets et Thomas Boucher) seraient inhumés sous le bâtiment. Une présence pour le moins insolite, dont il faudra tenir compte si un jour l'église devait changer de statut. Il y a quelques années, la fabrique a voulu vendre le bâtiment à la municipalité pour 1 $. Le conseil a refusé de l'acheter à cause de ces deux sépultures. « Trop de problématiques, résume Mme Bechtold. On ne veut pas débourser pour déterrer les corps sans savoir ce qu'on va trouver d'autre. Le danger est que ça devienne un site archéologique. » PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE L'église de Saint-Wenceslas La municipalité a pensé un moment utiliser des radars pour « voir à travers » le sol. Mais sans garantie de pouvoir identifier des ossements, on s'est abstenu. « Finalement, on s'est dit qu'on était peut-être mieux de laisser ça comme ça », conclut Mme Bechtold. Cette histoire laisse une drôle d'impression. On savait que les basiliques et les cathédrales européennes abritaient parfois des sépultures de rois ou de personnalités religieuses. Mais au Québec ? « C'est assez fréquent ici, répond Jocelyn Groulx, directeur général du Conseil du patrimoine religieux du Québec. Si ça fait plus de 100 ans que l'église est là, elle peut abriter des sépultures de prêtres ou de notables qui avaient été généreux avec la paroisse. » M. Groulx confirme que cette réalité vient avec ses complexités, que ce soit sur le plan archéologique ou sanitaire. Dans les cas où des corps doivent être exhumés, il faut en effet une autorisation de la Santé publique. « Ça peut occasionner des délais. On préfère souvent les garder là, quitte à couler une dalle de béton par-dessus », dit-il. PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE L'église de Saint-Wenceslas Assassiné par son frère Avec tout ça, on allait presque oublier de vous parler de notre saint du jour, dernier de cette série estivale. Un cas atypique, puisque celui-ci nous vient d'Europe de l'Est, et qu'il est relativement récent. Wenceslas était prince de Bohême (République tchèque). On le disait bon et courageux. Mais son frère, l'infâme Boleslav, jaloux et désireux de prendre sa place, le fera lâchement assassiner en 935 après Jésus-Christ, après lui avoir tendu un piège. Le pauvre Wenceslas tentera de se réfugier dans une église, mais le prêtre, de mèche avec les conspirateurs, lui en interdira l'entrée. IMAGE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS L'assassinat de Wenceslas. Le futur saint tente d'échapper au piège que lui tend son frère. Mais au moment de se réfugier dans l'église, le prêtre ferme la porte. Malgré son nom exotique, saint Wenceslas est loin d'être un inconnu. Son martyre et de nombreuses biographies lui ont valu une réputation de vertu héroïque, qui a fini par conduire à sa canonisation. Il a été déclaré roi et saint patron de l'État tchèque à titre posthume. Il est aussi connu dans la culture anglo-saxonne, qui lui consacre une chanson de Noël, Good King Wenceslas, popularisée sur disque par Bing Crosby en 1949. Cet honneur ne surprend pas Robin Jensen, professeure au département de théologie de l'Université Notre-Dame, en Indiana. « Je pense qu'il était très généreux et gentil, et attentif aux pauvres, dit-elle. Cette histoire relève sans doute de la légende. Mais au fil des siècles, on a tellement brodé autour qu'elle est devenue une chanson de Noël. Je ne vais pas la chanter pour vous, mais je peux vous dire que c'est un Christmas carol [chant de Noël] très apprécié. » Pour la petite histoire, Saint-Wenceslas s'appellerait ainsi parce que la recherche d'un nom pour le village aurait eu lieu autour du 28 septembre, date de sa fête dans le calendrier des saints. Dans la région, on dit surtout « Saint-Wen », parce que c'est plus court et que ça sonne bien.


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5 hours ago
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M. Carney, inspirez-vous de l'Irlande
Dans la ville de Gaza, des Palestiniens déplacés par la guerre trouvent refuge dans des tentes. « En tant que décideurs politiques, vous avez le pouvoir et la responsabilité d'imposer un changement de cap. Il est temps d'agir collectivement, en commençant par la reconnaissance de l'État de Palestine, une étape transformatrice qui doit être franchie maintenant. » Ancienne présidente de l'Irlande, membre des Elders – un groupe de leaders indépendants mis sur pied par l'ancien président sud-africain Nelson Mandela –, Mary Robinson n'a pas mâché ses mots lundi lorsqu'elle s'est adressée à une conférence des Nations unies sur la solution à deux États pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. PHOTO JEENAH MOON, REUTERS Mary Robinson, ex-présidente de l'Irlande, à la conférence des Nations unies lundi, à New York « Pourquoi [reconnaître l'État palestinien] maintenant ? Parce que la déshumanisation des Palestiniens par le gouvernement extrémiste d'Israël a atteint un point critique », a-t-elle ajouté. PHOTO JEHAD SHELBAK, REUTERS Vue aérienne d'immeubles détruits dans la bande de Gaza Coprésidée par la France et l'Arabie saoudite, cette conférence à laquelle prenaient part des dizaines de ministres, dont la ministre des Affaires étrangères du Canada, Anita Anand, a été boycottée par le gouvernement israélien et le gouvernement américain. Ce dernier y voit même une « insulte » aux quelque 1200 victimes des attentats du Hamas du 7 octobre 2023. Et tout ça parce qu'on y parle de chemins vers la paix qui mènent à la conclusion de la guerre à Gaza, mais aussi à la fin de l'occupation israélienne des territoires palestiniens. Mary Robinson, elle, est plutôt de celles qui estiment qu'il n'est pas permis de rester les bras croisés devant le « génocide qui se déploie » dans la bande de Gaza. 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Aujourd'hui âgée de 81 ans, l'ancienne présidente, qui a reçu un florilège de prix au cours de sa carrière pour son engagement en faveur des droits de la personne et du droit international, a aussi abordé la nécessité de mettre fin à tous les transferts d'armes vers Israël, d'imposer plus de sanctions aux dirigeants israéliens et d'adopter les mesures proposées par la Cour internationale de justice pour prévenir un génocide. PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE Camp de déplacés situé au nord-ouest de Khan Younès, dans la bande de Gaza Des mesures identifiées depuis longtemps donc, mais que la plupart des États occidentaux tardent à mettre en œuvre. Espérons que la ministre Anand, qui était assise à quelques mètres de Mme Robinson, en aura profité pour prendre des notes. À Ottawa, de plus en plus de voix s'élèvent pour demander au gouvernement canadien – qui a notamment dénoncé les politiques israéliennes en matière d'aide humanitaire – d'en faire plus. PHOTO JEENAH MOON, REUTERS Anita Anand, ministre des Affaires étrangères, à la conférence des Nations unies lundi, à New York Et pas seulement au sein de l'opposition. Des députés libéraux demandent à Mark Carney d'imiter la France, qui vient d'annoncer qu'elle reconnaîtra l'État palestinien au début de l'automne. Le premier ministre canadien, qui est en pleines négociations commerciales avec les États-Unis, a réitéré lundi qu'il compte le faire « au moment opportun », sans détailler d'échéancier. À cet énoncé vague, qui ressemble sensiblement à la position du Royaume-Uni, Mary Robinson y est allée d'une mise en garde. « Le Royaume-Uni a dit qu'il reconnaîtra la Palestine quand ce sera efficace et pas seulement une étape symbolique. C'est certainement le moment, parce que plus tard, ce sera simplement trop tard. »