
Une minimaison pour la vie
(Austin, Texas) Le mur du salon de Blair Philippe Racine est tapissé de photos : des souvenirs de visiteurs posant avec cet homme à la longue barbe blanche et aux chemises colorées. Des groupes de jeunes bénévoles. Des parents avec leur nouveau-né.
« Ça, c'est ma famille, dit-il en souriant. Ma famille biologique n'a jamais vraiment été ma famille, donc c'est ma famille refaçonnée. »
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Les visiteurs, les bénévoles et les employés de Mobile Loaves and Fishes sont la « famille » de Blair Philippe Racine.
Les clichés égaient les murs blancs de sa maison mobile de 37 m2 (400 pi2). Le salon est séparé de la chambre par une cuisinette et une salle de bains.
À 71 ans, M. Racine s'estime « béni » d'habiter au Community First ! Village. Il y a emménagé en 2018, après quatre années dans les rues du centre-ville d'Austin. Le Minnesotain d'origine – qui souligne fièrement l'aïeul français lui ayant donné son patronyme – travaillait dans le secteur immobilier, mais a tout perdu peu après son déménagement au Texas, en 2013.
Comme un village
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Les petites maisons de différentes couleurs sont toutes dotées de l'air climatisé.
Comme lui, 475 anciens sans-abri vivent au Community First ! Village. Pour quelques centaines de dollars par mois, les locataires peuvent s'installer dans une minimaison de 11,6 m2 (125 pi2), en utilisant des salles de bains et des cuisines communes, ou dans une maison mobile avec plomberie.
La communauté est organisée comme un village sur un ancien ranch de 0,21 km2 (51 acres) dans le nord-est d'Austin. Avec des rues asphaltées – aux noms évoquant la mission religieuse de son fondateur, comme Goodness (bonté) et Peace and Mercy (paix et miséricorde) –, une serre, un cinéma en plein air, des salles communes pour des repas en groupe ou pour jouer à des jeux de société, un studio d'art. Un jardin, avec des poules et des légumes, a été aménagé dans un parc.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Un petit dépanneur permet aux résidants d'acheter quelques articles. Pour les touristes et bénévoles, c'est aussi l'endroit où trouver des œuvres créées par les gens de la communauté et des souvenirs.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Alan Graham montre des croix fabriquées dans le studio d'art de la communauté.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE La serre de la communauté
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Un jardin a été aménagé dans un parc pour faire pousser des légumes.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Un poulailler a été installé dans un parc du Community First ! Village.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Un petit dépanneur permet aux résidants d'acheter quelques articles. Pour les touristes et bénévoles, c'est aussi l'endroit où trouver des œuvres créées par les gens de la communauté et des souvenirs.
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Un arrêt d'autobus de la ville est situé devant le dépanneur et le centre de soins de santé. Sinon, pour se déplacer d'un endroit à l'autre dans le « village », les résidants peuvent monter à bord de « Gus, the goodness bus », une voiturette de golf à huit places tirant son nom d'un personnage animé.
Plus qu'un toit
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Lors du passage de La Presse, en juin, des bénévoles d'un camp religieux servaient le dîner aux résidants de la communauté.
L'homme derrière le projet, Alan Graham, a fondé l'organisme à but non lucratif Mobile Loaves and Fishes en 1998, d'abord pour distribuer de la nourriture aux sans-abri de la capitale texane. Fervent catholique, l'ancien entrepreneur en immobilier s'est senti investi de cette mission après une retraite spirituelle. Influencé aussi par des difficultés familiales : sa mère, souffrant de troubles de santé mentale, a multiplié les séjours à l'hôpital durant son enfance et son frère souffre de dépendances.
« Aucune famille n'est exemptée de ce type de problèmes, mais la plupart réussissent à garder leurs membres en sécurité, dit l'homme de 69 ans au regard ferme. Mais un petit pourcentage connaît une rupture profonde avec la famille et se retrouve à la rue. »
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Alan Graham a commencé son projet pour aider les sans-abri en 1998, en distribuant de la nourriture. On le voit ici dans l'une des minimaisons sans plomberie, où l'on retrouve un coin salon-cuisinette, avec sofa et réfrigérateur, et une chambre au fond.
La solution lui est apparue claire : offrir non seulement un toit aux sans-abri, mais, aussi, une communauté.
Sauf que le tout ne s'est pas passé sans heurts.
En 2006, il a lancé l'idée d'un parc de maisons mobiles. La Ville d'Austin a accepté de louer un terrain municipal à M. Graham, mais les résidants du secteur s'y sont opposés.
L'organisme Mobile Loaves and Fishes, financé en grande partie par des dons privés, a finalement acquis son propre terrain. Pas de voisin, à l'époque, pour s'y opposer, le site étant situé dans un nouveau lotissement. Le premier locataire a emménagé en 2015.
Objectif : 1900 locataires
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Des locataires devraient emménager dans les maisons de la nouvelle phase de Community First ! Village dès août.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE À la fin de l'été, le Community First ! Village s'étendra de part et d'autre d'une route du nord-est d'Austin, où des terrains vagues côtoient de nouveaux lotissements.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE L'organisme a une liste d'attente pour ses petites maisons. À la fin de l'été, 80 ou 90 personnes devraient emménager dans la nouvelle phase du projet.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Des locataires devraient emménager dans les maisons de la nouvelle phase de Community First ! Village dès août.
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De l'autre côté de la route où se trouve l'entrée de Community First ! Village, des travailleurs s'affairaient sur de nouvelles unités lors du passage de La Presse, au début du mois de juin. C'est la troisième phase du projet, avec de nouvelles maisons qui pourront accueillir quelque 80 nouvelles personnes à la fin de l'été. À terme, en 2030, l'organisme espère accueillir 1900 locataires sur l'ensemble du site.
La cohabitation entre les résidants n'est pas toujours facile, mais n'est pas vraiment plus compliquée qu'ailleurs, assure M. Graham. Lui-même habite sur place depuis huit ans, avec sa femme et leur chien.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Alan Graham montre les différentes phases d'expansion du projet Community First ! Village.
La majorité des gens qui ont été évincés, c'est parce qu'ils n'ont pas payé leur loyer. Ensuite, il y en a qui ont été évincés pour des problèmes de comportement. Si quelqu'un brandit une arme à feu ou un couteau, il sera mis dehors aussi vite qu'il est arrivé.
Alan Graham, fondateur de l'organisme Mobile Loaves and Fishes
Pour obtenir une place au Community First ! Village, les candidats doivent soumettre leurs antécédents criminels. Les personnes reconnues coupables d'agressions sexuelles sont automatiquement exclues. La sobriété n'est pas un prérequis, même si l'organisme rappelle sur son site que les résidants doivent respecter les lois, y compris celles sur la possession et la distribution de stupéfiants. Même si Mobile Loaves and Fishes est un organisme chrétien, il spécifie que toutes les personnes sont bienvenues, peu importe leur foi.
Les bénévoles au cœur de la communauté
Richard Gonzales a patienté plusieurs mois sur une liste d'attente. Il a emménagé dans une minimaison il y a quelques semaines.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, LA PRESSE
Richard Gonzales prépare du poulet dans la cuisine commune.
« C'est correct, ici, a-t-il déclaré, en grillant des poitrines de poulet dans une poêle en fonte de la cuisine extérieure commune. « Il y a du bon et du mauvais, comme partout, mais c'est beaucoup mieux que bien d'autres endroits. Il y a des conflits parfois, mais c'est assez calme en général », ajoute l'homme de 48 ans.
Un peu plus loin, dans une grande salle climatisée où sont disposées des chaises et des tables, des adolescents d'un camp chrétien préparaient des sandwichs pour les résidants.
Les groupes de bénévoles, tout comme les visiteurs ponctuels, font partie de la vision de Community First ! Village, qui a même un hébergement de type Airbnb en location et des missionnaires vivant sur place.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Blair Philippe Racine, en compagnie de Katia Grenaille, qui travaille depuis un peu plus d'un an sur la coordination avec les bénévoles.
On noue des liens avec des entreprises, des fondations, des écoles pour qu'elles viennent et créent une expérience avec les gens qui habitent ici.
Katia Grenaille, responsable de la coordination avec les bénévoles
« C'est pour aider les gens qui habitent ici ou pour aider d'autres gens à avoir le même modèle », explique Mme Grenaille.
Le projet a fait des émules en Arkansas, en Californie et au Colorado, notamment, pour lutter contre le problème croissant de l'itinérance.
Vieillir au village
Community First! Village ne se veut pas un refuge temporaire. Mais le vieillissement de la population apporte son lot de défis, particulièrement pour les minimaisons dépourvues de plomberie.
C'est probablement l'une de nos plus grandes leçons : comment bien vieillir dans un endroit comme ici, et surtout, qui prendra soin de vous, qui changera vos couches ? Comment ça fonctionne pour les gens seuls, et qui paie ? C'est le genre de choses auxquelles nous devons réfléchir, parce qu'on veut que les gens vieillissent ici et puissent mourir ici.
Alan Graham, fondateur de l'organisme Mobile Loaves and Fishes
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Le but de l'organisme est d'offrir un lieu de vie permanent à d'anciens sans-abri. Lorsqu'un résidant meurt, on peint son portrait pour l'honorer.
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE Le columbarium du Community First ! Village
PHOTO JOEL ANGEL JUAREZ, COLLABORATION SPÉCIALE
Le but de l'organisme est d'offrir un lieu de vie permanent à d'anciens sans-abri. Lorsqu'un résidant meurt, on peint son portrait pour l'honorer.
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Il estime que, bon an, mal an, la communauté perd 15 % de ses résidants. Et que 40 % de ce chiffre est dû à des décès, l'espérance de vie parmi les gens ayant vécu dans la rue étant moins élevée que dans la population générale. Une maison sur le site sert aux soins palliatifs. Un columbarium a aussi été installé près du cœur du Community First ! Village.
« Il n'y a aucun doute dans mon esprit que je vais rester ici pour le reste de ma vie, dit M. Racine. Et je suis très fier de ça. »
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