
Nous refusons de les voir mourir
Sans intervention immédiate, les derniers reporters de Gaza vont mourir, alertent les cosignataires de cette lettre, qui rapportent les conditions dans lesquelles leurs collègues sont forcés de travailler
Emmanuel Duparcq
Président du C.A. sortant de la société des journalistes (SDJ) de l'Agence France-Presse (AFP), au nom des membres de celui-ci*
L'AFP travaille avec une pigiste texte, trois photographes et six pigistes vidéo dans la bande de Gaza depuis le départ de ses journalistes staff au courant de 2024. Avec quelques autres, ils sont aujourd'hui les seuls à rapporter ce qu'il se passe à Gaza. La presse internationale est interdite d'entrée dans ce territoire depuis près de deux ans.
Nous refusons de les voir mourir.
L'un d'eux, Bashar, collabore avec l'AFP depuis 2010, d'abord comme fixeur, ensuite comme photographe pigiste, et depuis 2024 comme principal photographe.
Le samedi 19 juillet, il est parvenu à publier un message sur Facebook : « Je n'ai plus la force de travailler pour les médias. Mon corps est maigre et je ne peux plus travailler. »
Bashar, 30 ans, travaille et vit dans des conditions égales à celles de tous les Gazaouis, allant d'un camp de réfugiés à un autre camp au gré des bombardements israéliens.
Depuis plus d'un an, il vit dans le dénuement le plus total et travaille en prenant d'énormes risques pour sa vie. L'hygiène est pour lui un problème majeur, avec des périodes de maladies intestinales sévères.
Bashar vit depuis février dans les ruines de sa maison de Gaza avec sa mère, ses quatre frères et sœurs et la famille d'un de ses frères. Leur maison est vide de tout aménagement et confort, à part quelques coussins. Dimanche matin, il a rapporté que son frère aîné était « tombé, à cause de la faim ».
PHOTO EYAD BABA, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des Palestiniens rassemblés devant un point de distribution de nourriture dans le camp de réfugiés de Nuseirat, samedi
Même si ces journalistes reçoivent un salaire mensuel de l'AFP, il n'y a rien à acheter ou alors à des prix exorbitants. Le système bancaire a disparu, et ceux qui pratiquent le change entre les comptes bancaires en ligne et l'argent liquide prennent une commission de près de 40 %.
L'AFP n'a plus la possibilité d'avoir un véhicule et encore moins de l'essence pour permettre à ses journalistes de se déplacer pour leurs reportages. Circuler en voiture équivaut de toutes les façons à prendre le risque d'être une cible pour l'aviation israélienne. Les reporters de l'AFP se déplacent donc à pied ou en charrette tirée par un âne.
« Documenter la vérité »
Ahlam, elle, survit dans le sud de l'enclave. Et tient à « témoigner », le plus longtemps possible. « À chaque fois que je quitte la tente pour couvrir un évènement, réaliser une interview ou documenter un fait, je ne sais pas si je reviendrai vivante. »
Le plus gros problème, confirme-t-elle, c'est le manque de nourriture et d'eau.
Nous voyons leur situation empirer. Ils sont jeunes et leur force les quitte. La plupart n'ont plus la capacité physique de parcourir l'enclave pour faire leur métier. Leurs appels au secours, déchirants, sont désormais quotidiens.
Depuis quelques jours, nous avons compris de leurs brefs messages que leur vie ne tenait plus à grand-chose et que leur courage, consacré depuis de longs mois à informer le monde entier, ne les aiderait pas à survivre.
Nous risquons d'apprendre leur mort à tout moment et cela nous est insupportable.
Dimanche, Bashar a écrit : « Pour la première fois, je me sens vaincu. » Plus tard dans la journée, il dit à l'un de nous qu'il le remerciait d'« expliquer ce que nous vivons au quotidien entre la mort et la faim ». « Je souhaiterais que M. Macron puisse m'aider à sortir de cet enfer. »
Ahlam se tient encore debout. « J'essaie de continuer à exercer mon métier, à porter la voix des gens, à documenter la vérité face à toutes les tentatives pour la faire taire. Ici, résister n'est pas un choix : c'est une nécessité. »
Depuis que l'AFP a été fondée en août 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n'a le souvenir d'avoir vu un collaborateur mourir de faim.
* La SDJ, qui compte près de 430 membres, journalistes AFP de statuts et langues divers, a pour mission de défendre la rédaction de l'agence, son indépendance, sa déontologie et sa capacité à pouvoir pratiquer un journalisme de qualité à l'abri des pressions. Elle est à l'écoute de ses adhérents et interroge régulièrement la direction sur ces sujets, et se mobilise également à l'extérieur de l'agence avec d'autres SDJ pour la défense de la profession et des journalistes sur le terrain. Les autres membres de son C.A., qui cosignent cette lettre, sont Myriam Adam (vice-présidente), Philippe Alfroy (trésorier), Ouerdya Aït-Abdelmalek, Jules Bonnard, Sofia Bouderbala, Toni Cerdà, Thomas Coex, Pierre-Henry Deshayes, Léo Huisman, Chloé Rouveyrolles-Bazire et Eloi Rouyer.
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